L’acétamipride, pas le produit miracle mais utile pour pérenniser la filière
AFP le 07/08/2025 à 12:25
L'acétamipride, insecticide controversé au coeur de la loi Duplomb, ne sera pas le « produit miracle » que les producteurs de betteraves sucrières réclament pour lutter contre le puceron vecteur de jaunisse des plantes, soulignent des experts. Mais les représentants de la filière estiment que le produit reste indispensable dans le panel de solutions techniques.
Depuis l’interdiction des néonicotinoïdes en 2018 en France, les betteraviers sont orphelins des semences qu’ils ont utilisées pendant 25 ans, enrobées par ce type d’insecticides.
L’Union européenne aussi a progressivement interdit ces substances, toxiques pour les pollinisateurs. Seul l’acétamipride y reste autorisé, mais pas en France où une majorité d’agriculteurs la réclament au nom de la loyauté de la concurrence.
Pourtant, l’acétamipride n’a jamais été utilisé pour les betteraves en France, où trois autres molécules lui étaient préférées.
« Contrairement à la petite musique qu’on entend, on ne l’a jamais utilisé en betterave, ni en traitement de semences, ni en traitement de végétation », souligne Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture de l’Inrae jusqu’en janvier.
Le puceron reste un fléau
« Le puceron est un fléau, on n’imagine pas à quel point il se développe. Jusqu’à l’arrivée des néonicotinoïdes, il n’y avait plus beaucoup de produits qui fonctionnaient », dit de son côté Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).
L’acétamipride est pour lui indispensable pour « pérenniser la filière », qui compte 23.000 exploitations sur 400 000 exploitations agricoles françaises. « Les Allemands l’utilisent, donc on sait que ça fonctionne », assure l’agriculteur alsacien, vice-président de la FNSEA.
Objectif: avoir « deux ou trois solutions » pour limiter la résistance des ravageurs, alors que le secteur ne disposera bientôt plus que d’un insecticide « conventionnel » (non néonicotinoïde).
Utilisé en pulvérisations, l’acétamipride n’est certes « pas le produit miraculeux non plus, comme ça l’a été en enrobage », admet-il. « En fonction des années, où vous avez plus ou moins de pression (du virus), on l’utilisera ou pas. »
Toxicité certaine, efficacité incertaine
En termes d’efficacité, l’acétamipride « est un insecticide comme beaucoup d’autres, au temps de couverture un peu plus long », souligne Christian Huyghe. « Les Allemands n’ont pas résolu leur problème de (maladies virales) du seul fait de l’avoir », relève-t-il.
L’Allemagne a accordé en 2025 une dizaine d’autorisations d’urgence pour combattre la jaunisse, le stolbur et le syndrome de basses richesses sur les betteraves, les tournesols, les pois fourragers et les pommes de terre. D’autres pays européens comme l’Autriche et l’Espagne l’utilisent également.
Mais face à des transmissions d’agents pathogènes rapides, cela « ne permet pas une protection complète », souligne le Centre allemand de recherche sur les plantes cultivées. « Faire croire que c’est la solution à tout est une erreur », ajoute Christian Huyghe.
En revanche les impacts de ces molécules, qui attaquent le système nerveux central, sont de plus en plus documentés.
L’acétamipride, jugé moins délétère que d’autres pour les abeilles, est soupçonné d’être un perturbateur endocrinien.
En mai 2024, l’agence européenne de santé Efsa a divisé par cinq les seuils limites d’exposition, au vu des incertitudes sur un potentiel effet nocif sur le système nerveux.
L’Allemagne a d’ailleurs révoqué pour la fin de l’été les autorisations pour une dizaine de légumes et fruits, « les niveaux maximaux de résidus » ne pouvant « plus être garantis ».
L’acétamipride « c’est l’espoir du produit miracle », dit l’écologue Philippe Grandcolas, chercheur au CNRS. Or « ce n’est pas très rationnel » car sur ces parcelles, « à force de cultiver (des betteraves) de manière relativement répétée, depuis pratiquement un siècle, on a malheureusement capturé des virus dans cette culture ».
Quelles alternatives ?
Après un épisode de jaunisse en 2020 (28 % de pertes pour le secteur), le gouvernement a lancé avec betteraviers et scientifiques un plan de six ans pour sortir des néonicotinoïdes.
Des solutions ont émergé, regardées avec circonspection par le président des betteraviers : insecticides appliqués grâce à des modèles d’arrivée des pucerons, répulsif olfactif, plantes « compagnes »… Enfin, les producteurs doivent détruire les résidus de cultures de l’année précédente, encore porteurs du virus, insiste Christian Huyghe, à la tête du comité de coordination technique.
Mais après deux années d’efficacité relative, 2025 voit revenir la jaunisse. En cause, la chaleur de sortie d’hiver, mais aussi la destruction incomplète des résidus, note le chercheur : par endroits, « tout le monde a mis le paquet et la zone a été préservée. Mais ailleurs, si certains agriculteurs ne le font pas bien parce qu’ils ne voient pas à quoi ça sert, tout le monde trinque ».
Demain, il y aura des variétés plus résistantes aux maladies, mais seulement partiellement, et quelques nouveaux insecticides mais aucun ne représentera « la solution avec un grand S », prévient-il.