En quête de renouveau, le vignoble bordelais ressuscite le claret
AFP le 19/08/2025 à 09:57
En mal de consommateurs, le vignoble bordelais poursuit sa diversification en relançant le claret, un rouge clair prisé des Anglais au Moyen-Âge qui se veut aujourd'hui un vin « d'apéro, frais et léger ».
Les acteurs de la filière espèrent faire « de ce premier vin rouge léger d’appellation » la vedette de l’été 2026, avance Christophe Chateau, directeur de la communication de l’interprofession locale.
Le claret – qui se prononce « clarette » – dispose en effet, depuis sa validation au mois de juin par l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), de son propre cahier des charges au sein de l’AOC Bordeaux, où il était mentionné jusque-là sans que ses caractéristiques soient définies.
Le premier vignoble d’appellation de France, qui produit à 85 % des rouges, subit de plein fouet la chute de la consommation de vin, à l’échelle mondiale comme dans l’Hexagone.
Pour reconquérir le public, en particulier les jeunes buveurs, le Bordelais promeut depuis deux ans des vins « frais » – blancs, rosés, doux, effervescents – qui ne sont pas destinés à accompagner les repas mais à concurrencer bières et autres apéritifs.
Il en va de même pour le claret, destiné à être bu « directement sorti du frigo » : « avec moins de tanins, des arômes fruités et de la gourmandise », il veut correspondre « aux modes de consommations qui changent », explique Stéphane Gabard, président du syndicat des Bordeaux et Bordeaux supérieurs.
Apprécié des Anglais
Ce rouge léger – à ne pas confondre avec le clairet, un rosé foncé du Bordelais – est encore méconnu mais du 13e au 16e siècle, son ancêtre coulait à flots dans la région, son principal lieu de production. « C’était un vin nourricier, facile à produire et à consommer, bu comme on mange du pain », évoque Sandrine Lavaud, spécialiste du vignoble bordelais médiéval.
Produit sans pressoir, estimé pour sa clarté et son faible taux d’alcool, il était très apprécié par les Anglais qui ont régné durant trois siècles sur la région après le mariage en 1152 de la duchesse d’Aquitaine, Aliénor, avec Henri II Plantagenêt, devenu roi d’Angleterre deux ans plus tard.
Au début du 14e siècle, « environ 800 000 hectolitres sont exportés chaque année en Angleterre », poursuit l’historienne. Le claret est ensuite tombé aux oubliettes au profit des grands vins de garde rouges, apparus à partir du 17e siècle.
Mais le lien a perduré avec la Grande-Bretagne : 10 000 à 15 000 hectolitres sont toujours commercialisés aujourd’hui, « principalement au Royaume-Uni, où il désigne souvent un rouge classique », souligne Stéphane Gabard.
Plus de sucre
Le vigneron Joël Duffau, dans l’Entre-Deux-Mers, a déjà parié sur le rouge léger il y a deux ans en produisant un « French Claret », dans lequel il « croit vraiment » même si la production reste pour l’heure modeste, avec un hectare dédié sur les 24 de son vignoble.
« Ce qui est amusant dans cette histoire, c’est qu’on se sert d’une dénomination historique pour faire un produit hyper moderne », résume Christophe Chateau.
Les mêmes cépages (cabernet sauvignon et merlot principalement) sont utilisés, c’est le mode de vinification qui diffère pour obtenir « un vin avec une structure légère, souple, gourmande », explique Stéphane Gabard.
Gage d’une plus grande « buvabilité », jusqu’à sept grammes de sucres résiduels par litre ont été autorisés par l’Inao, contre trois pour un bordeaux rouge traditionnel. L’édulcoration que réclamaient les Bordelais – ajout de moûts de raisin, avant la mise en bouteille, pour adoucir le vin – a cependant été écartée. Le degré d’alcool n’est pas précisé mais il devrait avoisiner 12 degrés.
Dans un vignoble ramené à 95 000 hectares par des plans d’arrachage destinés à réduire une production excédentaire, le claret ne devrait représenter initialement qu’un 1 à 2 % des surfaces cultivées, indique le président du syndicat des Bordeaux et Bordeaux supérieurs.
En espérant que ce marché de niche se développera : « atteindre 10 % d’ici une quinzaine d’années serait une très belle réussite », considère Stéphane Gabard.