En Bourgogne, la fronde des riverains des vignes
AFP le 15/09/2025 à 09:15
« On est au paradis » : depuis sa terrasse en Bourgogne, Alain Roux contemple une magnifique perspective faite de collines douces tapissées de vignes. Mais « on ne peut pas en profiter », au moins pendant la période d'épandage, déplore-t-il.
De mai à août, « quand ils traitent les vignes, on s’en prend plein la g… », regrette cet habitant du bien nommé Saint-Amour-Bellevue (Saône-et-Loire), 73 ans, dont la résidence est à cinq mètres des premiers ceps de gamay qui donnent ce cru réputé de beaujolais.
« On a un, deux, trois, quatre viticulteurs autour de nous, dont un seul en bio », compte Alain en pointant du doigt les parcelles qui l’encerclent. « Il y a tout le temps du vent ici. Quand ils passent avec leur engin, des gouttelettes nous tombent dessus. » « Un jour, on était en train de dormir. Il faisait chaud, on avait ouvert la fenêtre », raconte le retraité. « Ils sont passés très tôt le matin pour traiter. On n’a pas eu le temps de fermer. On s’en est pris plein notre lit. » A raison d’une dizaine de traitements par an, Alain Roux finit par se demander si, depuis 21 ans qu’il habite ici, les pesticides ne sont pas la cause des « maux de tête et diarrhées » qu’il a « le soir après les traitements ».
« Notre chat est mort. Notre chien est mort. Tous les deux après des problèmes d’estomac », dit-il, reconnaissant « ne rien pouvoir prouver ».
Comme très souvent en Bourgogne, les vignes recouvrent le moindre mètre carré, longeant les façades, s’immisçant dans les jardins, encerclant les écoles…
C’est le cas de la maternelle de Viré où étaient scolarisés les trois enfants de Marine Pasquier : « En 2015, les élèves jouaient dans la cour de récré et, d’un seul coup, des viticulteurs ont traité. Les enfants se prenaient des gouttelettes », se souvient-elle.
La mère, elle-même professeure dans une autre école, décide alors de fonder le « Collectif mâconnais pesticides et santé » (CMPS), qui compte environ 80 membres aujourd’hui.
« Menaces de mort »
Mais, dans cette Bourgogne où la vigne est non seulement un poumon économique, mais également l’âme d’un pays, critiquer sa culture est un tabou difficile à défier.
« J’ai reçu des menaces de mort, ma voiture a été cassée. On m’a foncé dessus avec un tracteur… », affirme Alain Roux.
« On est assimilé à des néo-ruraux », comme ceux qui se plaignent du chant du coq une fois arrivés dans leur nouveau village, dit Marine Pasquier. « Mais on est là depuis 25 ans ! » Devant la fronde de certains riverains, les autorités ont réagi, instaurant une « ZNT », Zone de non traitement, autour des vignes.
Mais la règlementation est d’une complexité kafkaïenne : dépendant de chaque préfecture, elle impose une distance de sécurité allant de zéro mètre (pour les produits bios inoffensifs) à vingt mètres (pour les produits « présentant des mentions de danger préoccupantes »), avec une gradation dépendant des produits et de la force du vent.
De plus, les « traitements obligatoires » ne sont pas concernés, comme ceux contre la flavescence dorée, nouveau fléau mortel qui ravage la vigne.
« De toute façon, les règles de distance ne sont jamais respectées », assure Alain Roux, qui certifie également que les viticulteurs « ne préviennent pas » en amont des traitements.
« Ca me surprend », répond Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB). M. Huber rappelle qu’une « Charte d’engagement pour le bien-vivre ensemble », mise à jour en 2022, impose, en plus des règles de distance, un devoir « d’information » des riverains de vignes.
« On ne nous a jamais prévenu », assure une riveraine de vignes, Virginie Hennebaut, 49 ans, qui raconte à l’AFP : « on mangeait en terrasse avec notre bébé. D’un seul coup, ils sont venus traiter. On a tout rangé… ».
Près de dix ans après la création du collectif, la présidente, Marine Pasquier, dit espérer « faire bouger les mentalités » mais avoue qu’il y a eu « peu de prise de conscience des viticulteurs, sauf ceux qui passent en bio ».
Et de regretter : « malheureusement, la prise de conscience viendra d’une explosion des maladies ».