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Horticulture

Dans un marché ultra-mondialisé, la fleur locale cherche sa place dans les étals


AFP le 24/07/2020 à 11:25

Les Pays-Bas, place forte mondiale du business des fleurs coupées, commercialisent chaque jour des fleurs de France... en France : de nouveaux acteurs du secteur souhaitent contrer cette hégémonie pour vendre des bouquets 100 % tricolores et surtout moins gourmands en carbone.

Dans la banlieue d’Amsterdam, le ballet incessant des chariots-élévateurs a repris sa course ces dernières semaines, au fur et à mesure du déconfinement du commerce mondial.

« Dans ce marché, nous commercialisons 30 000 variétés différentes », explique fièrement à l’AFP Michel Van Schie, porte-parole de la coopérative Royal Flora Holland, géant néerlandais de l’horticulture chez qui transitent chaque jour des fleurs du monde entier.

« Nos exportations en 2019 ont augmenté. Cette année, à cause du Covid-19, il n’y aura pas de croissance », poursuit-il, tout en se déclarant « confiant » à terme pour la reprise.

Les chiffres varient selon les sources, mais d’après Thierry Louveau, patron de la filiale française d’un autre géant néerlandais, FleuraMetz, « 70% de la production mondiale de fleurs transite par la Hollande, même si elle n’est pas forcément fabriquée en Hollande ».

Si l’histoire d’amour de la Hollande avec l’horticulture est ancestrale, allant même jusqu’à causer au XVIIe siècle, autour de la tulipe, le premier krach boursier de l’Histoire, « l’accélération du marché » date, selon M. Louveau, des années 1950 avec la création des marchés au cadran, gérés par de grandes coopératives.

« La Hollande a su s’organiser pour commercialiser la fleur, en concentrant la production, en concentrant la logistique, en créant des coopératives qui permettaient de faciliter la commercialisation », selon lui.

Une suprématie aidée par l’Etat néerlandais qui subventionne encore notamment la consommation d’énergie des serres hollandaises, quand la production de ces dernières n’est pas délocalisée vers des pays de l’hémisphère sud ensoleillés toute l’année et à la main-d’oeuvre bon marché, devenant parfois aussi cruciale pour l’économie de ces pays que pour celle des Pays-Bas.

La redoutable logistique néerlandaise

Il en va ainsi de la rose du Kenya: « Le secteur emploie directement 200 000 personnes dans les fermes et représente plus d’un million d’emplois induits, faisant vivre 4 millions de personnes », explique à l’AFP Clement Tulezi, président du Kenya Flower Council, organisation qui chapeaute le secteur horticole du pays.

Face à cette concurrence féroce, nombre de floriculteurs français n’ont eu d’autre choix que de mettre la clé sous la porte ou de changer leurs méthodes.

« Il y a le prix du foncier qui vous pousse dehors, la pénibilité du métier, les retraites si petites que la tentation est grande de vendre, et la concurrence: on n’augmente jamais ses prix ! », résume Marie-Line Lanari, ancienne productrice d’oeillets reconvertie dans le lys, sur son exploitation qui surplombe la station balnéaire de Cagnes-sur-Mer sur la côté d’Azur.

« En 1972, il y avait 30 000 exploitations horticoles en France, aujourd’hui il y en a 3 500 », déplore Hortense Harang, cofondatrice de la plateforme Fleurs d’Ici.

Val’Hor, interprofession française du secteur, chiffre aujourd’hui à 85 % la proportion de fleurs importées.

Mme Harang, comme d’autres, affiche le souhait de contenir voire d’inverser cette tendance et de réduire l’empreinte carbone des fleurs, encouragée par une demande toujours plus forte des consommateurs depuis la crise sanitaire.

« Ce qui ressort de la crise, c’est quand même une volonté d’acheter français, une volonté d’acheter local, avec un phénomène qui est un peu calqué sur celui de l’alimentation, qu’on appelle le « slow-flower », qui nous vient des Etats-Unis », confirme à l’AFP Mikaël Mercier, président de Val’Hor.

« Des fleurs 100 % françaises », une gageure, à en croire Benjamin Perot, l’un des cofondateurs en 2016 de Monsieur Marguerite, fleuriste « écoresponsable ».

« Il y a des grossistes qui essaient de faire en sorte que la part de fleurs françaises augmente, mais aujourd’hui l’assurance du 100% français est très compliquée à tenir quand on n’est pas un acteur intégré comme nous ».

La faute à un maillage du territoire défaillant par rapport aux norias de camions néerlandais qui sillonnent le continent, constituant une logistique d’une efficacité redoutable, de l’aveu de l’ensemble des acteurs interrogés.

« La tulipe de Nice est produite dans la région de Nice, elle est achetée par un grossiste, elle remonte physiquement jusqu’en Hollande où elle est évaluée sur le marché au cadran qui fixe sa valeur, et ensuite elle est redispatchée » en France, parfois même à Nice potentiellement, affirme Mme Harang.

La demande locale dopée par la crise sanitaire

« Il y a des fleurs produites en France qui partent à Amsterdam et qui reviennent en France », abonde M. Perot qui cite notamment une partie de la production française de pivoines.

En faisant appel au marché néerlandais, un fleuriste de Biarritz peut avoir aujourd’hui, en appuyant sur un bouton la veille pour le lendemain, « n’importe quelle fleur » dans sa boutique, une rapidité « impensable » à l’intérieur de la France, « pas assez structurée », selon lui.

Pour contrer cette faiblesse, Mme Harang a créé avec la start-up Fleurs d’ici un logiciel de gestion intégrée (ERP) qui met en relation « un horticulteur avec un fleuriste indépendant, une unité de distribution décarbonée (vélo ou véhicule électrique) et un client local ».

Le phénomène de relocalisation est loin d’être cantonné à la France : au Royaume-Uni, chef de file du mouvement en Europe, la coopérative Flowers from the farm, qui réunit des producteurs de toutes tailles, comptait fin 2018 entre 400 et 500 membres. Elle en revendique aujourd’hui « plus de 800 ».

Selon Mme Harang, l’Italie, où est né le mouvement « slow-food », et la Belgique sont également « à fond ».

Et start-up et fleuristes ne sont pas les seuls à se positionner pour satisfaire cette demande de fleurs « locales » en Europe, qui attire également… les Néerlandais eux-mêmes.

Pour rentabiliser le transport, « ce qu’on a imaginé, c’est de pouvoir rajouter de la plante verte française (dans les camions) à la fleur française », explique M. Louveau pour FleuraMetz. Un projet qui était prévu pour dernier, mais remis à plus tard par la crise sanitaire.

L’envie de mettre en avant des fleurs made in France est en tout cas plus tangible que jamais, selon Sylvie Robert, directrice de l’association Excellence Végétale, qui développe le label Fleurs de France, créé en 2015.

« On va atteindre pas loin de 2 000 entreprises engagées, tous corps de métiers confondus », indique Mme Robert, selon qui lors des six premiers mois de 2020, « des enseignes de distribution notoires » comme Auchan, de grandes surfaces de bricolage comme BricoMarché, ont rejoint la démarche.

Après la crise de Covid, « ce n’est pas un petit boom, mais un bon gros boom » qu’elle a pu observer, avec « jusqu’à dix sollicitations par jour » à partir du mois d’avril contre « une ou deux » habituellement.

La rose, épine dans le pied des circuits courts

Un obstacle de taille, épineux de surcroît, se dresse néanmoins face à cette dynamique: « la rose, c’est 45 % du marché de la fleur », rappelle M. Louveau. S’il ne nie pas la « volonté de fleurs de saison », il se dit convaincu que le consommateur « voudra quand même offrir toute l’année des roses ».

Ce caractère incontournable de la rose rend les floriculteurs kényans optimistes, après la mise à l’arrêt du secteur pendant la crise sanitaire: « nous n’allons peut-être pas connaître une croissance à deux chiffres comme lors de la dernière décennie. Mais nous apprenons toujours », explique M.Tulezi, pour qui les producteurs kényans « seront toujours plus efficaces ».

D’autant qu’il n’y a pour l’heure aucune obligation réglementaire pour le fleuriste d’indiquer la provenance des fleurs, « contrairement à l’alimentaire », déplore Masami Lavault, floricultrice urbaine derrière le cimetière parisien de Belleville.

« Il y a une vraie tendance à l’installation de jeunes producteurs, mais pas suffisamment », regrette M. Perot, qui se veut toutefois « hyper-confiant »: « des horticulteurs qui auraient vendu ou qui auraient fermé il y a quelque temps, maintenant ils ne ferment plus. Il y a des débouchés, dont on fait partie, qui sont nouveaux et ça a beaucoup de valeur pour eux ».