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Classement controversé de Saint-Emilion

Deux figures du Bordelais devant la justice


AFP le 18/09/2021 à 08:55

Deux grandes figures du vignoble bordelais ont-elles été juges et parties dans l'élaboration du classement 2012 des grands crus de Saint-Emilion ? Le tribunal correctionnel de Bordeaux entame lundi un procès de deux jours qui pourrait aussi être aussi celui d'un système.

Il est reproché à Hubert de Boüard, copropriétaire du célèbre château Angélus et consultant viticole, et à Philippe Castéja, négociant et propriétaire de château Trotte Vieille, une « prise illégale d’intérêt » dans le processus de classement, le seul au sein des grands vins de Bordeaux à être révisable (tous les dix ans).

Comme le note la cour d’appel de Bordeaux, qui a donné le feu vert à un procès après 10 ans de multiples rebondissements judiciaires, ce classement ouvert aux propriétés de l’appellation Saint-Emilion Grand Cru est « déterminant pour la notoriété et la valorisation financière et commerciale des lauréats » sur un marché des vins de Bordeaux qui se compte en milliards d’euros.

MM. de Boüard et Castéja étaient tous deux membres du comité national des vins de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), établissement public rattaché au ministère de l’Agriculture, qui a validé le règlement du classement puis ses résultats, arrêtés par une commission indépendante.

M. de Boüard, plus actif que M. Castéja d’après l’enquête, était également membre de l’organisme de gestion des vins de Saint-Emilion, organe qui a participé à l’élaboration du règlement du classement avec l’INAO selon l’instruction.

En 2012, Angélus avait été promu premier grand cru classé A, au plus haut, et Trotte Vieille maintenu comme premier grand cru classé B. Sept autres propriétés pour lesquelles M. de Boüard était consultant avaient été récompensées au classement.

« C’est comme si quelqu’un qui passait l’examen du bac rédigeait lui-même les sujets », assure Eric Morain l’avocat des parties civiles, trois propriétés familiales (Croque-Michotte, Corbin-Michotte et La Tour du Pin Figeac) recalées et qui ont entamé leur combat judiciaire début 2013.

« De la marque et pas du raisin »

L’avocat dénonce l’attitude du parquet de Bordeaux, qui avait fait appel de la décision de renvoi de la juge d’instruction.

« Je ne connais pas d’autre procédure dans laquelle un parquet a fait cela, hormis quand ça concerne un gendarme ou un policier », dit-il. « Il fallait absolument sauver les soldats de Boüard et Castéja… », des grands noms du Bordelais à l’influence considérable.

Selon Me Morain, « ce procès remet l’église au milieu du village ». « On va parler d’un système qui ne dit pas au consommateur que la note de dégustation ne compte que pour 30 % dans le classement », ajoute-t-il, le reste mesurant la notoriété, l’accueil des châteaux etc. « Un système qui vend de la marque et non plus du raisin ».

Les deux prévenus ont toujours nié les accusations de conflit d’intérêts et leur défense, dont l’avocat Antoine Vey, a fait valoir qu’ils se sont « systématiquement déportés » des délibérations pouvant concerner le classement.

L’enquête n’a en outre pas permis d’établir qu’ils avaient pris part à des votes.

Parallèlement, un contentieux administratif est toujours en cours contre le classement 2012 qui était pourtant censé remplacer le classement 2006, annulé par la justice administrative après -déjà- des recours.

Le sort judiciaire du classement 2012 pourrait donc ne pas être connu avant la publication de son remplaçant, en 2022.