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Glyphosate

Les vignerons français ont avancé, « le pistolet dans le dos »


AFP le 26/02/2019 à 12:25

Les rangées de vigne bien nettes, sans herbe, c'est (presque) fini. Le vignoble français, qui absorbe dans son sol une grosse part de l'herbicide glyphosate consommé en France, tente de se mettre en ordre de bataille pour devenir « le premier vignoble sans glyphosate » du monde, selon le vœu d'Emmanuel Macron.

Lundi, au Salon de l’agriculture, le comité national des interprofessions des vins AOP (CNIV) a relevé le défi lancé samedi par le président de la République. « Nous pouvons aller très, très vite pour sortir du glyphosate, d’autant plus vite que nous recevons des aides de l’État», a déclaré Jean-Marie Barillère, président du CNIV lors d’une conférence de presse. « Quand je regarde le vignoble français, je pense que nous pouvons faire le premier vignoble du monde sans glyphosate, dans 80 % des cas cette transition va d’ailleurs s’effectuer », avait déclaré samedi le président de la République dans son discours d’inauguration du Salon de l’agriculture, à propos de ce puissant désherbant, considéré comme « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La question du délai n’est toutefois pas résolue. « Nous allons sortir du glyphosate, c’est sûr, c’est ce que demande la société, mais à quel terme, on ne sait pas exactement », tempère Bernard Farges, un Bordelais, qui préside la CNAOC (vins et alcools AOC). « Le président a parlé de 80 % du vignoble sans glyphosate d’ici trois ans, mais la sortie du gasoil pour le secteur automobile se fait en 25 ans, et pour celle du charbon, on ne sait pas encore », relève-t-il. Jérôme Despey, qui préside le conseil spécialisé vins de l’organisme public Franceagrimer, estime que pour 20 à 30 % des 800 000 hectares de vigne que compte la France, il y aura des « impasses ». « Nous avons des zones à forte pente où il est impossible de s’occuper du sol avec des machines, et où on est obligé d’utiliser des herbicides chimiques pour empêcher l’érosion des sols », fait-il valoir.

« Le commerce des phytosanitaires s’effondre »

Il cite notamment les terrasses du Larzac dans le sud de la France : « Si on n’utilise pas le glyphosate dans cette région, la viticulture c’est terminé ». L’Alsace et ses vignes à flanc de vallon est aussi concernée. Pour Bernard Farges, ce qui compte, c’est la tendance. « Le commerce des produits phytosanitaires s’effondre », affirme-t-il. « Et les achats de produits de biocontrôle (produits utilisant des mécanismes naturels, NDLR) ont progressé de 70 % en trois ans pour les vignes ».

Dans son plan de filière remis à l’Élysée lors des États généraux de l’alimentation, la viticulture s’était engagée à réduire de 50 % le glyphosate d’ici trois ans. Bernard Farges estime que la viticulture va aller plus vite. « – 100 % d’herbicide en trois ans c’est impossible, mais nous serons à – 70 % », calcule-t-il. « Et à – 70 % d’utilisation des autres produits phytosanitaires très toxiques, dits CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques) ».

Pendant 40 ans, la vigne française, à l’exception de la bio, s’est gavée de produits chimiques, admettent les responsables viticoles français. Le souvenir de la terrible crise du phylloxera qui a décimé le vignoble français à la fin du 19e siècle y est sûrement pour quelque chose. « Aujourd’hui, il n’y a pas que les neo-ruraux qui nous posent des questions sur nos pratiques environnementales, tout le monde veut savoir, et nous nous sommes organisés », dit Bernard Farges. « Mais il faut bien reconnaître que nous avons avancé parce que nous avons eu le pistolet dans le dos », admet-il, évoquant les multiples enquêtes journalistiques, et la pression des organisations environnementales.

Reste que la suppression du glyphosate va être plus facile à organiser dans les vignobles « très structurés » comme Bordeaux, Cognac, Bourgogne et Champagne, souligne Jean-Marie Barillère, que dans d’autres régions. Le Val de Loire vient de mettre en place une gouvernance professionnelle qui associe chambres d’agriculture, interprofession et syndicats viticoles « pour tirer la machine », ajoute-t-il à titre d’exemple.