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Communication

Sur Twitter et YouTube, les agriculteurs prennent en main leur récit


AFP le 02/03/2023 à 16:08
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« On était 50 au départ, maintenant on est plus de 500 » au sein de l'association FranceAgriTwittos créée en 2017, raconte son président Denis Beauchamp. (©Anton/Adobe Stock)

Un « fil d'Ariane » pour « ne pas rester enfermé à la ferme » : la communauté FranceAgriTwittos, qui compte près de 25 000 abonnés sur Twitter, raconte autant le quotidien des exploitants que leur désir de maîtriser un récit sur la profession.

Alors que les exploitants agricoles ne représentent plus que 1,5 % des actifs en France, leur vitrine virtuelle est « sans équivalent à d’autres professions » sur YouTube avec un millier de chaînes, relève le sociologue Louis Rénier, qui écrit une thèse consacrée aux « agriyoutubeurs ».  FranceAgriTwittos, qui entend chasser l’image du « bouseux » d’hier et promouvoir celle d’une profession « engagée dans la modernité », a été distinguée par la médaille du Salon de l’agriculture, une médaille également décernée cette année à l’ex-ministre Julien Denormandie ou à Christiane Lambert, la présidente sortante du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.

Nombre de twittos sont venus au salon pour rencontrer « en vrai » ceux qu’il ne connaissent qu’au travers de leur photo de profil. « Je ne pouvais pas manquer ce moment », confie Lorine Manceau, alias @lorine_agri, venue des Deux-Sèvres.

« C’est un métier prenant. Si on ne prend pas le temps d’aller vers les autres, on se retrouve rapidement enfermé à la ferme. » À 27 ans, elle élève des chèvres alpines et des vaches Rouge des Prés avec son père. Dans « la communauté », comme elle dit, il y a « beaucoup de femmes, dans un milieu encore très masculin », des éleveuses avec qui partager les instants dorés comme les galères.

Le réseau est salutaire aussi pour Clément Blanchard, alias @Charblan, 28 ans, éleveur de volailles Label rouge en Vendée, qui s’est installé il y a un an, en pleine épidémie de grippe aviaire. Il a dû prêter main forte à ses voisins pour évacuer les volailles euthanasiées. Le lien avec les copains du réseau lui a « permis de beaucoup évacuer » la pression.

« Réparer les torts »

« La famille » ne cesse de s’agrandir. « On était 50 au départ, maintenant on est plus de 500 » au sein de l’association FranceAgriTwittos créée en 2017, raconte son président Denis Beauchamp – alias @GrainHedger, plus de 20 000 abonnés – qui travaille dans une coopérative céréalière de l’Allier.

Une vraie satisfaction pour celui qui voulait « recréer du lien entre le monde agricole et la société » et « éviter l’entre-soi ». Au-delà de sa vocation première, « casser la plaque de verre entre l’assiette et le champ », explique-t-il à l’AFP, elle permet aux agriculteurs d’échanger entre eux sur leur profession. « Ça brise un peu la solitude. » Les « agritwittos » sont céréaliers, éleveurs, véto de campagne, commerciaux ou acteurs de l’agroalimentaire, débutants ou vieux paysans, installés en plaine ou en montagne, partout en France.

Leurs messages postés sur Facebook ou Twitter disent le fil des saisons et une vie de passion : « Quand tu sens que ta soirée ciné va peut-être être compromise #ceuxquifontlelait » une nuit où une vache va mettre bas ; « Je vous attends pour traire les brebis » chez un défenseur du Roquefort; « Mais quand diable pleuvra-t-il ? » sur les pâturages du Sud-Ouest. Et des photos en pagaille de champs en fleurs, d’aubes rosées, de lampions dans les vignes.

Ils revendiquent une « communication positive » et directe auprès du grand public, à distance des engagements politiques ou syndicaux. Mais alimentent constamment le débat, inflammable dans une société sensible au bien-être animal, inquiète du respect de l’environnement et exigeante sur la qualité de la nourriture mais pas toujours prête à y mettre le prix.

« Pour certains, c’est difficile à comprendre qu’on puisse aimer les vaches et les manger derrière », raconte @lorine_agri. Nombreux sont ceux qui documentent leur usage des engrais minéraux ou des pesticides, pour « expliquer » mais aussi souvent en cherchant à maintenir un front uni de la « communauté » contre les « environnementalistes ».

Le sociologue Louis Rénier y voit une volonté de « réparer les torts » qui conduit à « un désajustement entre le public visé et le public touché », c’est-à-dire le grand public et « leur public fidèle », qui est « essentiellement agricole », constate-t-il.