Dans le sillage du vin, la tonnellerie peine et cherche à s’adapter


AFP le 18/09/2025 à 08:15

Moins 15 % de barriques vendues en un an : l'ancestrale industrie française de la tonnellerie accuse le coup, prise entre l'explosion du prix du chêne et la crise viticole.

Pour les fabricants, détenteurs d’un savoir-faire qu’ils comparent volontiers à de la haute couture, tout se cumule : des vendanges bouleversées par les aléas climatiques, des clients viticulteurs en difficulté, voire qui arrachent leurs vignes, des exportations aux Etats-Unis perturbées par l’offensive douanière de Donald Trump…

Dans le même temps, les cours du chêne français ont triplé en dix ans (+ 50 % sur ces deux dernières années), nourris par la demande chinoise et d’autres secteurs (meubles…) pour un bois exceptionnel zéro défaut.

« On a déjà vu des cycles dans le passé, la crise financière de 2008, la douloureuse crise asiatique de la fin des années 90… », dit le vice-président de la Fédération des tonneliers de France (FTF), Nicolas Tiquet-Lavandier. « Les plus anciens disent que tous les dix ans il y a une crise. Là, peut-être qu’elles tendent à se rapprocher, il y a plus de volatilité ».

Sur un an (avril 2024 à mars 2025), plus de 540 000 fûts français ont été vendus, un nombre en repli de 15 %, en particulier en France (- 20 %). Le chiffre d’affaires du secteur, à 515,9 millions d’euros, a reculé de 9,5 %, selon un bilan publié cette semaine.

Tonneau sur internet

Le secteur, qui emploie 3 000 à 3 500 personnes, de la préparation du bois jusqu’au tonneau, a dû aménager les temps de travail, explique Eudes Baufreton, délégué général de la FTF et du Syndicat des mérandiers de France. Pour s’adapter à un marché en mutation, la filière fait valoir ses innovations.

Le fabricant Oeneo a présenté mardi un modèle inédit de barrique, aux mérains faits de deux couches de bois emboîtées mécaniquement et non plus de bois massif, justement baptisé « Twood ».

L’entreprise est partie en 2022 d’un constat de tensions sur le marché viticole mais aussi sur la ressource en chêne.

« De notre point de vue, cette tension n’est pas amenée à diminuer, avec le réchauffement du climat, les choses s’accélèrent », a expliqué Magdeleine Allaume, directrice des tonnelleries d’Oeneo. Avec ce modèle, « on peut aller chercher 40 à 50 % des bois existants » sur le chêne français, au lieu de 15-20 % quand on est sur du massif.

Disponible en une seule contenance (225 litres), loin de la tradition sur-mesure, ce fût, un tiers moins cher, pourra être commandé sur internet, une première, selon Oeneo, qui promet les mêmes qualités organoleptiques et d’oxygénation.

Autre tendance, les grands contenants, moins coûteux en manutention, plus durables, explique M. Tiquet-Lavandier.

Le « Centre de Formation de la Tonnellerie du Futur », dont la première pierre a été posée à Cognac début septembre, permettra aux futurs tonneliers d’apprendre à les construire.

« On observe aussi un plus long usage des barriques. Le tonnelier a un rôle à jouer dans l’accompagnement, la réparation, l’entretien », ajoute le vice-président de la fédération.

Alors que des vignerons se tournent vers des jarres en terre, en béton ou des barriques de verre, il dément tout désamour pour le tonneau de bois : « cela reste assez anecdotique, souvent à titre expérimental ».

Quant à la moindre appétence du consommateur pour le goût boisé du vin, – un goût très gourmand en bois neuf toasté – le secteur « a digéré depuis un petit moment l’effet Parker », dit M. Tiquet-Lavandier, le critique américain qui avait contribué à populariser ce style.

« Aujourd’hui il y a une tendance à rechercher peut-être un peu plus de « buvabilité », et d’élégance. Or le bois dès lors qu’il est fabriqué de la bonne façon, communique des caractères très élégants aux vins : la barrique est un allié, un protecteur du fruit », souligne-t-il.