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Procès

Deux figures du Bordelais réfutent avoir influé sur le classement Saint-Emilion


AFP le 21/09/2021 à 09:45

Deux grands figures du Bordelais, dont le copropriétaire du célèbre Angélus, ont réfuté lundi avoir influé sur l'élaboration du classement 2012 des grands crus de Saint-Emilion, comme les en accusent trois propriétés familiales qui ont vu « le ciel leur tomber sur la tête » après leur déclassement.

Hubert de Boüard, 65 ans, et Philippe Castéja, 72 ans, important négociant et propriétaire de château Trotte Vieille, répondent jusqu’à mardi de « prise illégale d’intérêt » devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour leur implication présumée, à des degrés divers, dans ce classement synonyme de retombées commerciales et financières conséquentes.

En 2012, la nouvelle hiérarchie a promu Angélus premier grand cru classé « A », au sommet de la pyramide, et maintenu Trotte Vieille « B ». Huit autres propriétés où M. de Boüard jouait un rôle (consultant ou superviseur) étaient récompensées (sur 82 distinguées).

Or les deux prévenus, qui risquent jusqu’à 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende, étaient membres du comité national des vins de l’INAO, rattaché au ministère de l’agriculture. Cet organe a validé le règlement du classement et ses résultats, élaborés par une commission dont il avait nommé les membres.

M. de Boüard était également membre de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) des vins de Saint-Emilion, qui a participé à l’élaboration du cahier des charges avec l’INAO selon l’instruction.

« En aucun cas je n’y ai participé », s’est défendu M. de Boüard, qui s’est présenté comme simple « vigneron », quand le président du tribunal lui signalait des « allers et venues continuelles » d’e-mails entre l’ODG et l’INAO. « À l’INAO, j’ai respecté la règle du début à la fin », a ajouté le prévenu. « Je me suis abstenu de voter sur la liste des membres de la commission de classement », a-t-il dit.

Zone grise du dossier, les écrits de l’INAO ne permettent pas de savoir précisément qui a dit ou fait quoi à telle réunion.

M. Castéja, moins actif que son coprévenu selon l’enquête mais sur la même ligne de défense, a assuré n’avoir « jamais participé aux décisions de l’INAO » sur le classement. Il a fait valoir ses « racines médocaines », autre grand terroir bordelais, pour expliquer qu’il « connaissait très mal » le dossier Saint-Emilion.

« Ecœurement total »

Fille du propriétaire de Corbin-Michotte, un des châteaux plaignants, Isabelle Boidron a témoigné de l’« écœurement total » des trois générations d’exploitants quand le couperet est tombé en 2012 : « 60 ans de travail détruits pour mon père », dont le vin avait toujours été classé.

Elle a affirmé avoir « rapidement » compris que son château était victime d’« irrégularités » et de « malveillance ». Un « comité informel » de quatre personnes de l’ODG, dont M. de Boüard, a échangé pendant un an et tous ont été classés ou promus, a-t-elle assuré. « Et maintenant, nous sommes le mouton noir de Saint-Emilion », a-t-elle regretté, citant des vexations subies par sa famille.

La longue procédure a connu de multiples rebondissements, notamment en 2019 un rare appel par le parquet de Bordeaux – qui avait requis un non-lieu – de la décision de renvoi en correctionnelle. « Une situation particulière », a admis le président.

La position du représentant du ministère public, mardi, sera particulièrement scrutée : cherchera-t-il à « sauver les soldats de Boüard et Castéja », comme l’avocat des plaignants Éric Morain suspecte le parquet d’avoir voulu faire jusque-là ? Malmené en justice, avec un autre contentieux – administratif – en cours depuis neuf ans, le classement 2012 est également bousculé en interne puisque les historiques châteaux Ausone et Cheval-Blanc, premiers grands crus classés « A » depuis l’origine, n’ont pas candidaté pour 2022. Ils jugent que la notation laisse trop de place à des « éléments secondaires » (notoriété, accueil du public, etc) face aux « fondamentaux » (terroir, dégustation etc).

Témoin appelé lundi par les parties civiles, l’œnologue bordelais Franck Dubourdieu a assuré que les classements renouvelables comme celui de Saint-Emilion (tous les dix ans) étaient « malades » à cause de « dérives sur fond d’enjeux financiers parfois énormes ».