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Conditions de culture des céréales

Cette année climatique extrême mènera à une moisson « forcément très hétérogène »


TNC le 13/06/2024 à 17:51
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Les conditions météo de l'automne ont compliqué le désherbage des parcelles, exacerbant au printemps la présence de graminées résistantes, notamment de vulpin et de ray-grass. (© TNC)

Même si 2024 ne s’annonce pas comme un remake de la moisson-catastrophe de 2016, les soucis météo ont sérieusement compliqué les conditions de travail et dans certaines zones, les producteurs peinent à sortir la tête de l’eau. À l’échelle nationale, les pluies ont bien entamé les potentiels des céréales à paille et amplifié le salissement, et le maïs pourrait récupérer malgré les retards de semis.

« L’avantage de ces températures, c’est pour les cultures de printemps ! On craignait les coups de chaud du mois de juin pour ce qui a été semé tard, et on en est assez loin : tout n’est pas perdu… mais tout n’est pas parfait », plaisante Benoît Piétrement, président du conseil spécialisé « grandes cultures et marchés céréaliers » de FranceAgriMer, lors d’un point presse.

Tout n’est pas parfait, en effet, en cette campagne hors normes marquée par des conditions météo particulièrement pluvieuses, à l’automne comme au printemps. Avec un excédent pluviométrique de 60 %, mai 2024 aura d’ailleurs été le mois de mai le plus arrosé depuis 2013.

Et les conditions de culture s’en ressentent. Abir Mahajba, cheffe de projet du programme Céré’Obs, souligne les potentiels dégradés des céréales à paille à l’échelle nationale : 62 % des blés tendres, 63 % des orges d’hiver, 63 % des blés durs et 74 % des orges de printemps étaient jugés en conditions bonnes à très bonnes au 3 juin, contre respectivement 88 %, 87 %, 82 % et 89 % l’an dernier à la même date.

Pour autant, la récolte 2024 pourrait-elle être un remake de la catastrophe de 2016 ? « On n’est pas trop inquiets », rassure Benoît Piètrement : dans les zones céréalières les plus précoces où les comptages de grains ont commencé, « ça a l’air d’aller ! ».

« Ce qui nous avait coûté cher en 2016, c’était l’ensoleillement. Quand on compare les cartes, on n’est pas dans une situation aussi dramatique : on a eu de la chance avec des périodes plutôt ensoleillées comme la semaine dernière, donc on se dit que là-dessus ça devrait passer ». Le déficit d’ensoleillement du printemps 2024 approche tout de même les 20 %.

Entre « la casse de l’hiver » qui impacte les conditions des cultures en place » et des différences de pluviométrie encore très importantes ces dernières semaines, « ce sera forcément très hétérogène » pour les céréales à paille, avance l’agriculteur.

L’année climatique a exacerbé le salissement

Il souligne une problématique « graminées résistantes » très prégnante cette année : « il suffit de traverser les grandes plaines céréalières pour voir des champs complets de céréales d’hiver qui n’ont pas pu être désherbés dans de bonnes conditions à l’automne, où on a du mal à voir si c’est du blé en-dessous tellement les épis de ray-grass dépassent au-dessus ! ».

« Une partie de ces champs ne seront pas récoltés et passeront dans les méthaniseurs », reprend-il, mais certains « n’en veulent même plus parce qu’ils ont assez voire trop de matière ! »

Alors « les graines vont retourner au sol et on n’arrive plus à s’en débarrasser parce qu’on n’a plus les molécules pour pouvoir le faire. (…) Ça va être très compliqué dans les années qui viennent, malgré tous les outils, y compris agronomiques ! Sur mon exploitation (dans le Grand Est, NDLR) j’ai toujours sept à huit cultures différentes, donc des rotations longues, et je n’arrive plus à m’en débarrasser ! ».

Côté maladies, il maintient « un point d’interrogation » : « on a une pression sanitaire assez importante », mais « très variable selon les variétés ». Certaines ont été impactées « par les températures et la pluie, avec des tâches physiologiques », ce qui « aura forcément une incidence sur certaines parcelles ».

« Même semé tard, le maïs a une faculté de récupération assez importante »

Quid du maïs grain, pour lesquels les semis sont encore en cours dans certaines zones à cause des pluies récurrentes, et atteignent à l’échelle nationale un retard moyen de onze jours ?

Au 3 juin, seulement 80 % des parcelles implantées en maïs grain avaient atteint le stade levée, qui accusait alors un retard de treize jours sur la moyenne quinquennale. (© Cereobs)

Bien que plus faible que les années précédentes (80 % de parcelles en bon ou très bon état, contre 88 % début juin 2023), « le potentiel n’est pas trop dégradé », note Abir Mahajba. Et il n’y a « pas de facteur limitant significatif à ce jour, sauf quelques signalements de ressemis dans le cas de parcelles gorgées d’eau ».

« Le maïs, c’est une plante formidable, lance Benoît Piètrement : même semé tard, il a une faculté de récupération assez importante ! ». Surtout « si l’été se passe plutôt bien, avec un peu d’eau pour les maïs non irrigués et du soleil derrière ».

« On sent que les potentiels peuvent être un peu entamés, mais il n’y a globalement pas trop d’inquiétude pour les maïs semés dans de bonnes conditions » même si « localement, ça a été compliqué sur certaines parcelles ».

Il faudra tout de même que le mercure monte un peu : « Personnellement, j’ai semé il y a un mois dans de bonnes conditions… Et là, j’avoue qu’il a besoin de températures : les huit degrés du matin, ça ne lui va pas trop ! ».

« Les semis de printemps sont aussi très compliqués »

Le constat est un peu plus compliqué pour Nicolas Gaillard, agriculteur en polyculture-élevage et entrepreneur de travaux agricoles au nord de la Dordogne. « Depuis le mois d’octobre, on ne sort pas la tête de l’eau », souligne-t-il. « Dans le secteur, beaucoup avaient abandonné à l’automne des semis de céréales à paille pour se reporter sur du maïs et du tournesol, mais les semis de printemps sont aussi très compliqués. Sur le mois de mai, on a enregistré encore 250 mm de pluie. »

Au 10 juin, l’agriculteur n’a pu réaliser que la moitié de ses semis de maïs : « ça entraîne aussi beaucoup de transferts de semences, les variétés choisies au départ ne sont plus adaptées désormais… ». Nicolas Gaillard estime que les emblavements pourraient se terminer d’ici fin juin/début juillet. « Et économiquement ça risque de nous coûter cher, avec potentiellement des rendements moins importants et des frais de séchage plus élevés ».

« Les semis de tournesol ont aussi été impactés, avec une faible vigueur au départ et une pression limaces accrue. Par endroits, deux resemis ont été nécessaires ».

À cause des précipitations, « on a aussi été obligés de rentrer la moitié de notre troupeau pendant 10 jours, sans avoir de stock d’enrubannage, ni d’ensilage. Car l’ensemble des chantiers ont pris du retard. Mon père qui a 76 ans n’a jamais vu ça ! Tous les travaux risquent de s’enchaîner sur une période courte… ».

Pour le producteur, cette situation remet en avant la question du stockage de l’eau : « il est urgent de s’adapter, avec des conditions de travail de plus en plus difficiles ».