« Bloquer les abattages, c’est risquer la dermatose bovine dans toute la France »
TNC le 13/12/2025 à 05:14
Pour le vétérinaire Christophe Brard, jouer les apprentis sorciers avec la dermatose nodulaire contagieuse est irresponsable. Si les abattages de troupeaux restent une épreuve inouïe pour les éleveurs, la gestion d’une crise sanitaire relève « du scientifique, et non de la politique ».
« Nous risquons de perdre la notion de conscience sanitaire collective », lance Christophe Brard, président honoraire de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). « Plus on tergiversera, plus il y aura de manifestations, plus le délai de retour à la normale sera long pour tous les éleveurs».
Pour le vétérinaire, les manifestations visant à empêcher l’abattage de 200 bovins touchés par la dermatose nodulaire contagieuse en Ariège les 10 et 11 décembre sont d’autant plus tragiques, qu’elles « font courir le risque de la propagation de la maladie vers d’autres exploitations ».
Les éleveurs qui acceptent les abattages protègent les autres
Si les dépeuplements de troupeaux peuvent sembler barbares, « le cas de la Savoie montre bien que l’option fonctionne. Aujourd’hui, les restrictions se lèvent et les éleveurs ont repeuplé », constate Christophe Brard. Au-delà du drame individuel que constitue l’abattage d’un troupeau, la gestion d’une épizootie relève d’une logique collective. « Les éleveurs qui acceptent les abattages et la vaccination le font pour protéger l’ensemble du cheptel national », insiste le vétérinaire. En Savoie, un peu plus de 1 000 bovins ont été abattus lorsque 300 000 ont été vaccinés. La perte est considérable pour les fermes touchées, mais cette forme de « solidarité sanitaire » a permis à l’essentiel des exploitations des deux Savoies d’éviter propagation de la maladie. « Il faut qu’on parvienne à implanter cette conscience collective du sanitaire dans le Sud-Ouest », insiste Christophe Brard.
Car pour le vétérinaire, le dépeuplement, la vaccination et l’arrêt des mouvements sont les seules solutions pour freiner la maladie. « S’il était possible d’être sélectif dans les abattages, nous le ferions ». Mais en l’état, impossible de détecter la maladie pendant la période d’incubation par prise de sang : « nous n’avons pas de tests PCR qui le permette ». Dans ce contexte, garder des animaux potentiellement en phase d’incubation, c’est prendre le risque de disséminer la maladie. « Si nous jouons aux apprentis sorciers en gardant des animaux malades sur les fermes, nous allons nous retrouver avec de la dermatose en Auvergne, en Bretagne… Et les conséquences seront terribles pour les éleveurs, comme aussi pour le marché ».
Le sanitaire, essentiel pour les échanges internationaux
Nos partenaires européens restent méfiants quant au statut sanitaire de la France. Si l’Italie accepte aujourd’hui l’échange d’animaux vaccinés contre la dermatose nodulaire contagieuse, c’est au prix d’une longue liste de conditions. L’Espagne quant à elle reste très méfiante. « Si demain, un cas se déclare dans un pays européen suite à des mouvements d’animaux français, nous serons boycottés », avertit le vétérinaire. Les conséquences pour les marchés seront considérables.
D’autant que la propagation de la maladie dans l’Hexagone prive déjà certains éleveurs d’opportunités de marché, en les contraignant à conserver des broutards ou des jeunes veaux.
La vaccination entraîne forcément des restrictions de mouvement
Se pose ensuite la question de la vaccination. Si la méthode fonctionne, elle demande du temps. « Il y a 17 millions de bovins en France. On peut les vacciner, mais ça ne se fait pas en un claquement de doigts », insiste Christophe Brard. « Il faut que les laboratoires pharmaceutiques suivent pour la production de vaccins, qu’ils soient administrés par les vétérinaires… Et cela induira forcément des restrictions dans les mouvements d’animaux ».
Car qui dit vaccination, dit confinement temporaire des bovins. « Il faut compter 21 jours afin de bénéficier de l’immunité par le vaccin et la période d’incubation de la maladie est de 28 jours en moyenne ». Les animaux peuvent ainsi déclarer la maladie jusqu’à 49 jours après la vaccination. Déplacer des animaux avant cette date revient potentiellement à disséminer la maladie. « C’est une question scientifique, pas politique », insiste le vétérinaire. « Si les deux Savoies peuvent reprendre doucement les échanges avec l’Italie, c’est parce qu’elles ont atteint une couverture vaccinale suffisante ».
C’est une question scientifique, pas politique
La zone vaccinale mise en place dans le sud-ouest de la France contraint ainsi les éleveurs à une restriction de mouvement pour plusieurs mois — le temps de déployer la vaccination, et d’observer un délai post-vaccin suffisant.
Alors pour le vétérinaire : « au plus vite au mieux ». Le dépeuplement des foyers et la vaccination rapide des troupeaux de la zone permettront aux éleveurs d’être libérés le plus rapidement possible des contraintes sanitaires. « Nous sommes bien conscients que certains vont devoir garder des broutards, les nourrir alors qu’ils auraient dû partir. Alors autant aller vite pour que ça coûte le moins possible à la filière ».
Mais pour que la stratégie sanitaire fonctionne, il est essentiel d’avoir le concours de tous. « Il reste quelques irresponsables, éleveurs ou négociants qui essaient de passer à travers les mailles du filet. Cela pollue le travail de toute la filière ». Aussi tenaces soient-ils, les vecteurs ne sont pas en capacité de faire des bonds de 100 km seuls.
« Toutes les parties prenantes de la filière bovine doivent être solidaires dans ce combat que nous menons contre la DNC »