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Protéines végétales

La saga du soja, une histoire de graines et dépendances


AFP le 04/07/2024 à 10:36
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Malgré des surfaces qui ont doublé ces dix dernières années, la production européenne de soja reste, à 3 Mt dont 450 000 tonnes en France, anecdotique face à celle des États-Unis et du Brésil. (© TNC)

Puissance céréalière, la France a longtemps délaissé le soja, largement importé d'Amérique : cet arbitrage planétaire est le fruit d'un « deal » d'après-guerre, qui a pesé sur le développement d'une filière européenne des protéines végétales, a raconté à l'AFP Xavier Dorchies, directeur de la stratégie du géant des huiles Avril.

Comment expliquer que l’Europe, et la France en particulier, se soit détournée du soja ?

Xavier Dorchies :  « L’histoire du soja et de l’Europe, c’est une formidable saga qui va illustrer des enjeux d’influence géopolitiques, de souveraineté agricole et alimentaire, de commerce international et même d’environnement.

L’essor du soja, un oléagineux venu de Chine, commence après-guerre aux États-Unis, où débute une recherche de substitution progressive à la culture du coton, et surtout avec le développement de l’élevage intensif. Ce modèle d’élevage repose sur la complémentarité dans l’aliment du bétail entre le soja, qui apporte la protéine dans la ration, et le maïs, qui apporte l’énergie.

Les États-Unis exportent ce modèle vers une Europe dont l’approvisionnement en huile [extrait en pressant les graines des oléagineux comme le colza, soja ou tournesol] reposait encore essentiellement sur les anciennes colonies et notamment le Sénégal, avec l’arachide ».

Y a-t-il un accord qui acte ce partage des tâches, avec une Amérique dominant le marché des oléagineux ?

Xavier Dorchies : « Au début des années 60, c’est le fameux Dillon round : il y a eu un compromis, une forme de deal entre l’Europe et les États-Unis, au terme duquel l’Europe a fait le choix de protéger ses céréales par des systèmes de taxes variables à l’importation, et de sacrifier les oléagineux, qui se sont trouvés totalement exposés à la concurrence du soja américain ».

Mais cela va s’arrêter brutalement…

Xavier Dorchies : « Ce système a bien fonctionné jusqu’au coup de tonnerre de 1973 : frappés par une sécheresse exceptionnelle et craignant pour leur propre approvisionnement, les États-Unis décrètent un embargo sur les exportations de soja.

Cela a été le déclencheur de la prise de conscience par l’Europe de sa dépendance en protéines vis-à-vis des États-Unis. D’autant qu’en parallèle, le Brésil et l’Argentine voient le potentiel de marché ouvert par l’embargo et se mettent à développer leur production ».

Comment réagit la France ?

Xavier Dorchies : « Cela lance en France la structuration de la profession, à travers les syndicats de producteurs et les associations interprofessionnelles. Les agriculteurs apportent leur soutien au premier plan protéines, lancé en 1974, et qui, au-delà du soja, avait vocation à développer prioritairement les plantes locales riches en protéines, comme le colza et le tournesol.

En 1983 est créé Sofiprotéol, qui deviendra le groupe Avril, pour trouver des débouchés à la production. Pour cela, Sofiprotéol (fondé par une poignée d’agriculteurs), reprend des usines de trituration en faillite. L’objectif était de maintenir sur le sol français une capacité de transformation ».

Comment le marché a-t-il évolué depuis ?

Xavier Dorchies : « Avec la réforme de la Politique agricole commune en 1992 – puis le protocole de Kyoto en 1997 où on commence à parler de l’incorporation d’énergies renouvelables dans les transports -, la filière obtient la possibilité de cultiver des terres en jachère, à condition que le débouché de ces cultures ne soit pas orienté vers les marchés alimentaires. À cette époque, la Pac cherchait à plafonner la production européenne et à gérer des excédents.

C’est le point de départ de la production de colza pour les biocarburants. C’est finalement grâce à ce débouché des biocarburants que la France prioritairement puis l’Europe vont continuer de réduire leur dépendance en protéines. La France a aujourd’hui une autonomie protéique de 55 % (contre 35% en Europe).

La production mondiale de soja est passée de 30 millions de tonnes dans les années 1960 à 350 Mt en 2020 – dont 100 Mt aux États-Unis et 130 Mt au Brésil. A côté de ces chiffres vertigineux, la production européenne de soja est ridicule, avec environ 3 Mt, dont 450 000 tonnes en France, avec des surfaces qui ont doublé ces dix dernières années.

Pourquoi accompagne-t-on ce développement ?

Parce que le soja reste la plante la plus riche en protéines, fixe l’azote, permettant de réduire les apports en engrais, et qu’elle est une alternative non-OGM et non-issue de la déforestation ».