Sarah Singla : « Il faut récolter le soleil pour semer la pluie »
TNC le 03/10/2023 à 08:05
Agriculture de conservation des sols et préservation de l’eau figuraient parmi les problématiques majeures du Festival du non-labour et du semis direct, qui s’est déroulé le 21 septembre dernier au Lycée agricole Xavier Bernard – Venours à Rouillé, dans la Vienne.
Pour cette 23e édition, l’ambition du Festival du non-labour et du semis direct restait la même : jouer le rôle de catalyseur et de créateur d’échanges autour des techniques culturales simplifiées, du maintien et de l’amélioration de la fertilité des sols, comme l’ont rappelé Franck Bailly et Bertrand Courtois, président et vice-président de l’évènement créé à l’initiative de la Coordination rurale. Respectivement installés dans le Jura et en Eure-et-Loir, les deux agriculteurs ont intégré l’association dès ses débuts en 1999.
Tous les deux étaient à la recherche d’informations sur le semis direct et l’agriculture de conservation des sols, et ont initié la transition de leurs systèmes à cette période. Ils mettent en avant aujourd’hui les atouts agronomiques, économiques et environnementaux de ces pratiques. Bertrand Courtois observe « une terre plus noire et un meilleur taux de MO (de 1,5 à 2,5 % depuis 2002) ». « J’ai réduit la consommation de fioul de l’exploitation de moitié », note aussi Franck Bailly.
La couverture des sols, un enjeu global
L’évènement entend répondre aux questions du plus grand nombre sur ces sujets. Une quinzaine d’exposants et 17 constructeurs se sont réunis sur le site du lycée agricole Xavier Bernard, à Rouillé (Vienne) : Actisol, ADI Carbures, Agrisem, Amazone, Carbure Technologies, Claydon, Cyclair, Duro, Eco-Mulch, Horsch, Köckerling, Moore Unidrill, Novag, Pöttinger, Roll’n’sem, Techmagri et Weaving Machinery. L’occasion pour les agriculteurs de voir le matériel en action et d’échanger sur leurs problématiques.
La matinée, dédiée aux conférences, donne lieu aussi à de nombreux échanges. Et notamment sur l’intérêt de l’agriculture de conservation des sols (ACS) dans la préservation de l’eau. La couverture des sols est un point essentiel pour Sarah Singla, installée sur l’exploitation familiale en Aveyron depuis 2010. Sa ferme de 100 ha a la particularité d’être en agriculture de conservation des sols (ACS) depuis 1980. « Si le sol n’est pas protégé, on risque de créer une croûte de battance, et de favoriser le ruissellement et l’érosion », indique l’agricultrice.
« C’est un enjeu global, il faut qu’on arrive à fédérer tous les agriculteurs, quel que soit leur système. L’objectif : récolter le soleil pour semer la pluie ! Plus nous serons nombreux à végétaliser, plus il y aura d’évapotranspiration (et notamment en période estivale), plus il y aura de nuages. Et c’est à partir d’un nombre critique de gouttes dans les nuages, qu’il se remettra à pleuvoir. L’agriculture peut avoir un impact vraiment positif sur l’évolution du climat et on est capable de faire retomber la pluie. »
« Si on veut de l’eau, il faut alimenter la pompe avec du vivant », note également Laurent Denise, chercheur indépendant.
L’agronomie : « la science des localités »
Il faut toutefois veiller à « s’adaptater aux conditions pédo-climatiques de chaque exploitation. On entend souvent, par exemple, qu’il faut « semer dans le vert ». C’est possible quand on a des sols profonds ou accès à l’irrigation. Sinon, il est préférable, notamment avant maïs ou tournesol, de stopper le couvert au moins un mois avant le semis afin de conserver l’eau, qui pourra être ensuite utilisée par la culture principale et limiter ainsi l’impact sur le rendement », souligne Sarah Singla. « On considère, en effet, qu’une tonne de matière (MS) consomme 25 mm d’eau donc si on attend que le couvert pousse plus au printemps, admettons 3 t de MS/ha, il aura consommé 75 mm d’eau en plus. Cela peut freiner le cycle du maïs en cas de faible réserve utile. » « L’agronomie est la science des localités », explique Sarah Singla.
« Il faut tenir compte de la pluviométrie, du type de sols, etc. Tout n’est pas possible partout. » Exemple avec les couverts végétaux, comme le précise Antonio Pereira, conseiller à la chambre d’agriculture de Haute-Marne, lors de sa présentation au festival : « il n’y a pas de mauvais semoir, il faut juste utiliser celui adapté aux conditions de son exploitation, explique-t-il. Même chose pour le choix des espèces et des variétés. Ils sont également à ajuster en fonction de l’humidité et la température du sol. Des espèces comme le niger, le moha ou le tournesol se prêtent davantage à la composition de mélanges estivaux, à l’inverse de la féverole, de la vesce commune ou velue ».
Autres points importants pour réussir ses couverts dans un contexte de changement climatique : la gestion de la paille et la profondeur de semis. Le conseiller recommande de « semer plus profond, par rapport à ce qu’on avait l’habitude de faire ». Il reprend plusieurs exemples réalisés dans des essais : la cameline semée à 3 cm ou le tournesol à 5 cm sont ainsi plus robustes. « En maïs, on va veiller aussi à la densité de semis et l’écartement en fonction du contexte », ajoute Sarah Singla.
« Sans glyphosate, on ne sait pas faire ! »
Si les systèmes racinaires des plantes et les galeries de vers de terre permettent de maintenir la porosité des sols, la structure est un autre point d’attention. En effet, il faut « surveiller la compaction des sols, qui peut être due au poids des machines et au trafic sur les parcelles notamment. Plus on augmente la charge à l’essieu – et ce, indépendamment de l’équipement utilisé, plus on entraîne une compaction en surface et en profondeur, surtout lors d’interventions en conditions humides ».
L’agricultrice, également formatrice, met alors en avant le principe du Controlled Trafic Farming (CTF), autrement dit trafic agricole contrôlé ou agriculture à circulation raisonnée, pour améliorer la marge à l’hectare. « Nous perdons en France au minimum 5 % de rendement à cause de la compaction. »
Autre outil de l’ACS, souvent décrié : le glyphosate. « Sans, on ne sait pas faire », soutient Sarah Singla. Si la Commission européenne vient de proposer le renouvellement du glyphosate pour une durée de 10 ans, des autorisations nationales doivent encore être prises par chaque État membre. Le vote est prévu le 13 octobre prochain. Lors du festival du non-labour et du semis direct, la Coordination rurale a rappelé « compter sur le vote de la France en faveur de son renouvellement et le cas échéant, pour qu’aucune mesure de surtransposition ne soit prise. Les conditions d’utilisation devront comporter certaines mesures comme l’interdiction de la dessication, des bandes tampons de 5 à 10 mètres, l’utilisation de matériel anti-dérive… »
« Les États membres doivent prendre leurs responsabilités, a affirmé Damien Brunelle, président de France Grandes Cultures. Dans la mesure où aucune alternative aussi efficace et à coût identique n’existe, le glyphosate ne doit pas être supprimé et la France doit suivre la position de la Commission européenne. Le glyphosate est un allié utile de l’agriculture de conservation des sols et de la lutte contre le changement climatique. Nous continuerons à nous battre pour défendre cette matière active. »