Que sait-on des résidus de pesticides dans l’alimentation ?


Jean-Louis BERNARD et Bernard AMBOLET, membres de l’Académie d’Agriculture de France le 27/11/2025 à 10:00

En Europe, la surveillance exercée par les États et le regroupement de l'ensemble des études coordonnées conduites sur les résidus de substances phytopharmaceutiques dans les aliments permettent de disposer de données très solides pour juger de la situation et de son évolution dans le temps. Sur une période de plus de vingt-cinq années, il est ainsi possible de conclure que la majorité des denrées alimentaires issues de l'agriculture ne contiennent pas de résidus. Dans une fraction mineure des échantillons analysés, un ou plusieurs résidus sont quantifiables à des niveaux inférieurs aux limites maximum autorisées. Il existe enfin un faible pourcentage de denrées qui sont en infraction avec ces limites. Elles résultent majoritairement de traitements de post-récolte, de denrées importées et de distorsions entre des réglementations nationales qui, tout en allant vers plus d'harmonisation, demeurent encore hétérogènes. La nature, la fréquence et le niveau des contaminants détectés permettent régulièrement aux autorités de surveillance de conclure que l'exposition des consommateurs européens aux résidus de pesticides par voie alimentaire est peu susceptible de présenter un risque pour leur santé.

La question de la présence éventuelle dans les aliments, de traces des substances utilisées comme insecticides ou fongicides a été posée voici plus de deux siècles. À cette époque, l’interrogation visait uniquement des composés d’origine végétale (ex : extraits de tabac) ou minérale (ex : chaux, sels de cuivre, d’arsenic…). Depuis, chaque époque a cherché des réponses rationnelles en fonction des questions posées, de l’état des connaissances et de la valeur des méthodes d’analyses disponibles.

Au fil des décennies, le sujet s’est complexifié en raison du nombre grandissant et de la diversité des substances utilisées pour la protection des plantes, de la sensibilité croissante des moyens de détection, de l’écheveau des réglementations nationales et internationales et la multiplication des catégories d’usage réglementaire. Pour la mise en marché des produits, l’instauration de procédures officielles nationales, puis européennes, et le progrès scientifique ont permis de renforcer la valeur des réponses apportées. La création de limites maximales de résidus, l’harmonisation progressive des normes internationales et la mise en place de réseaux de surveillance publiant des rapports, sont maintenant de nature à clarifier le sujet et à fournir des réponses solides.

Avant la commercialisation d’un produit phytopharmaceutique, d’importantes études sont entreprises, afin de mesurer le danger qu’il pourrait représenter pour l’homme et pour l’environnement. Cette recherche d’une connaissance approfondie s’accompagne d’études exhaustives sur les voies et la dynamique de dégradation de la substance active et de ses métabolites, dans le milieu naturel et les végétaux pour lesquels il serait
susceptible d’être utilisé. Cette évaluation débouche sur la détermination d’une Dose Sans Effet (DSE), la fixation d’une Dose Journalière Acceptable (DJA) et de Limites Maximales de Résidus (LMR) pour chacune des cultures où son emploi est autorisé.

Bien que des marges de sécurité très importantes soient appliquées pour déterminer les LMR, il est impératif qu’elles soient respectées afin que les denrées alimentaires mises en marché soient conformes aux règles fixées destinées à assurer un haut niveau de sécurité pour les consommateurs humains et animaux. Pour vérifier cette conformité, des dizaines de milliers d’échantillons d’aliments bruts et transformés sont prélevés chaque année sur les marchés dans tous les pays industrialisés, et soumis à des analyses par les laboratoires publics. La détection d’une substance non autorisée (ne possédant donc pas de LMR) entraîne une interdiction de vente de la marchandise. De même les denrées dont les résidus (pour l’un quelconque des produits recherchés) dépassent la LMR, sont retirées du marché et détruites ; les dépassements relevant de mésusages ou de fraudes manifestes sont punis par la loi.

Les informations chiffrées que nous donnons ci-après sont pour l’essentiel obtenues à partir des études produites chaque année par l’Union Européenne, en particulier, celles publiées depuis 1996.

Comment le contrôle est-il organisé au niveau européen ?

De longue date, les 28 états membres de l’Union européenne, plus l’Islande et la Norvège, mènent sous l’égide de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) une action concertée autour des résidus dans l’alimentation. La mise en commun de leurs résultats autorise à dresser un panorama solide de la situation, à préciser son évolution, à orienter la réglementation et l’action en vue de la correction des principales
irrégularités constatées.

Ces travaux comprennent tout d’abord un Programme européen coordonné (EUCP) pour lequel les états membres étudient les résidus de plus de 160 substances, dans un panel de douze denrées sélectionnées. La composition de ce panel est tournante : elle varie d’une année sur l’autre, mais se répète à échéance de 3 ans, ce qui permet de passer de nouveau en revue les mêmes denrées.

Pour l’année 2023 ont été ciblés : oranges, poires, kiwis, chouxfleurs, oignons, carottes, pommes de terre, haricots secs, seigle et riz brun, foie de bovin et graisse de poulet.

Les analyses réalisées sur 13 246 échantillons de ce type ont été soumis à l’analyse pour rechercher 197 substances différentes.

Il existe ensuite un grand nombre d’analyses qui sont réalisées à l’initiative des états associés au programme, et que l’EFSA regroupe chaque année. En 2023, l’ensemble des résultats portait sur 132 793 échantillons dans lesquels 229 pesticides en moyenne étaient recherchés, ce qui représente plus de 30 millions d’analyses. L’étendue de la palette des substances recherchées était de 741 en 2023.

Ce programme international est l’un des plus importants au monde avec le Pesticide Data Program conduit par le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA).

Comment procède-t-on aux analyses ?

Les laboratoires nationaux – qui participent aux travaux du réseau européen coordonné par l’EFSA – sont accrédités, régulièrement contrôlés, étalonnés et perfectionnés pour délivrer des résultats de grande qualité ; les protocoles de prélèvement et d’analyse sont transparents, périodiquement actualisés et améliorés.

Le volume des analyses réalisées dans chaque pays participant varie selon le budget mis en œuvre et le niveau d’équipement ; certains fournissent plus de 10 000 résultats annuels, d’autres quelques centaines.

On entend par « résidu de pesticide » les quantités mesurables d’une substance active et/ou des produits de dégradation apparentés qui peuvent être trouvés sur les cultures récoltées, ou dans les aliments d’origine végétale ou animale. Ce résidu peut être simple (ex : la substance active) ou être représenté par des produits de dégradation ayant une signification au plan toxicologique ; on parle alors de métabolites pertinents ; ces
produits sont pris en compte dans la fixation des LMR, au même titre que la substance active.

On considère qu’un échantillon est sans résidus quantifiables lorsqu’aucune des substances recherchées n’est détectée au-dessus de la limite de quantification (LOQ) ; cette limite se définit comme la plus petite concentration d’une substance recherchée pouvant être mesurée dans l’échantillon soumis à analyse, avec une précision et une exactitude acceptables. Par nature, la LOQ est bien inférieure à la LMR correspondante ; sa valeur est précisée lors de la mise au point de la méthode d’analyse officielle.

Il est à noter que les protocoles de prélèvement et d’analyse des échantillons sont conçus pour maximiser la possibilité de détecter d’éventuels résidus : ainsi, on analyse les fruits et les légumes entiers (bananes, melons ou pamplemousses avec leur peau, ananas entiers, pêches non pelées, pommes de terre non lavées…). De même, la majorité des études sur les céréales est faite sur le grain brut, car cette méthode est la plus susceptible de révéler un résidu quelconque ; alors même qu’il est connu, par exemple, que le passage du grain à la farine élimine une forte fraction des résidus, élimination de plus accentuée par panification.

Rappelons que certains produits persistants, interdits de longue date en agriculture, font toujours l’objet de dépistages quasi systématiques ; c’est le cas des insecticides organochlorés (DDT, heptachlore, lindane (HCH)…). En revanche, si certaines substances phytopharmaceutiques sont très recherchées (cas du chlorpyrifos recherché par 30 pays dans plus de 70 000 analyses en 2020), certaines ne le sont que très peu (cas des composés cupriques : 3352 analyses dans 3 pays).

En dépit de campagnes de dépistage et de la sensibilité croissante des techniques d’analyse, on remarque que la plupart des substances phytopharmaceutiques anciennement utilisées en Europe ne sont quasiment jamais détectées dans les denrées alimentaires, confirmant ainsi l’abandon définitif de leur usage, même marginal ou occasionnel.

Résultats pluriannuels constatés

Si l’on observe quels ont été les résultats de ce programme international sur la période 1996-2023, on constate qu’en moyenne 96,4 % des denrées analysées sont conformes : elles ne contiennent aucun résidu quantifiable ou montrent des résidus en quantité inférieure à la LMR en vigueur. Ce taux élevé de conformité est régulier puisqu’il varie d’un minimum de 94,5 % à un maximum de 98,8 % sur la période.

Si l’on descend plus en détail dans ces résultats, on constate :

  • qu’une nette majorité des denrées analysées ne contient aucun résidu quantifiable. C’est le cas en moyenne de 56,5 % des échantillons analysés sur la période (maxi = 62,1 % et mini = 50,7 %) ;
  • qu’une fraction régulièrement minoritaire des échantillons montre la présence de résidus ; celle-ci est à un niveau de teneur toujours inférieure aux LMR : en moyenne 39,9 % (maxi = 45,5 % et mini = 32 %) ;
  • qu’il existe entre 1,2 % et 5,5 % des denrées analysées (3,6 % en moyenne) qui ne sont pas conforme à la réglementation.

Quelles sont les denrées les plus concernées par les questions de résidus ?

Il existe des catégories de denrées végétales pour lesquelles la présence de résidus est sensiblement plus fréquente que sur la moyenne des denrées agricoles soumises aux analyses.

Quatre situations particulières sont ici soulignées :

1- Cas des traitements de post-récolte

Parmi les denrées alimentaires, certains fruits (ex : agrumes, bananes) sont très sensibles aux pourritures qui les dégradent entre leur récolte au champ et la table du consommateur. Les traitements fongicides de post-récolte, destinés à prévenir ces pourritures, laissent ainsi des traces presque inévitables, faciles à mettre en évidence lors des analyses de résidus sur des fruits non nettoyés et non pelés.

2 – Cas des produits bruts

La présence éventuelle de résidus est plus facile à mettre en évidence sur des produits bruts que sur la fraction alimentaire qui en est issue.

Pour la consommation des produits crus, les opérations de lavage, de parage ou d’épluchage éliminent la plus grande part des traces de pesticides que détecte une analyse de laboratoire sur le produit brut.

Pour le consommateur de produits préparés (outre le lavage, l’épluchage…), on sait que certains procédés alimentaires tels que le chauffage, la mise en conserve, la fermentation ou la déshydratation réduisent considérablement le niveau des traces que l’on pourrait déceler sur le produit brut.

3 – Cas de certains légumes

En règle générale, l’aspect physique de certaines parties récoltées est plus propice que d’autres à retenir la pulvérisation des produits de protection : c’est le cas pour les légumes-feuilles (ex : salade, épinard) qui présentent plus fréquemment des résidus que les légumes-fruits (ex : tomate, aubergine).

4 – Cas des produits importés

Dans les études de résidus, il est ordinaire de constater un très net écart entre les denrées produites localement et les denrées importées. En Europe, sur la période 2010-2015, les importations présentaient un pourcentage moyen d’irrégularités de 6,6 %, contre 1,5 % seulement pour les denrées produites localement. Des écarts du même ordre sont enregistrés dans les rapports d’enquête réalisés aux Etats-Unis.

Par ailleurs, les infractions à la LMR sont plus fréquemment rencontrées sur des fruits ou des légumes exotiques, et, plus souvent encore, sur des épices et des condiments végétaux frais provenant d’importations.

Comment s’expliquent les dépassements de LMR ?

Le suivi des indications portées sur l’étiquette des produits phytopharmaceutiques garantissant le respect des LMR, l’examen des cas de non-conformité (3,5 % en moyenne) permet de dégager des explications.

1 – Si le niveau des résidus dépassant la LMR provient d’une substance autorisée sur la culture :

  • Récolte trop précoce ou application trop tardive, en infraction avec le délai d’emploi avant récolte indiqué sur l’étiquette des emballages.
  • Appareil de traitement mal réglé ou mal utilisé.
  • Surdosage : le cas existe mais il est très rare ; en général, on constate que le sous-dosage des pesticides est largement pratiqué, souvent pour des raisons économiques.

2 – Si les résidus proviennent d’une substance non autorisée sur la culture :

  • Lorsque la substance retrouvée possède des AMM sur d’autres cultures, la déviation d’usage peut résulter d’une erreur (dérive de pulvérisation, appareil mal nettoyé entre deux séries de traitements), ou être intentionnelle (produits autorisés non disponibles, absence de solution autorisée, etc.).
  • La substance retrouvée n’est plus autorisée dans l’UE, mais l’a été dans le passé : cas très fréquent rencontré sur des productions internes à l’UE, et surtout sur les denrées importées, rencontré avec des légumes-racines contaminés par les traces d’organochlorés persistant dans le sol de la parcelle.
  • Le produit retrouvé n’a jamais été autorisé au sein de l’UE et l’importateur n’a demandé aucune tolérance d’importation : toute denrée présentant des résidus quantifiables est automatiquement retirée ; si elle est produite en Europe, il peut s’agir d’une fraude (utilisation de produits phytopharmaceutiques de contrefaçon, importation illégale de spécialités interdites). Pour les denrées importées, la présence des résidus peut provenir d’un cahier des charges inexact ou de denrées produites conformément à la réglementation locale du pays producteur et finalement exportées en UE.

3 – Si les résidus sont ceux d’une substance qui n’est pas un produit de protection des cultures :

  • Traces de formules biocides, de produits vétérinaires ou ménagers.
  • Contaminations diverses intervenues au champ, ou lors du transport ou du stockage par accident ou manque de professionnalisme des opérateurs.
  • Substance d’origine naturelle ou anthropique interagissant avec la méthode d’analyse.
  • Fraude intentionnelle.

4 – On rencontre enfin des cas anecdotiques comme les dépassements résultant d’un changement de LMR intervenu entre le début et la fin de la période de culture. Les études de l’EFSA visent bien évidemment à repérer ces irrégularités et à les corriger.