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Céréales à paille

Des semences actrices de la santé des cultures


TNC le 12/07/2021 à 06:03
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Maladies, ravageurs, gel, sécheresse… les céréales à paille affrontent de nombreux stress pour fournir en fin de cycle une production suffisante en quantité et qualité. Au début d’un parcours semé d’embûches, beaucoup d’espoir repose sur les semences. Elles offrent déjà des tolérances élevées aux virus et aux maladies. La génétique, le biocontrôle et la nutrition promettent d’autres progrès au prix d’efforts de recherche très importants.

Le printemps 2021 vient de le rappeler très durement : les cultures peuvent être soumises à des pressions climatiques importantes tels que le gel, la sécheresse ou encore l’excès d’eau. Outre ces stress dits « abiotiques » (non liés à des êtres vivants), elles subissent les assauts de bioagresseurs (ravageurs, maladies), eux-mêmes influencés – et parfois renforcés – par l’évolution du climat. Les trente dernières années ont connu des températures moyennes supérieures de 1°C à la période 1960-1990 et une fréquence accrue des évènements extrêmes (excès d’eau, sécheresse) associée à une plus forte variabilité interannuelle des conditions de culture. Ces phénomènes devraient s’accentuer dans le futur.

En quarante ans, il y a eu une très nette amélioration des résistances des variétés de céréales à paille, Philippe Du Cheyron, du pôle Variétés, génétique et semences d’Arvalis-Institut du végétal.

Par ailleurs, pour lutter contre les stress biotiques, les agriculteurs sont de plus en plus contraints de réduire leurs usages de produits phytosanitaires et les solutions homologuées se raréfient. Parmi les leviers agronomiques favorables à des systèmes de culture plus résilients figure l’offre en semences et plants, notamment en variétés tolérantes voire résistantes à des stress de natures diverses. Ces qualités peuvent être issues du patrimoine génétique des plantes, mais aussi de traitements appliqués au matériel végétal (enrobage, pelliculage des semences), si possible avec des solutions de biocontrôle et de biostimulation respectueuses de l’environnement et de la santé des utilisateurs. 

« En quarante ans, il y a eu une très nette amélioration des résistances des variétés de céréales à paille, observe Philippe Du Cheyron, du pôle Variétés, génétique et semences d’Arvalis-Institut du végétal. L’avancée génétique s’exprime de manière progressive. Il faut plusieurs années pour en mesurer les effets. » D’après les calculs sur les quinze dernières années, la résistance moyenne des variétés de blé tendre inscrites au catalogue français est stable à un niveau intermédiaire pour la rouille brune (note 5) et à un niveau élevé pour la rouille jaune et l’oïdium (note 6). Concernant la septoriose, la progression est marquée avec le gain d’un point (de 5,2 à 6,2).

Évolution des notes de résistance aux maladies des variétés de blé tendre à l’inscription au catalogue français (©Arvalis-Institut du végétal)

De même, la résistance moyenne à la fusariose a progressé de 4 à 4,7 : la proportion de surfaces cultivées avec des variétés résistantes (note 5 et plus) est passée de 30 à 55 % entre 2005 et 2020. Pour le piétin-verse, les variétés résistantes occupent désormais 20 % des surfaces (5 % en 2005). Quant aux blés sensibles à la verse, ils ne représentent plus que 5 % des assolements.

Un seul traitement d’ici dix ans

Responsable des stratégies de sélection en céréales de Syngenta pour l’Europe, Yann Manes confirme ces progrès. « Les trois premières variétés de blé multipliées en 2019 et 2020 ont une note de résistance à la septoriose de 7 ou plus, constate-t-il. Mais le challenge reste important pour réduire les traitements. Nous sommes actuellement à deux interventions en moyenne : l’objectif est de passer à un seul traitement d’ici dix ans sans diminuer le rendement. Nous devons progresser sur la durabilité des résistances, en les diversifiant afin qu’elles soient plus difficiles à contourner par les bioagresseurs. » C’est aussi l’avis que partage Anne-Marie Bochard, responsable du portefeuille de variétés de céréales à paille pour Limagrain Europe.

Elle évoque par ailleurs la nécessité du temps long et de l’anticipation pour obtenir des avancées : « Il s’agit d’un travail d’amélioration continu. Concernant, par exemple, le virus de la jaunisse nanisante de l’orge d’hiver (JNO), devenu plus problématique avec la prolifération des pucerons pendant les hivers doux et la disparition des traitements de semences, nous y travaillons depuis vingt ans. La difficulté était que les gènes de tolérance étaient associés à de gros défauts agronomiques. Mais aujourd’hui, nous avons des orges sur le marché : Rafaela inscrite en 2014, puis LG Zebra en 2018, suivie de LG Caiman et LG Zenika en 2021. » Du côté des blés, Limagrain a inscrit en 2016 la variété LG Absalon cumulant des niveaux élevés de résistance à l’oïdium (8), la septoriose (7,5), la rouille brune (7) et la rouille jaune (6).

« Tous les semenciers travaillent depuis longtemps sur les maladies fongiques et virales, déclare Anne-Marie Bochard. Concernant les stress abiotiques, c’est plus difficile, car ils sont très complexes à caractériser et multigéniques. Par exemple, l’effet d’un pic de froid ou de la sécheresse sera différent en fonction du stade de la plante. Pour faire face à ces aléas avec des plantes plus résilientes, nous développons des outils de sélection innovants et nous élargissons notre base génétique grâce à notre réseau de recherche international et aux collaborations avec les instituts publics. »

Diversifier les sources de résistance

En parallèle de leurs programmes de sélection, les semenciers s’investissent en effet aux côtés de la recherche publique dans des projets visant à explorer collectivement la diversité génétique des espèces cultivées et à mettre au point des outils pour accélérer la création variétale. C’est le cas de BreedWheat, qui a rassemblé 28 partenaires de 2011 à 2020. « Il s’agit de partager l’effort financier d’une recherche de plus en plus coûteuse, explique Sébastien Chatre, directeur de la recherche de RAGT. Les connaissances et outils générés sont ensuite exploités dans nos programmes de création variétale ; l’étude des ressources génétiques permet d’intégrer de nouvelles diversités. Ainsi, nous avons lancé l’an dernier au Royaume-Uni RGT Wolverine, le premier blé tolérant à la JNO. »

Comme Syngenta, Limagrain, RAGT et d’autres, KWS Momont fait partie des semenciers participant à plusieurs consortiums de recherche publique/privée. « Sur les maladies fongiques et virales, l’effort est ancien et constant, affirme Philippe Momont, responsable de la sélection blé en France. Les projets collectifs d’évaluation du matériel génétique nous apportent de nouvelles ressources pour diversifier les sources de résistance et les cumuler. » Le semencier a ainsi inscrit depuis 2018 KWS Extase (7 en septoriose, rouille jaune et oïdium, 6 en rouille brune), KWS Tonnerre (6,5 en septoriose, 7 en rouilles et oïdium) ainsi que KWS Ultim (6 en piétin-verse, résistante mosaïque et cécidomyie orange). « Certaines orientations de recherche sont plus récentes, comme la résistance à la JNO et à la maladie des pieds chétifs qui émerge, poursuit le sélectionneur. En ce qui concerne les stress abiotiques tels que la sécheresse, c’est plus compliqué. Nous sommes davantage dans une phase d’évaluation de matériel génétique que de préparation de variétés commerciales. »

Le levier génétique ne sera pas suffisant

Coordinateur du projet BreedWheat et directeur de recherches à l’Inrae de Clermont-Ferrand, Jacques Le Gouis confirme la complexité de mettre au point des variétés résistantes à la sécheresse. « En réalité, il y a plusieurs types de sécheresses, précise-t-il. Nous avons travaillé avec Arvalis sur différents scenarii, et cherché à identifier pour chacun les variétés résistantes et sensibles. La sécheresse peut intervenir de façon précoce vers mars, plus tardivement après la floraison, ou de façon continue sur tout le cycle. Des pays comme l’Australie, concernés depuis longtemps par ces stress, utilisent déjà des variétés résistantes bien que leurs rendements soient plus faibles que chez nous. C’est encourageant, on peut y arriver. »

Une réflexion est en cours afin d’élaborer également des tests pour quantifier objectivement les tolérances hydrique et thermique des nouvelles variétés.

Pour cela, outre le travail de la recherche publique et privée, il faudra aussi faire évoluer le protocole d’inscription des variétés élaboré par le CTPS-Geves1. Actuellement, par exemple, des tests sont menés à titre informatif sur le comportement des variétés candidates à l’inscription vis-à-vis d’un faible niveau d’azote, sans que le résultat soit pris en compte dans la cotation de la variété. Une réflexion est en cours afin d’élaborer également des tests pour quantifier objectivement les tolérances hydrique et thermique des nouvelles variétés.

En dehors de BreedWheat, de nombreux projets et consortium nationaux et internationaux émergent autour de ces enjeux de tolérances aux stress et d’exploration de la diversité génétique mondiale (SolACE, Ahead, Invite). Le 20 mai a été lancé le consortium PlantAlliance, composé de 28 partenaires des secteurs public et privé, dont de nombreux semenciers, s’engageant pour une dizaine d’années. Son objectif est d’accélérer les innovations en génétique, génomique et création variétale afin d’adapter les productions végétales au changement climatique et baisser l’utilisation des intrants. « Nous devons mieux mobiliser la diversité génétique et prendre en compte de nouveaux traits dans la sélection, annonce Carole Caranta, directrice générale déléguée à la science et l’innovation d’Inrae. Toutefois, le levier génétique ne sera pas suffisant : il faudra une concertation étroite avec les domaines de la protection et de la nutrition des plantes, l’agronomie et les systèmes de cultures.»

Une quinzaine de traitements de semences en développement

En pleine mutation elle aussi, la protection des plantes, et plus particulièrement des semences, a fait l’objet d’une table ronde organisée en avril par l’interprofession des semences Semae (nouvelle dénomination du Gnis depuis fin janvier 2021). « La filière est très demandeuse, car il n’existe parfois plus de solutions en traitement de semences. Nous avons fait marche arrière », estime Thierry Momont, président de la section céréales à paille et protéagineux de Semae.

Vu la grande diversité de situations sanitaires au sein des sols, on peut penser qu’il faudra combiner plusieurs leviers afin d’atteindre une protection suffisante de la semence, Flora Limache, responsable des affaires techniques et réglementaires d’IBMA-France.

Les alternatives aux solutions de synthèse commencent timidement à faire leur apparition. Quatre produits de biocontrôle à base de micro-organismes ou de substances naturelles sont actuellement homologués en France :

  • Cerall, composé de la bactérie Pseudomonas pour lutter contre la carie, la fusariose et la septoriose des blés, triticale et seigle ;
  • Integral Pro, composé d’un bacillus agissant contre le phoma et la fonte des semis en colza, crucifères et lin ;
  • Copseed, à base de cuivre contre la carie du blé ;
  • Votivo, composé d’un bacillus nématicide pour protéger les betteraves.

« Les produits sont peu nombreux et pas encore développés à grande échelle, reconnaît Flora Limache, responsable des affaires techniques et réglementaires d’IBMA France. D’après une enquête auprès de nos adhérents, une quinzaine de traitements de semences sont actuellement en développement. Le frein est la petite taille du marché, ne permettant pas d’espérer un retour sur investissement important. »

La recherche publique s’investit elle aussi pour trouver de nouvelles solutions. Ainsi, le projet Sucseed piloté par l’Inrae vient de démarrer pour cinq ans. Il va notamment se pencher sur la stimulation des défenses naturelles, le microbiote des semences et les exsudats de semences en germination susceptibles d’attirer ou de repousser des agents pathogènes. « Vu la grande diversité de situations sanitaires au sein des sols, on peut penser qu’il faudra combiner plusieurs leviers afin d’atteindre une protection suffisante de la semence », souligne Flora Limache.

Des semences désinfectées à la vapeur

Les biostimulants, considérés comme des produits de nutrition, feront partie de cette protection intégrée. Leur définition devrait prochainement être intégrée dans la réglementation européenne, facilitant ainsi leur reconnaissance et donc leur développement. « Ces substances peuvent, par exemple, être associées à des produits de protection en enrobage de semences pour permettre à la plante de mieux pousser et mieux résister aux stress. C’est un axe que l’on travaille beaucoup », indique Laurent Largant, directeur de l’Afaïa, syndicat des fournisseurs de biostimulants, fertilisants organiques, supports de culture et paillages.

De nouvelles pistes apparaissent aussi dans le domaine du traitement physique des semences. Dans les Hauts-de-France, la coopérative Agora propose depuis 2020, dans sa gamme de céréales à paille, des semences désinfectées à la vapeur. Cette technologie ThermoSem existe depuis une vingtaine d’années en Scandinavie. Elle se développe en France depuis 2018, notamment avec la coopérative Terre de lin en Seine-Maritime. « C’est une méthode un peu complexe, car il faut calibrer finement le processus de façon à ne pas tuer le germe de la semence, explique Aymeric Dezobry, responsable du service semences d’Agora. L’autre contrainte est que la production de vapeur nécessite de l’énergie. » En partenariat avec l’école UniLaSalle possédant une plateforme dédiée aux applications de l’ozone, Agora fait également des essais de traitement de semences depuis deux ans. « Cette technique utilisée dans le traitement de l’eau n’est pas encore homologuée pour les semences, précise Aymeric Dezobry. Nous testons des dosages et mettons les semences en essais pour observer l’effet sur le développement des plantes. »

1. Comité technique permanent de la sélection – Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences.