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Loi alimentation

Relèvement du SRP, fin des promos : l’analyse prudente des juristes


TNC le 24/10/2018 à 18:38
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La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole votée définitivement par les députés le 2 octobre 2018 devrait être promulguée vers la mi-novembre, après sa validation en cours au Conseil constitutionnel. Sur le plan juridique, des mesures du texte laissent de grandes libertés d’interprétation quand d’autres pourraient avoir des effets inverses à l'objectif initialement visé.

Les représentants des différents maillons de la chaîne alimentaire, du producteur au distributeur, se souviennent tous de ce mardi 14 novembre 2017, date à laquelle ils ont tous signé une « charte d’engagement pour une relance de la création de valeur pet pour son équitable répartition », en attendant les actes tangibles issus des Etats généraux de l’alimentation. Les syndicats agricoles se souviennent aussi, depuis, que la charte n’a été finalement que très peu respectée, selon eux, par les distributeurs. Les négociations commerciales fin février 2018 n’ont pas été moins « dures ». La guerre des prix, pourtant jugée « nauséabonde » par tous les acteurs, est toujours d’actualité.

D’où une question essentielle : la loi Alimentation, « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et agroalimentaire », sera-t-elle efficace sans la « bonne » volonté des industriels et distributeurs pour mieux répartir la valeur ajoutée, et ainsi permettre une meilleure rémunération des producteurs ?

« Oui, elle est applicable en tant que telle », répondent Philippe Vanni et Nicolas Gransard. Avocats associés au cabinet Fidal, ils ont décortiqué le premier volet du texte de loi. Mais « il y aura quelques difficultés d’interprétation ».

Sur l’esprit de la loi, censée encadrer davantage la relation contractuelle entre le producteur et son premier acheteur et, en aval, rendre plus transparent la « cascade des prix », les juristes reconnaissent que le texte va dans le bon sens, et qu’il va bien au-delà du « saupoudrage » législatif des précédents textes, comme la loi Sapin 2. Ceci dit, « ce n’est que du droit définissant un cadre pour combattre certains abus ». Autrement dit, les marchés libéralisés et la libre concurrence sont toujours là.

Le sacro-saint droit de la concurrence

Dans ce marché libéralisé, « la France dispose de la grande distribution la plus organisée et la mieux structurée au monde », rappellent-ils. « C’est un état de fait qui donne une puissance énorme aux distributeurs », quelle que soit la force d’une loi.

« Le fil rouge reste le droit de la concurrence », précise Philippe Vanni. « Aujourd’hui, la concentration des acheteurs est surveillée avec un regard plutôt bienveillant de la part des pouvoirs publics car cette concentration est déflationniste. À l’inverse, les pouvoirs publics combattent ardemment les ententes à la vente car c’est inflationniste. »

Illustration du sacro-saint droit de la concurrence : l’impossibilité juridique d’orienter le surplus de valeur engendré par le relèvement du seuil de revente à perte – le fameux « SRP » – vers les seuls agriculteurs français. « On ne sait pas mettre en place juridiquement le téléguidage des sommes perçues au titre du relèvement du SRP au bénéfice des agriculteurs français sans se heurter au droit de la concurrence », confirme Nicolas Gransard.

« Le relèvement du SRP a été acté dans l’objectif d’éviter une guerre des prix sur des segments où les marges sont extrêmement faibles et, surtout, créer un niveau de marge minimum sur ces produits avec l’idée que ça devrait bénéficier aux producteurs. Mais en fait, cette mesure pourrait avoir des effets complètement inverses. »

Au lieu de relever mécaniquement les prix au consommateur et ainsi créer un surplus de valeur pour le « redescendre » vers les producteurs, les distributeurs pourraient être tentés de négocier à la baisse des tarifs d’achat pour leur permettre de maintenir les prix en rayon. Il n’y aurait donc pas une création, mais une destruction supplémentaire de valeur pour protéger le consommateur. « Nous ne sommes pas à l’abri de cela. »

Pour ce qui est de l’encadrement des promotions, l’autre mesure phare de la loi demandée par les syndicats agricoles, la loi « contient encore des maladresses rédactionnelles » sujettes à interprétation. « Une promotion ne pourra pas dépasser 34 % de la valeur du produit. » Donc, la formule « 1 acheté, 1 offert », c’est fini.

Outre cet encadrement par le prix de vente au consommateur, il y aura aussi un encadrement en volume. « Sur ce point, la loi est mal rédigée. » Exceptée certains produits comme le miel, les fruits et légumes ou les œufs, le volume des promos sera limité à 25 % du chiffre d’affaires prévisionnel prévu dans le contrat d’affaires liant le distributeur à son fournisseur. « Or, ce chiffre est une valeur, pas un volume », constatent les avocats. « Cette limite doit-elle être calculée produit par produit ? Ou pour l’ensemble du contrat ? »

Dans l’attente de la promulgation et des ordonnances

Une chose est sûre : la loi Alimentation donnera « beaucoup de travail » au médiateur des relations commerciales, qui voit ses missions élargies. « Entre les saisines, les recommandations, les publications, le médiateur des relations commerciales aura un rôle important. Il va falloir qu’il recrute de nombreux collaborateurs », ironise Philippe Vanni.

Les juristes et avocats aussi auront beaucoup de travail avec ce texte qui reste sujet à interprétation, en de nombreux points. À moins que les ordonnances annoncées ne lèvent toutes les difficultés juridiques.

Votée par les députés le 2 octobre, la loi est encore examinée par le Conseil constitutionnel, saisi le 5 octobre sur des points « qui ne concernent pas le premier volet du texte ». La procédure d’urgence n’ayant pas été déclenchée, l’institution qui veille à la constitutionnalité des lois doit rendre ses conclusions d’ici le 5 novembre.

« Nous attendons donc la promulgation de la loi autour de la mi-novembre », explique les avocats. Une promulgation qui déclenchera les délais de publication des ordonnances prévues. Deux ordonnances sont promises dans un délai plus court  que ce qu’impose la loi, pour qu’elles puissent s’appliquer aux négociations commerciales 2019 : la première, prévue dans un délai légal de 4 mois, doit encadrer les promotions et relever le SRP. La seconde, prévue d’ici 6 mois, doit clarifier les règles de facturation, imposer la formalisation des contrats par écrit et, plus généralement, réorganiser les dispositions légales, dans le code de commerce notamment, pour une meilleure lisibilité de la législation.