Les stocks grossissent, les Français mangeant moins de frites
AFP le 17/05/2020 à 14:41
« A cette époque-ci, normalement, je n'ai plus rien », souffle Christophe Delebarre, producteur de pommes de terre dans le Pas-de-Calais, devant les 150 tonnes d'invendus dans son hangar. Avec la fermeture des restaurants et cantines scolaires pour lutter contre le coronavirus, la consommation de frites a chuté en France et les stocks s'accumulent.
Dans la ferme d’Emmanuel Leclercq à Comines (Nord), à la frontière belge, des particuliers viennent acheter des kilos de patates à 21 ou 40 centimes. Depuis le 1er mai, il a installé un drive agricole. « Pour écouler notre production, on nous conseille de les donner à manger aux animaux, mais je ne plante pas des pommes de terre pour les bêtes ! », s’agace-t-il.
Fournisseur d’entreprises belges, il résume la situation : « Nos contrats avec les industriels ont été honorés. Sauf que chaque année, nous avons un surplus de production, d’environ 20 %, qui d’habitude trouve aussi preneur auprès de l’industrie. Mais cette année, avec la baisse des ventes de frites liée au covid-19, les industriels n’ont pas de débouchés et n’achèteront donc pas ce surplus ».
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« Des tonnes de pommes de terre sur les bras »
« On se retrouve alors avec des tonnes de pommes de terre sur les bras et personne n’a de solution. » Avec son drive, Emmanuel Leclercq a déjà vendu « une petite dizaine de tonnes » mais il lui en reste encore 150. « On ne pourra jamais écouler des gros tonnages aux particuliers, mais c’est mieux que rien ».
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« La commercialisation par les producteurs directement aux particuliers pourrait permettre d’écouler même pas 5 % des stocks, le fond du problème reste », déplore Bertrand Achte, secrétaire général de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) et président du Groupement des producteurs livrant McCain (Gappi).
« 200 millions d’euros de pertes » pour la filière
Retrouvez : Pommes de terre − « Ne fragilisons pas nos marchés », prévient le CNIPT
Dans les usines que McCain, géant canadien de la frite industrielle, compte dans le nord de la France, les lignes destinées à la frite sont quasiment toutes à l’arrêt. « Une ligne continue de tourner à Harnes (Pas-de-Calais) pour alimenter les grandes surfaces », explique Christian Vanderheyden, directeur des approvisionnements. Le groupe travaille en France avec 990 producteurs dont plus de 700 dans les Hauts-de-France, première région productrice du pays. Chaque année, il leur achète 950 000 tonnes de pommes de terre et cette année c’est 100 000 de moins, selon M. Achte.
« Dès que la restauration hors foyer, qui représente pour nous 70 % de nos activités, s’est arrêtée, les ventes se sont effondrées », relate Christian Vanderheyden, également président du Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT). « Les ventes en supermarché ont augmenté, mais ça n’a pas compensé ». « Les frites se mangent essentiellement hors foyer, beaucoup de familles aujourd’hui n’ont même plus de friteuses ! », ajoute Bertrand Achte qui estime à 200 millions d’euros les pertes pour la filière.
« Revendues pour zéro euro »
Selon Christian Vanderheyden, 450 000 tonnes de pommes de terre qui auraient dû être transformées ne le seront pas cette année, dont 200 000 t étaient destinées aux industries françaises, notamment les usines McCain pour plus de la moitié. Même l’industrie doit trouver des solutions pour écouler la marchandise achetée aux agriculteurs. « On a déjà revendu 60 000 tonnes pour l’alimentation du bétail, mais c’est à perte : les contrats avec les agriculteurs sont sur une base de 150 euros la tonne et là, on revend à zéro euro… en plus on doit prendre en charge le transport ».
Pour Bertrand Achte, « si on ne veut pas voir pourrir les pommes de terre », l’État doit apporter 35 millions d’euros pour payer le transport des invendus vers la filière animale et la méthanisation. D’autant que les producteurs enregistrent aussi des coûts inhabituels de stockage. « On consomme notamment plus d’électricité pour que les pommes de terre restent marchandes », dit Christophe Delebarre à Richebourg (Pas-de-Calais). Pour s’adapter, il a déjà remplacé 10 % de ses plantations de pommes de terre par du maïs pour la saison prochaine.