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Saint-Emilion

Deux châteaux maillots jaunes quittent la course au classement


AFP le 16/07/2021 à 15:41

Le Tour de France sillonne samedi l'un des plus célèbres vignobles du monde sans se douter que son microcosme feutré vient de vivre un petit séisme : deux des châteaux « maillots jaunes » de Saint-Emilion ont décidé de ne pas prendre le départ du prochain classement décennal des grands crus.

Ausone et Cheval Blanc, seuls châteaux à avoir été classés « A » depuis la création dans les années 50 du classement des grands crus de Saint-Emilion, ne sont pas candidats à l’édition 2022, en cours d’élaboration sous l’égide de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Un nouveau coup dur pour cette classification de référence du Bordelais, véritable enjeu commercial et financier pour les propriétés et dont la version actuelle, actée en 2012, est contestée en justice depuis huit ans.

« Nous ne nous retrouvons pas dans les critères » de notation, qui « s’éloignent trop de ce qui nous semble fondamental : le terroir, le vin, l’histoire », explique Pierre Lurton, directeur de château Cheval Blanc (LVMH) dans le site spécialisé Terre de Vins, qui a révélé l’information. Selon lui, des « éléments secondaires » ont trop d’importance. En cause : le poids accordé à des critères non liés à la qualité du vin comme les réseaux sociaux, l’œnotourisme, la réception des visiteurs ou la renommée dans ce premier vignoble inscrit par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’Humanité. Même son de cloche chez Ausone, dont certains millésimes atteignent les 1 000 euros la bouteille. « La partie terroir et dégustation occupe une part trop minime (dans la notation) par rapport au réceptif ou aux réseaux sociaux », assure la directrice de cette propriété familiale, Pauline Vauthier. Le classement prévoit la dégustation des quinze dernières années, « mais c’est sur une durée beaucoup plus longue que l’on doit juger les grands vins », ajoute-t-elle.

Président du Conseil des vins de Saint-Emilion, Jean-François Galhaud « regrette » la décision de ces « deux stars », qui « tournent un peu le dos au collectif ». À Saint-Emilion, le classement actuel concerne environ 1 300 des quelque 5 000 hectares de vignoble. « Mais quand deux joueurs vedettes quittent un club de foot, il n’en meurt pas pour autant », dit-il à l’AFP en défense d’un classement « moderne », « ascenseur social » des producteurs et « censeur » les obligeant à se remettre en question. Contrairement à un autre grand classement du Bordelais, celui de 1855 (Médoc, Sauternes), gravé dans le marbre.

« Colosse aux pieds d’argile »

Le patron de l’interprofession des vins de Bordeaux, Bernard Farges, reste prudent sur le « choix d’entreprise » d’Ausone et Cheval Blanc. « Mais je constate quand même que Saint-Emilion est une zone qui ne baisse pas en termes de dynamique, de communication, de visiteurs ».

Pour Me Eric Morain, la décision des deux fleurons du vignoble est « courageuse » et « remet l’église au milieu du village ». « Elle nous dit : « Parlons d’autre chose que ce chai construit par tel architecte mondialement connu ou de ce vin qu’on voit dans le dernier James Bond… » », souligne à l’AFP l’avocat de trois châteaux non classés en 2012 et qui ont attaqué le classement. Selon Me Morain, « il y aura d’autres coups de béliers » contre ce classement, un « colosse aux pieds d’argile ».

En septembre, deux figures influentes de Saint-Emilion, Hubert de Boüard (Angélus) et Philippe Castéja (Trottevieille), seront jugés en correctionnelle, soupçonnés de « prise illégale d’intérêts » pour avoir participé au processus de classement de 2012 alors que leurs châteaux étaient candidats. La justice administrative va aussi devoir examiner au fond la validité de ce classement, après un arrêt du Conseil d’Etat en février.

Côté INAO, on souligne « la grande stabilité des critères de notation à travers le temps » et l’on rappelle que la dégustation comptera pour 50 % de la note en 2022 (pour les premiers grands crus classés), contre 30 % en 2012. Laurent Fidèle, délégué territorial pour l’Aquitaine Poitou-Charentes, assure à l’AFP qu’en 2012, « l’œnotourisme représentait 0,2 point sur 20, la communication digitale 0,3 et la notoriété 0,3 », évoquant « un malentendu sur l’interprétation des critères ». L’INAO assure aussi avoir enregistré « plus de candidats » pour 2022 qu’en 2012. Signe que le classement de Saint-Emilion attire toujours.