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Modulation intra-parcellaire

En Lorraine, « moins d’engrais » grâce aux secrets révélés des sols


AFP le 27/02/2023 à 09:50

Sous le soleil d'hiver, les jeunes pousses d'orge forment un uniforme tapis vert tendre. Mais sous la surface, Eric Ladoucette a découvert l'extraordinaire diversité de ses terres lorraines grâce à un diagnostic précis qui lui permet de mettre « moins et mieux d'engrais ».

Ce céréalier de 56 ans, qui exploite quelque 200 hectares de blé, d’orge et de tournesol en Meurthe-et-Moselle, a pratiquement réduit de moitié ses épandages d’engrais minéraux en adoptant le principe de la « modulation intra-parcellaire ». En clair, il s’agit d’arrêter d’arroser uniformément ses champs avec des engrais chimiques, hors de prix et générateurs de gaz à effets de serre, pour apporter la réponse précise aux besoins de chaque hectare d’une parcelle, après un diagnostic effectué par l’entreprise Be Api, filiale du premier groupe coopératif français Invivo.

« J’en avais assez d’apporter une dose unique dans des parcelles où le rendement va du simple au triple. Je savais bien que j’arrosais trop ou pas assez selon les endroits. Mais dans le doute, on met (des produits) », explique Eric Ladoucette à l’AFP.

En 2018, un apprenti employé sur son exploitation lui signale une présentation de « l’agriculture de précision intra-parcellaire » (API) au lycée agricole voisin de Bar-le-Duc. « Ça m’a fait réfléchir. A plus de 50 ans, on a un peu fait le tour du métier, je commençais à m’ennuyer et je voulais faire mieux », dit-il.

C’est Gaëlle Humbert, référente Be Api au sein de sa coopérative (EMC2), qui le convainc de s’engager dans la démarche. « On effectue d’abord un diagnostic : c’est une photographie des parcelles, d’un point de vue chimique – analyse des teneurs en phosphore, potasse, argile… – et de leur potentiel – réserve utile en eau, richesse organique », explique-t-elle.

L’hiver 2020-21, les terres d’Eric Ladoucette se transforment en vaste chantier : des trous d’1m80 de profondeur et de deux mètres de diamètre sont creusés tous les 80 ares.

Sa part « pour la planète »

Un pédologue vient analyser la qualité des sols : les différentes strates de terre et leur usage au fil du temps, la profondeur à laquelle descendent les racines, la présence de vers de terre. « Je connaissais mes champs, mais j’ai eu des surprises », relate Eric Ladoucette.

La cartographie de ses terres est « un voyage dans le temps » : elle révèle une tranchée de la Première Guerre mondiale, quand la ligne de front traversait ses champs, et met au jour un alignement de micro-parcelles où les pratiques étaient différentes.

« Sur une parcelle, un agriculteur « fumait » beaucoup (épandait du fumier) et la teneur en phosphore y est plus élevée qu’ailleurs », raconte le céréalier.

Toutes les données sont converties en cartes, qui détaillent les besoins en engrais selon les cultures, puis transférées sur l’ordinateur de bord du tracteur, équipé d’un GPS, pour délivrer la dose précise de chaque produit.

« Avant, je mettais partout 150 kg par hectare de Super 45 – un engrais phosphaté -, aujourd’hui je suis à une moyenne de 75 kg, avec des zones où je ne mets rien et des zones où je vais jusqu’à 250 kg », détaille le céréalier. En revanche, il n’épandait pas de potasse et a mis deux tonnes au total pour 2023.

L’objectif, explique Gaëlle Humbert, est à la fois de diminuer le volume d’engrais appliqué et d’augmenter les rendements, en apportant juste ce qu’il faut aux plantes.

Dès le début, ses voisins non-agriculteurs l’ont encouragé, quand les vieux paysans du coin étaient très sceptiques sur la démarche et l’investissement de départ : 28 000 euros pour le diagnostic et dix ans de suivi.

Lui « ne regrette rien » : « J’ai le sentiment de faire ma part pour la planète ». Et pour son fils, qui héritera des terres.

En cinq ans, Be Api a diagnostiqué près de 250 000 hectares, soit « 25 % des analyses de terre en France » : reflet d’un moment de bascule vers la transition agroécologique pour ses dirigeants.

Eric Ladoucette n’envisage pas d’aller plus loin, mais certains jeunes agriculteurs engagés avec Be Api panachent engrais minéraux et organiques. « La motivation environnementale est de plus en plus forte », estime Gaëlle Humbert, qui a vu en un an doubler le nombre de producteurs engagés dans un diagnostic.