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Sommelier

Les eaux se goûtent comme les vins, pour le sommelier Aurélien Farrouil


AFP le 17/03/2023 à 12:05

L'eau a aussi ses grands crus : à 40 ans, Aurélien Farrouil est un des rares chefs sommeliers français à régner sur une double cave, où les vins millésimés côtoient des eaux sélectionnées pour leur « typicité » et leur contribution à l'expérience culinaire.

De la Velleminfroy, « eau impériale de Napoléon » à l’Iskilde du Danemark en passant par la 808 d’Aix-en-Provence « puisée à 808 mètres de profondeur », une petite vingtaine de références – plates et pétillantes – sont proposées à la carte des eaux du restaurant doublement étoilé La Grand’Vigne à Martillac, à des prix variant entre 8 et 12 euros la bouteille.

Pourquoi avez-vous décidé de proposer une carte des eaux à part entière ?

« Quand on a décroché la deuxième étoile en 2015, on a voulu changer l’ardoise, faire grandir notre carte des vins et aussi créer une carte des eaux pour se démarquer de la concurrence.

A un tel niveau, on joue en première division et c’est le match tous les soirs : il faut créer des envies, proposer aux clients des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de voir ou de boire. Ils viennent pour découvrir un style de cuisine, une identité, et en parallèle ils continuent l’expérience avec les eaux et les vins.

L’eau minérale va être la première expérience à table, dès l’arrivée des clients je leur demande de choisir entre plate et pétillante, et s’ils veulent une eau locale ou préfèrent voyager. Avant le Covid, on avait beaucoup d’eaux du monde entier, mais ensuite on s’est recentrés sur les nationales pour être plus attentifs au bilan carbone. Et puis pourquoi boire de l’Evian et de la Badoit quand on est à Bordeaux ? C’est plus cohérent de prendre des eaux locales comme une Abatilles ou une Ogeu ».

Il y a moins de différences entre les eaux qu’entre les vins, comment les mettez-vous en valeur ?

« Même si elles sont neutres, les eaux ont un goût, chacune va avoir sa typicité, son petit goût, une identité. Il n’y a pas besoin de prendre des cours, on les goûte les unes à la suite des autres et on s’en rend compte : il peut y avoir un côté salin ou un peu minéral, il y a des eaux denses ou plus fluides…

Du côté des pétillantes spécifiquement, il y a des bulles vives, d’autres douces. On propose même une eau plate avec des bulles d’oxygène qui viennent gommer les papilles, l’Iskilde du Danemark, intéressante dans l’expérience culinaire car plat après plat ça vous refait le palais, c’est comme faire un « reset ».

Et on les sert à 10 degrés comme le vin blanc, il y a un voile de fraîcheur mais ce n’est pas glacé ».

Les sommeliers comme les restaurateurs devraient-ils se mettre plus à l’eau ? 

« Il y a des établissements avec une petite sélection qui change, mais ça reste rare. Les restaurants qui n’ont pas une offre en eaux passent à côté de quelque chose. Ils préfèrent sans doute rester dans leur zone de confort car ils ont des contrats avec des grands groupes de distribution d’eau, avec des prix et des offres commerciales derrière. C’est selon le sommelier aussi, la politique de la maison.

Mais une carte des eaux est vraiment complémentaire car il faut penser à toutes les catégories de clients qu’on peut avoir, de la femme enceinte aux personnes qui ne boivent pas d’alcool.

Et c’est aussi un chiffre d’affaires à ne pas négliger, il est facile de créer des ventes additionnelles autour de ce type d’offres. Pour la seule eau des Abatilles, on va écouler pas moins de 1 200 bouteilles de plate et autant de pétillante pendant un seul mois en pleine saison ! ».