Reportage dans l’usine de Religieux Frères, les fidèles du travail du sol
TNC le 29/11/2024 à 17:49
Le constructeur, célèbre pour son Comdor, nous a ouvert les portes de son site de production dans l’Aisne. L’occasion d’évoquer son histoire plus que centenaire et son ambition portée par de récents investissements majeurs.
Voyage dans le passé, plus de 100 ans en arrière, direction Vigneux-Hocquet, aux confins de l’Aisne. L’armée allemande quitte le petit village, mais la retraite n’est pas sans conséquence : les puits sont empoissonnés, les vergers coupés, les champs meurtris…. Pour approvisionner en outils et organiser la relance de la vie agricole, deux habitants, les frères Fernand et Maurice Religieux, montent leur forge, en 1920. « L’entreprise est née pour faire face à un besoin », raconte Dante Mozaive, coordinateur projets chez Religieux Frères.
La forge historique a été démantelée en 1994. « Il y avait cinq feux pour le ferrage et autres travaux, les paysans attachaient leur cheval et c’était parti », raconte son directeur, Pierre Religieux. L’énigmatique logo du constructeur rappelle ce passé : une barre d’acier chauffée localement et poinçonnée. « C’était un élément essentiel de nos herses. Le trou se faisait par refoulement de l’acier, sans retirer de matière, pour une plus grande solidité. Notre renommée s’est fondée là-dessus, le carnet de commande dépassait les deux ans… Une autre époque ! », détaille Pierre Religieux.
Une histoire d’enclume, de métal et de feu mais aussi d’amour, de racines et de fidélité. Pierre Religieux est le petit-fils du co-fondateur, Fernand. Sa fille, Louise, 34 ans, s’occupe de la communication. Elle est arrivée dans l’entreprise il y a deux ans accompagnée de son mari… Dante Mozaive, avec un projet de reprise. « C’est une société familiale, soudée. J’ai grandi à Vigneux-Hocquet, je voulais revenir y vivre, à la campagne », confie Louise Religieux.
Le destin de l’entreprise bascule dans une autre dimension en janvier 1986 avec la sortie du Comdor, son outil emblématique. Le père de Pierre, Pierre Eugène, lui tend un prospectus du Germinator de Kongskilde. « Il m’a dit L’avenir, c’est ça. C’était une révolution. Avec la herse, il fallait deux passages puis une croskilette. Là, tout était réalisé en un passage », se rappelle Pierre Religieux. Le Comdor sera exposé pour la première fois au Sima en 1987. Le millième a été fabriqué au printemps dernier. Son nom n’a rien à voir avec le mythique rapace des Andes : c’est l’acronyme de COMbinaison D’Outil de Reprise.
Pour se démarquer de la concurrence, Religieux Frères profite de sa situation, au cœur de la plus grande zone betteravière de France. « Quand on y regarde bien, l’Aisne a d’ailleurs une forme de betterave, sourit Pierre Religieux. Les sols sont très hétérogènes, cela nous a poussé à être toujours plus polyvalents ».
Religieux Frères a exporté jusqu’à 25 % de sa production, notamment dans les Pays de l’Est : « en Tchécoslovaquie, quand ils ont découvert nos outils après la chute du Mur, ils étaient impressionnés. Leur matériel étant très rudimentaire à l’époque ». L’entreprise se concentre aujourd’hui sur les régions françaises de grandes et moyennes cultures, avec deux axes : séduire et convaincre les agriculteurs, assurer une distribution et un service de qualité.
« C’est le côté qualitatif qui joue, pas le côté made in France. Les exploitants savent que la machine est parfaitement adaptée à leur environnement. Il y a de la démo, du suivi. Nous assurons un service pièces pour des outils qui ont parfois 40 années ! », avance Antoine Bouvier, responsable technique et directeur du bureau d’études.
Pour s’adapter, Religieux Frères mise sur sa flexibilité, la réactivité de son équipe d’une vingtaine d’employés et l’écoute du terrain. Pas besoin de mails à répétition pour qu’une information circule entre les champs, le bureau d’études et la production. « Il faut faire confiance aux utilisateurs, ils sont en première ligne. Nous sommes assez réactifs », met en avant Dante Mozaive.
Le constructeur s’est doté en juin 2024 d’une machine à découpe laser. « Il n’y en a qu’une poignée de ce type en France. Elle est plus rapide que le plasma et très qualitative », se réjouit Antoine Bouvier. Un soulagement aussi, et du confort, pour l’opérateur qui n’a ainsi plus à nettoyer des pièces.
« Le laser permet de travailler les pièces en apportant moins d’épaisseur et plus de résistance. Car le poids va devenir un élément essentiel dans notre métier, pour différentes raisons. Le tassement du sol est une vraie préoccupation. Il faut moins mais mieux travailler la terre, avec des actes simples, et surtout en remettant l’agronomie au cœur du métier », assure Pierre Religieux.
Une scie à avancement automatique de 20 mètres est attendue pour avril 2025. La soudure robotisée est envisagée dans les deux années à venir. « C’est indispensable pour monter en production, nous sommes déjà au maximum de nos capacités », explique Dante Mozaive. Un showroom et un musée vont être aménagés dans d’anciens locaux.
Pierre Religieux, qui a de solides connaissances du « monde agricole », constate que la France conserve « le potentiel pour une agriculture de bon niveau ». « Nous avons la plus grande variété de régions, pour produire beaucoup de choses ! » conclut-il.