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Commercialisation des céréales

En 2023/24, le blé tendre français face au défi des exportations


TNC le 25/08/2023 à 14:22
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Depuis 10 jours, le blé français à l'export revient dans la course à la compétitivité avec l'origine russe.

Malgré une production moyenne de blé tendre en 2023, la France devrait disposer d’importants volumes exportables en raison d’une demande intérieure modérée, prévoit Agritel. Et les exports vers les pays tiers représentent un véritable challenge en termes de compétitivité.

La récolte française de blé tendre doit encore trouver sa place à l’export sur la campagne de commercialisation 2023/24. C’est ce qu’a expliqué Alexandre Marie, chef analyste pour Agritel (Argus Media France) lors d’une conférence organisée à Paris le 24 août.

Il est revenu sur la production 2023, estimée par le cabinet à 34,8 Mt : un chiffre « moyen » au vu des « superbes potentiels » de rendement attendus au printemps mais altérés ensuite par « les vents séchants en Beauce et dans le Grand Est », synonymes de déficit hydrique.

Agritel évalue à 73 q/ha le rendement national de blé tendre pour la récolte 2023, soit 1,4 % de plus que la moyenne quinquennale, alors qu’il était attendu entre 76 et 79 q/ha en mai

Si « des pluies significatives » dans le nord et le nord-est en fin de moisson ont dégradé la qualité et mèneront à des déclassements en blé fourrager dans ces zones, « l’essentiel de la production est apte à répondre à la demande » en qualité.

Poids spécifiques au-dessus de 76 kg/hl et taux de protéines dépassant la moyenne : la majorité du cru 2023 correspond « aux critères d’exportation, de la meunerie domestique et de l’amidonnerie ».

L’inflation en rayons limite la demande intérieure

En quantité, la production répondra d’autant plus à la demande domestique que celle-ci « baisse en tendance » et s’annonce « modérée » en 2023/24. En cause : l’inflation qui reste forte dans les grandes et moyennes surfaces.

« Il y a un temps de réponse d’au moins une année entre le prix de la matière première et celui du produit transformé puis mis en rayon », explique Alexandre Marie. Si bien que malgré la détente des cours du blé observée depuis quelques mois, « la consommation reste questionnable », notamment dans les secteurs de la meunerie et de l’amidonnerie.

Selon Agritel, l’utilisation domestique du blé tendre atteindrait 14,55 Mt en 2023/24 (contre 14,3 Mt en 2022/23 et 14,9 Mt en 2021/22, selon FranceAgriMer). Ce chiffre se répartirait ainsi : 9,95 Mt pour la demande locale en amidonnerie, meunerie, éthanolerie, etc. et 4,6 Mt pour la fabrication d’aliments du bétail (FAB).

Dans le secteur de la FAB, la demande est non seulement malmenée par l’inflation, mais aussi parce que « les cheptels, notamment avicoles et porcins, restent fragilisés ».

Les difficultés rencontrées par l’élevage français ont mené à une baisse graduelle de la mise en œuvre de céréales par la FAB ces dernières campagnes. Pour 2023/24, Agritel l’estime un peu au-dessus de 8 Mt : « dans la fourchette basse, mais un peu mieux que l’an dernier parce que le rapport de prix entre céréales et tourteau est aujourd’hui à l’avantage des céréales ».

La « bonne compétitivité du blé par rapport au maïs en début de campagne », associée à « la décote du blé fourrager », devrait favoriser les incorporations de blé, estimées à 4,6 Mt pour 2023/24 : dans la moyenne quinquennale, mais loin des 5,2 à 5,6 Mt de la période 2015-2018 et des quasi 7 Mt d’il y a 20 ans.

17 Mt de blé tendre français devront trouver leur place à l’export

La faiblesse de la demande domestique laisse un volume disponible exportable « conséquent » de 17 Mt. Le débouché potentiel vers les pays de l’Union européenne est estimé à 7,5 Mt, porté par des flux soutenus vers la péninsule ibérique (2,3 Mt, contre 1,74 Mt en moyenne quinquennale), qui a été marquée cette année par « un incident majeur de récolte ».

Les importations d’Ukraine devraient en revanche limiter les exportations de blé français vers le nord de l’UE (Allemagne, Pays-Bas, Belgique), pour l’instant estimés à 3,9 Mt contre 4,24 Mt en moyenne sur les cinq dernières campagnes.

« Atout intéressant du blé français » : la part de déclassement est moindre par rapport à l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, très impactés par les excès d’eau des 30 derniers jours. « Le blé meunier pourra se valoriser vers le nord de la communauté, en revanche le surplus de blé fourrager sera en compétition avec tout le blé fourrager produit par les partenaires de l’UE et par le flux d’import ukrainien ».

D’après les estimations de FranceAgrimer présentées mi-juillet, la France a exporté 16,5 Mt de blé tendre sur la campagne de commercialisation 2022/23, dont 6,4 Mt vers les pays de l’UE et 10,1 vers les pays tiers.

Les marchés algérien et marocain sont devenus plus concurrentiels

Une fois le marché domestique et le marché communautaire desservis en blé tendre, tout le « challenge » est alors de réaliser vers les pays tiers le potentiel d’export restant de 9,5 Mt. Pour cela, la France va devoir reconquérir ses marchés traditionnels, explique Alexandre Marie.

La Chine a connu un « accident qualitatif cette année à cause d’excès d’eau » et serait demandeuse d’environ 1,15 Mt de blés meuniers français, un peu plus qu’en 2022/23. « La performance est aussi réalisable » du côté de l’Afrique subsaharienne, grâce à la proximité géographique et à des qualités au rendez-vous.

Agritel estime pour l’instant à 3 Mt le stock français de fin de campagne en blé tendre, un volume « confortable » qui laisse « la ressource pour exporter 500 000 t » de plus que les 17 Mt annoncés, en fonction des événements à venir sur le marché du blé et « notamment de la pérennité des flux de la mer Noire ».

Les partenaires historiques que sont l’Algérie et le Maroc sont en revanche devenus des marchés plus concurrentiels ces dernières années. Pour faciliter les importations de blés originaires de la mer Noire, la première a modifié son cahier des charges en 2021 et le second vient de revoir son système de restitutions à l’exportation.

En 2023/24, la France exporterait 4,3 Mt de blé tendre vers ces deux destinations cumulées, une « performance moyenne » si on regarde dans le rétroviseur : ces expéditions avaient plusieurs fois dépassé 7 Mt entre 2013/14 et 2019/20.

Du côté de l’Égypte, qui représente ces dernières années une part modérée des exportations françaises, « les conditions de paiement sont assez désastreuses » et enchérissent les propositions commerciales françaises par rapport à la concurrence de la mer Noire.

Le blé français revient dans la course à la compétitivité avec la Russie

Pour reconquérir ces destinations de proximité du Maghreb, « le blé français devra rester compétitif » tout au long de la campagne face à la concurrence de la mer Noire, surtout de la Russie.

Ça n’a pas été le cas, loin de là, entre mai et juillet : avec des écarts dépassant parfois les 40 $/t en faveur de l’origine russe, « le blé français n’était pas capable de remplir les carnets de commande à l’exportation vers les pays tiers ».

De fait, les craintes liées aux vents séchants ont mené à « une rétention très forte » des blés français en mai et « la prime de risque payait beaucoup sur Euronext ». Tandis que côté russe, « le potentiel est toujours resté très important » grâce au record de production de l’an dernier : « ils se sont positionnés comme à l’accoutumée, quelques mois avant la récolte », avec des prix particulièrement concurrentiels descendus jusqu’à des planchers de 220-225 $/t.

Mais la donne change depuis quelques semaines, avec d’une part « un travail d’amélioration du prix de l’origine France » et une remontée des prix russes liée à « des retards de récolte, des tensions logistiques internes et à la prime d’assurance de fret qui reprend de l’ampleur à cause de l’insécurité maritime ».

Si bien que le prix du blé français est depuis 10 jours au coude à coude avec les origines de la mer Noire. « Cela devrait permettre de matérialiser des ventes à l’exportation qui sont pour l’instant modérées », conclut l’analyste.