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Témoignages d'agriculteurs

« De l’eau, de l’eau et que de l’eau » : une campagne hors norme


TNC le 24/05/2024 à 12:05
ChampinondEenpartie

(© Emmanuel Sagot/X (anciennement Twitter))

Semis et levées perturbés, pression limaces exacerbée... Si les cumuls de précipitations ont le mérite de recharger les nappes phréatiques dans plusieurs régions, les chantiers agricoles sont fortement impactés ce printemps, tout comme cet automne. Retrouvez des témoignages d'agriculteurs sur le sujet.

Installé au sud de la Vendée, Emmanuel Sagot comptabilise encore plus de 70 mm reçus sur les 7 derniers jours, voire 90 mm dans certains secteurs. « Ça s’évacue assez rapidement pour les céréales à paille en terres superficielles, mais c’est plus compliqué dans le cas des cultures de printemps : les plantes baignent… », explique-t-il.

« Les semis de maïs ont démarré au 30 avril, avec environ un mois de retard par rapport aux dates habituelles dans le secteur. Et sur 90 ha, il en reste encore 20 à implanter : cela concerne surtout les limons hydromorphes, qui doivent encore être préparés. Ce qui a été semé en premier, prévu à la base en fourrage, sera sûrement récolté en grain et inversement du coup. J’ai aussi 10 ha de maïs à semer en plus, qui étaient à la base en tournesol, mais les limaces, pigeons et corbeaux ont eu raison de la culture. »

En ce qui concerne les maïs semences, « il a été compliqué de semer les protocoles dans ces conditions, mais c’est fait ! ». 

« Les chantiers de foin prennent aussi du retard, l’herbe est montée à graine et on risque d’avoir des foins de très mauvaise qualité sur une partie de la surface. Heureusement on a pu faire déjà une coupe d’ensilage plus tôt. Le fait d’avoir une surface fourragère assez importante permet de pouvoir faire des choix. » L’agriculteur se dit plus inquiet pour ses collègues du nord de département : « Certains n’ont pas pu semé les blés dans de bonnes conditions à l’automne, et c’est la même chose pour les maïs ce printemps ! ».

Un fort salissement des parcelles

Trouver la bonne fenêtre météo a aussi été difficile pour Jean-Claude Pujos, agriculteur près de Auch dans le Gers. « On a eu un créneau fin avril pour semer du maïs, depuis c’est impossible : il pleut tous les 3 jours et il nous reste 30 % des surfaces à implanter », témoigne-t-il.

« Dans le secteur, les blés souffrent d’excès d’humidité, les glumes virent au violet… Il est temps que le soleil assèche l’atmosphère. On n’a pas de symptômes de fusariose, mais j’ai pris mes précautions en faisant deux traitements à demi-dose pour protéger les grains, surtout que les seuils de mycotoxines Don vont être abaissés à partir du 1er juillet prochain. »

Quel que soit le secteur, les agriculteurs interrogés s’accordent tous sur un fort salissement des parcelles cette année. Comme Jean-Claude Pujos, Thomas Bourgeois, agriculteur dans l’Oise, signale aussi une pression graminées particulièrement importante. Agriculteur dans l’Yonne, dans le secteur du Tonnerrois, Sébastien Neveux observe également de la folle-avoine, du brome et des vulpins. « C’est surtout le ray-grass qui est problématique dans mon secteur. Un voisin a même décidé d’ensiler une de ses parcelles pour la méthanisation, tellement elle est envahie. De mon côté, c’est la folle-avoine qui est à contrôler », indique-t-il.

« Sinon la plaine est belle, les colzas ne sont pas mal pour l’instant. Les blés et les orges se portent bien, malgré une densité de talles plutôt faible pour ces dernières, précise Sébastien Neveux. L’avantage dans nos terres argilo-calcaires superficielles, c’est qu’on peut retourner assez rapidement dans les parcelles malgré les conditions humides. Ce qu’on craint par contre aujourd’hui, c’est que le temps parte au sec car on a peu de réserve utile et les conditions humides de l’année n’ont pas favorisé le développement du système racinaire des cultures. On a eu le cas l’an dernier, avec un fort coup de chaud fin mai – début juin , qui a pénalisé la fin de cycle des cultures. »

« Les orges de printemps se portent bien aussi. On se demande comment vu les conditions déplorables dans lesquelles les semis ont été réalisés pour être dans le bon créneau… En ce qui concerne les tournesols, ils ont quasiment tous dû être resemés dans le secteur. En cause : les attaques de limaces, pigeons, corbeaux… et mêmes les lièvres et les faisans ne leur font pas de cadeau », souligne Sébastien Neveux.

« Jamais de créneau idéal »

Emmanuel Sagot fait part aussi « d’une pression limaces énorme cette année dans son secteur. Et la météo (températures, ensoleillement…) ne nous aide pas, les cultures de printemps mettent du temps à lever, ce qui les rend plus vulnérables ». « Dans ce contexte et malgré la protection anti-limaces, j’ai rapidement pris la décision de faire un resemis et ainsi éviter une trop grande hétérogénéité des stades (re-semis à 40 000 gr/m² moins profond, après un semis à 85 000) », ajoute Sébastien Neveux.

Malgré des implantations compliquées, il constate aussi que « les lentilles sont plutôt belles actuellement » et « les pois d’hiver magnifiques ». Ces derniers ont, en revanche, nécessité « une forte attention au niveau de la protection fongicide, à cause du complexe Ascochyta pisi/Colletotrichum sp. En plus, il ne faut pas confondre leurs symptômes avec ceux de la bactériose », précise l’agriculteur. « J’ai abandonné la culture du pois de printemps à cause du risque de coup de chaud en fin de cycle dans le secteur. Je l’ai remplacé par de la luzerne porte-graines et la lentille. Cette dernière résiste mieux à la chaleur pendant la floraison et a aussi la capacité de refleurir derrière. »

« Les cumuls de précipitations importants remettent en avant aussi les risques d’érosion et de ruissellement, surtout dans les parcelles en pente. Sur cultures de printemps, j’essaye de reporter au maximum la destruction des couverts pour protéger les sols. Il faut être agile dans l’organisation et s’adapter aux différentes contraintes. »

« On le voit d’autant plus cette année, avoir un assolement diversifié permet de répartir les risques et d’étaler la charge de travail sur l’année. Dans le secteur, on a réussi à effectuer nos semis et les désherbages, mais nos exigences évoluent : on ne cherche plus les conditions idéales… Elles n’ont jamais vraiment été réunies cette année. On devient des tacticiens hors pair : il faut être hyper réactif quand une opportunité s’ouvre et très bien connaître son parcellaire et ses sols. »