Dans les vignes bordelaises, le pari de nouveaux cépages plus résistants
AFP le 05/09/2025 à 10:15
Dans la fraîcheur de la nuit, sur des parcelles du Bordelais, une machine vendange des rangs de souvignier gris pour la cave coopérative locale, qui voit dans ce cépage hybride et résistant une des réponses aux enjeux du vignoble.
Ce raisin au teint rose à maturité est issu du croisement entre le bronner, une variété de blanc allemande, et le cabernet sauvignon, raisin rouge traditionnel du bordelais. Il est connu pour sa résilience au mildiou et à l’oïdium, deux maladies fongiques de la vigne dont la récurrence est accrue par le changement climatique, ce qui permet de réduire le recours aux traitements.
« Ça change radicalement, on est sur deux à quatre interventions maximum par an », explique Thierry Bergeon, qui cultive quatre hectares de souvignier gris à Civrac-de-Blaye (Gironde). Soit jusqu’à six fois moins qu’avec les cépages traditionnels.
Les feuilles et la peau, plus épaisses, protègent aussi contre certains insectes ravageurs comme la cicadelle et la tordeuse (vers) de la grappe, et résistent mieux à la grêle si elle n’est pas trop violente. Ce cépage est également réputé plus adapté au froid.
« Pluie, grêle précoce, sécheresse… On voit chaque année des épisodes climatiques plus extrêmes que la précédente (…) il est donc indispensable d’adapter notre vignoble aux changements », estime Damien Malejacq, directeur marketing du groupe Tutiac.
Cette grosse coopérative basée à Marcillac dans le nord du département, élue cave de l’année 2025 par la Revue du vin de France, réunit 400 vignerons exploitant 5 000 hectares au sein de 15 appellations bordelaises.
En 2014, comme d’autres acteurs viticoles, elle a planté 14 cépages résistants sur une parcelle test et réalisé des micro-vinifications, en lien avec l’Inrae et la chambre d’agriculture, pour apprécier leur adaptabilité au terroir et au climat bordelais… sans perdre de vue la typicité aromatique et gustative des vins locaux.
Le choix de l’IGP
Quatre ans plus tard, deux ont été privilégiés pour les premières plantations à plus grande échelle : souvignier gris pour le blanc – que les dégustations à l’aveugle rapprochaient du sauvignon – et vidoc pour le rouge. Le soreli (blanc) s’est ajouté en 2022, avec 34 hectares plantés au total aujourd’hui.
Pour commercialiser des bouteilles en 100 % résistants, la coopérative de Tutiac a dû cependant opter pour l’Indication géographique protégée (IGP) Atlantique, label à la réglementation plus souple que celle de l’AOC bordelaise.
Celle-ci limite en effet l’emploi de ces variétés à 5 % de la surface des exploitations – leur proportion atteint 10 % chez Thierry Bergeon, qui cultive aussi du soreli et du vinoc – et à 10 % de l’assemblage final des vins.
« On a fait le choix de faire du 100 % pour faire connaître ces cépages au consommateur, mettre en avant leurs qualités, plutôt que de les masquer au milieu des autres », souligne Damien Malejacq, convaincu que l’avenir de la viticulture bordelaise, en quête de nouveaux buveurs, passe par cette « phase d’évangélisation ». « Il y a vraiment un marché à prendre avec ces vins, qui plaisent à une autre clientèle », approuve Thierry Bergeon.
Michel-Éric Jacquin, qui vient de prendre la présidence des appellations Bordeaux et Bordeaux supérieur (la moitié de la production du vignoble), est du même avis : « ces nouveaux cépages, qui sont de nouveaux produits, de nouveaux goûts, ont de quoi séduire le consommateur » – qui boude de plus en plus le vin, en particulier le rouge.
Le dirigeant prône le basculement de l’AOC Bordeaux en IGP afin de donner aux viticulteurs une plus grande liberté de production, sans toucher au Bordeaux supérieur.
Dans la région, une autre coopérative d’envergure basée à Duras (Lot-et-Garonne), Berticot-Graman, a suivi la même stratégie d’innovation depuis 2016 en misant sur des cépages hybrides résistants − vidoc mais aussi floréal, marselan, arinarnoa, etc. – qui alimentent une gamme vendue, elle aussi, en IGP Atlantique.