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Victimes de la guerre commerciale

Les spiritueux veulent éviter la gueule de bois


AFP le 19/12/2019 à 10:01

Bourbon du Kentucky, whisky d'Ecosse et peut-être bientôt cognac français, se retrouvent bien malgré eux pris dans la tourmente de la guerre commerciale. De rencontres en soirées-cocktails, les représentants du secteur des spiritueux tentent au maximum de passer entre les gouttes.

« Jamais je n’aurais imaginé que l’industrie américaine du whisky puisse être touchée par des mesures de représailles à des taxes touchant l’acier et l’aluminium », se désole Amir Peay, patron de la distillerie James E. Pepper à Lexington, dans le Kentucky. Il se préparait tout juste à s’étendre en Europe, en y investissant dans un entrepôt, en achetant un nouveau format de bouteilles, en contactant des distributeurs, quand, en juin 2018, Bruxelles a riposté à des sanctions américaines en imposant une taxe de 25 % sur l’importation de tous les whiskys américains, dont le bourbon du Kentucky.La cible n’était pas innocente : c’est l’État du président républicain du Sénat Mitch McConnell. Mais la décision a pris de court les acteurs du secteur. « Je l’ai appris quand un journaliste m’a réveillé à six heures du matin pour me demander ce que ça faisait d’être un pion dans la guerre commerciale », se souvient Eric Gregory, président de l’Association des distilleries du Kentucky. « Ma première réaction a d’abord été « ouah, le bourbon est vraiment devenu célèbre », puis rapidement « oh mon dieu, que va-t-il nous arriver » », raconte-t-il à l’AFP. Au dernier relevé de la Fédération américaine des spiritueux (Discuss), la nouvelle taxe a fait chuter les exportations de whiskys américains vers l’Union européenne de 28 %.

Sommet du whisky

Tous se sont pourtant démenés, multipliant les rendez-vous avec les législateurs, les lettres aux responsables du commerce des deux côtés de l’Atlantique, les interventions dans les médias. Un « sommet du W8 », regroupant les huit plus grandes associations de whisky au monde, a aussi été convoqué en juillet 2018 à Louisville, dans le Kentucky.C’était juste au moment où le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker rendait visite à Donald Trump à Washington. « Ils ont alors affirmé que les négociations avançaient bien. Un an et demi plus tard, la situation ne fait que s’envenimer », déplore M. Gregory. Pour une histoire de subventions impliquant Airbus et Boeing, l’administration américaine impose depuis octobre une taxe de 25 % sur les importations de whisky single malt d’Ecosse et d’Irlande ainsi que sur certains vins et liqueurs.Selon une proposition soumise à des commentaires publics jusqu’au 13 janvier, cette taxe pourrait être relevée à 100 % et s’appliquer également au cognac, particulièrement prisé aux États-Unis, ainsi qu’à l’ensemble des whiskys et vins européens. « On s’est rapproché dès début 2018 de la Commission européenne » pour avertir qu’une taxe sur les whiskys américains exposait à des mesures de représailles, se souvient Karen Betts, directrice de l’Association du whisky écossais. Or l’UE a plus à perdre dans cette bataille puisqu’elle exporte plus de spiritueux vers les États-Unis que l’inverse.Les grandes entreprises du secteur étant souvent des multinationales vendant aussi bien du whisky, de la tequila que du cognac, pas question a priori de protéger un alcool plutôt qu’un autre. Sous la houlette des organisations représentant le secteur à Bruxelles, SpiritsEurope, et à Washington, Discuss, les associations de chaque pays travaillent en étroite collaboration, assure Mme Betts.

De la ferme au bar

Des représentants européens doivent venir en janvier à Washington, quand expirera la période des commentaires sur de potentielles nouvelles taxes, indique Chris Swonger, directeur de Discuss. Ensemble, ils veulent mettre en avant leurs conséquences sur l’ensemble de la chaîne, des agriculteurs aux barmans. Pour rappeler aux décideurs les retombées économiques, ils avaient déjà organisé en septembre une grande soirée chez l’ambassadeur de l’UE à Washington célébrant le bourbon du Kentucky.Washington et Bruxelles avaient convenu en 1997 de ne plus imposer de taxes sur leurs échanges de spiritueux. Ces derniers ont depuis bondi de 450 % pour atteindre 6,7 milliards de dollars en 2018, précise Chris Swonger. Avec les tarifs douaniers, les distilleries doivent décider d’augmenter leurs prix au risque de perdre des clients, d’amoindrir leurs marges au risque de perdre des emplois, ou de continuer à produire au risque d’un surplus de bouteilles quand les taxes seront levées, rappelle Eric Gregory. Le tout alors qu’un alcool comme le bourbon prend plusieurs années à s’affiner. « Tout le monde est perdant dans une guerre commerciale », regrette-t-il, « il faut qu’ils reviennent à la table des négociations ».