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Gestion des adventices

Une réduction des doses d’herbicides jusqu’à 80-90 % grâce aux capteurs


TNC le 09/10/2023 à 08:05
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Que peut-on attendre des innovations numériques dans la gestion des adventices ? (© Arvalis) (© Arvalis)

Face aux difficultés de gestion des adventices, le désherbage localisé se développe, notamment pour les plantes sarclées. Le perfectionnement des capteurs, des drones et de l’intelligence artificielle trouve, en effet, des applications pour limiter le recours aux herbicides. Que peut-on attendre de ces innovations ? Et quels sont les freins aujourd’hui ?

La détection des adventices par les capteurs représente aujourd’hui un axe important de recherches. Grâce à ces solutions, la réduction des doses d’herbicides utilisées peut aller jusqu’à 80-90 %, note Benoît de Solan, ingénieur Arvalis, spécialiste des capteurs et de la télédétection, à l’occasion d’une table ronde organisée sur le sujet.

Des algorithmes à entraîner pour leurs usages en agriculture

La détection s’appuie sur deux composantes majeures :

– Les capteurs, qui doivent « être de très haute résolution, submillimétrique (de l’ordre d’un dixième de millimètre) pour pouvoir repérer les plantes émergentes, au milieu de la culture principale. L’essentiel des capteurs actuellement utilisés sont des caméras couleur, assez classiques, qui reproduisent la vision humaine, comme on peut retrouver dans les smartphones ou les voitures pour l’aide à la conduite ».

– Les algorithmes de traitement des images : ces derniers mobilisent des techniques d’apprentissage supervisé (dites aussi de « deep learning »). C’est-à-dire qu’on fournit à l’algorithme un grand nombre d’images dans lesquelles on lui a pré-appris des objets d’intérêts (adventices, cultures principales en l’occurrence). Petit à petit, l’algorithme va ainsi déterminer quels sont les caractères de l’image qui rendent spécifiques la détection de telle ou telle plante, comme le fait l’œil humain ».

Quelle est la masse de données nécessaires pour alimenter ces algorithmes ? Tout va dépendre des systèmes dans lesquels on les utilise. « En milieu contrôlé, par exemple, dans une usine, on voit toujours les mêmes images. Il suffit donc de 50 à 100 images pour détecter les défauts. En agriculture, c’est beaucoup plus complexe ! Si on veut détecter des chardons dans les champs, on parle plutôt de millions d’images qui vont devoir être annotées manuellement pour couvrir toute la diversité des situations possibles, prendre en compte les cultures et les adventices à des stades de développement différents, etc. Cette phase d’apprentissage reste l’un des points limitants pour ces technologies, parce qu’il faut la réaliser par culture. »

Quelles sont les solutions aujourd’hui disponibles ?

On retrouve aujourd’hui les outils de détection des adventices par capteurs dans deux grands types de solutions. Les drones, tout d’abord, qui « vont cartographier l’ensemble d’une parcelle à assez basse altitude pour avoir une résolution suffisante. À partir de là, un vol est réalisé sur l’ensemble de la parcelle et abouti à la création d’une carte de géolocalisation des adventices, qui est à importer dans le pulvérisateur. Si le drone est capable d’une précision au centimètre, le pulvérisateur, lui, ne permet pas de traiter au cm près. Pour éviter un biais, on attribue donc une zone de sécurité autour de l’adventice lors de la détection pour être sûr de traiter complètement la cible visée », explique Aline Dupont, ingénieur conseil agroéquipements connectés à la Chambre d’agriculture de la Somme.

« On est, par contre, assez loin de l’interopérabilité entre toutes les marques. C’est un verrou de développement de la pratique. Environ la moitié des pulvérisateurs équipés sont capables d’interpréter une carte de désherbage, différente d’une carte de modulation classique. En effet, dans ce dernier cas, on applique sur toute la rampe et on modifie la dose selon l’avancement dans la parcelle. Alors qu’avec une carte de désherbage, on veut appliquer toujours la même dose et on lui demande d’actionner l’ouverture et la fermeture des tronçons en fonction de l’avancement de la parcelle », précise la conseillère.

La deuxième option correspond aux pulvérisateurs de haute précision comme l’Ara d’Ecorobotix ou pulvérisateurs équipés de caméras sur les rampes, avec une action en temps réel. Dans ce cas-là, la principale contrainte réside dans l’intervalle entre la prise et l’analyse de l’image, qui doit être de quelques centaines de millisecondes. Installé dans l’Essonne, Nicolas Hottin a testé, cette campagne, le pulvérisateur Ara sur betteraves (7 km/h). « Des essais sont également prévus sur maïs et oignons. Ce pulvérisateur mesure 6 m de large et comporte 156 buses, espacées de 4 cm. L’ensemble est entièrement couvert, ce qui permet de s’affranchir d’une partie des conditions météo, du vent notamment. Cet espace confiné facilite également la reconnaissance des adventices », explique l’agriculteur. « Suivant le taux de salissement, l’économie d’herbicide peut aller de 5 à 90 %. Par contre, on ne connaît pas la quantité qu’il faut mettre dans la cuve en partant. »

Autre solution de désherbage mise en avant, mais qui n’embarque pas de capteur de vision : le robot Farmdroïd FD20, également à l’essai sur l’exploitation de Nicolas Hottin. Ce robot est présent dans la parcelle du semis jusqu’au stade recouvrement de la culture. Capable de gérer une parcelle de 20 ha en moyenne, il utilise des signaux GPS et enregistre l’emplacement de chaque graine au moment du semis pour le désherbage mécanique ensuite des adventices entre rang et sur le rang.

Et sur le plan économique ?

En termes d’investissements, « le drone reste la solution la moins onéreuse pour l’accès à ce type de technologie, car on achète juste une carte d’application, souligne Aline Dupont. Il faut un pulvérisateur équipé d’un GPS et d’une console débloquée pour la modulation et la coupure de tronçons ». Dans les Hauts-de-France, cette prestation est proposée par les chambres d’agriculture « entre 15 et 17 €/ha. L’économie diffère selon la culture et l’adventice ciblée, ainsi que le produit utilisé. Mais pour le cas spécifique du chardon sur betterave, avec des taux d’infestation compris entre 4 et 38 % de la parcelle, on peut arriver à des économies de 7 à 21 €/ha (incluant le coût de la prestation) ».

Dans le cas des pulvérisateurs de haute précision, l’investissement est, bien sûr, plus conséquent. Pourquoi pas réfléchir à des investissements via les Cuma ou au recours aux ETA, conseille Aline Dupont. L’équipement de caméras sur les rampes d’un pulvérisateur est estimé à 2 000 €/m. Le prix de l’Ara d’Ecorobotix tourne autour des 110 000 euros.

Pour le robot Farmdroïd FD20, l’investissement avoisine également les 100 000 €, avec un débit de chantier assez lent (900 m/h). Il est plus adapté pour des cultures à haute valeur ajoutée ou des exploitations bio, qui n’ont pas recours aux herbicides, estime Benoît de Solan.

Quelle est la suite ?

Pour le moment, la détection des adventices par capteurs se montre surtout adaptée aux plantes sarclées et dans le cas d’adventices se développant en foyers. On a ainsi développé la détection du datura dans les maïs ou les légumes, et des chardons dans les betteraves, et prochainement pour les lins et les pommes de terre aussi, précise Aline Dupont.

Des applications sont toutefois envisageables pour toutes les cultures, selon Benoît de Solan. « Après, détecter des plants de ray-grass dans une parcelle du blé tendre, ce n’est pas non plus pour demain, reconnaît l’expert. Globalement, ce qu’on peut dire, c’est que si on arrive à le détecter visuellement, on arrivera à entraîner des algorithmes de détection automatique. Par contre, si on ne peut pas, il faudra s’appuyer sur d’autres longueurs d’onde, qui vont apporter une information complémentaire afin d’améliorer la distinction entre la culture et l’adventice. Ça demande du temps, même si les avancées sont très rapides dans ces domaines, notamment de l’intelligence artificielle. Les applications de deep learning sont arrivées en agriculture depuis 5-6 ans à peu près. Je pense que dans 5 à 6 ans, on aura franchi des pas considérables dans la détection des adventices, et pas seulement, des maladies peut-être aussi ! »