Permaculture et agriculture de conservation des sols
Philippe VIAUX, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 08/08/2025 à 10:00
Tant pour la permaculture que pour l'agriculture de conservation des sols (ACS), il n'existe pas de modèles clé en main. Il faut avoir une âme d'expérimentateur pour réussir. Ces systèmes doivent être adaptés au contexte pédoclimatique propre à chaque exploitation ainsi qu'aux objectifs fixés par agriculteur. Le contrôle des adventices est, pour ces deux systèmes, indispensable à la réussite. La permaculture est très exigeante en main d'œuvre. L'agriculture de conservation des sols nécessite des investissements spécifiques.
La permaculture et l’agriculture de conservation (ACS) sont des techniques agraires qui font l’objet de nombreux débats parmi les agronomes ; elles permettraient de trouver une solution aux nombreuses injonctions sociétales qui s’imposent aux agriculteurs.
Ces systèmes de production ont des points communs : ils cherchent à réduire le travail du sol et à maximiser sa couverture permanente.
La permaculture concerne surtout le maraîchage, alors que l’ACS est adaptée aux grandes cultures.
La permaculture
La permaculture est issue d’un mouvement environnementaliste qui a pris naissance, dans les années 1970, en Tasmanie. B. Mollison et D. Holmgren proposent un changement de perspective sur l’agriculture, insistant sur « la conception d’un écosystème dont il faut appréhender les conditions de pérennisation » et sur « l’objectif d’une vie qui soit le plus autonome possible à l’échelle transnationale ».
La permaculture est pratiquée par certains maraîchers, qui n’utilisent pas d’intrants de synthèse. Ce sont donc souvent des agriculteurs en agriculture biologique (AB) mais pas toujours certifiés. Dans cette technique, il est pratiqué presque systématiquement le non-labour, afin de ne pas perturber l’activité biologique du sol. En outre, des quantités importantes de matière organique (MO : fumier, compost, paille, feuilles d’arbre,
BRF) sont appliquées à la surface du sol afin de limiter le développement des adventices. La permaculture pratique fréquemment les associations de cultures et un couvert permanent du sol.
Ses grands principes
Les grands principes sont :
- L’autonomie et l’autosuffisance, qui sont les maîtres-mots de la permaculture.
- La sobriété énergétique, qui implique d’utiliser peu ou pas de mécanisation ; en corollaires, les besoins en main d’œuvre sont importants, et certains permaculteurs utilisent la traction animale.
- La construction d’un sol approprié au maraîchage est un passage obligé, puisque le sol naturel est en général insuffisamment fertile pour une production intensive. Concrètement, les aménagements pratiqués peuvent être des buttes permanentes rondes ou allongées, des planches permanentes plates, des couches chaudes (andains de fumier frais de cheval, qui, en fermentant, va dégager de la chaleur)
pour pouvoir faire des semis précoces, des cultures sous serre froides. - L’intensification de la surface disponible, car la permaculture est souvent mise en œuvre par des néoruraux disposant de peu de foncier, ce qui nécessite de produire le maximum de légumes sur un minimum de surface. Et pour cultiver le maximum d’espèces annuelles et pérennes, on met en œuvre des techniques telles que des associations d’espèces, des cultures-relais (implantées sous couvert de la
culture précédente), des plantes de service, des couches chaudes, etc. - L’autonomie en matières organiques, qui doit inciter à disposer d’une importante surface arborée (agroforesterie, haies, etc.) et de prairies. L’arbre joue un rôle central, car c’est une source de matière organique et d’éléments fertilisants (grâce au BRF).
Exemple de type de cultures au sein de la Ferme de Bec Hellouin (27800)
En moyenne, 76 types de produits sont cultivés chaque année dans les jardins de cette exploitation : 17 types d’herbes aromatiques et de fleurs comestibles (7 % du chiffre d’affaires), 16 types de légumes-fruits (41 %), 11 types de légumes-racines (20 %) et 32 types de légumes-feuilles (32 %). Source : S. Guegan et F. Leger, 2015
Les limites de la permaculture
La permaculture présente cependant un certain nombre de points difficiles :
- Les besoins en main d’œuvre de ce type de système sont élevés, et, en absence de mécanisation, le travail est souvent pénible.
- Les résidus organiques produits sur l’exploitation sont souvent insuffisants. Les permaculteurs ont donc souvent recours à de la matière extérieure à l’exploitation (généralement du fumier bovin AB ou nonAB).
- La pratique des buttes de culture pose souvent problème : avec un climat sec et en absence d’irrigation, les buttes sèchent très rapidement, aussi une bonne disponibilité en eau est indispensable. En France métropolitaine il faut des zones bien arrosées ou humides, comme le Marais poitevin ou les hortillonnages d’Amiens.
- Comme pour de nombreuses cultures en AB, les rendements en permaculture restent faibles.
En France métropolitaine, la permaculture est encore en phase « recherche-action », alors qu’elle est pratiquée avec succès dans les pays tropicaux humides. En effet, sous le climat métropolitain, les hivers froids et le manque d’eau en été limitent les possibilités de cette technique.
La permaculture, un choix d’approche personnelle
Au-delà de ses aspects agronomiques, la permaculture est aussi, pour certains, une approche éthique, associée avec une forme de spiritualité liée à la nature.
L’agriculture de conservation des sols (ACS)
L’ACS vise une perturbation minimale du sol, et une couverture organique permanente par des résidus végétaux ou des plantes de couverture, associée à une diversité des espèces cultivées (rotation, association).
Ces principes agronomiques sont aussi utilisés en permaculture, mais l’ACS est conçue pour s’appliquer aux grandes cultures, ce qui nécessite une mécanisation spécifique et le recours aux produits phytosanitaires, qui ne sont pas utilisés en permaculture.
Ses grands principes
Les grands principes sont :
- la couverture permanente du sol,
- du semis sans labour,
- des rotations longues et diversifiées. On peut intégrer, dans les rotations classiques, des légumineuses (par exemple, le pois après le colza), des cultures associées, des engrais verts, des cultures secondaires à cycle court comme le sarrazin.
Les effets agronomiques intéressants sont les mêmes que ceux évoqués pour le travail simplifié : le fait d’avoir un couvert organique permanent (au moins sur grande partie de la surface de l’exploitation) augmente la stabilité structurale, la portance et l’infiltration de l’eau. Ces effets positifs sont plus importants si les apports azotés sont forts et si les cultures bénéficient de l’irrigation, car il y a augmentation de la quantité de matière sèche produite, donc des quantités de carbone stockées en surface. L’allongement des rotations, la diversification des cultures et la couverture permanente du sol permettent une meilleure maîtrise des adventices, en particulier des vivaces ; néanmoins le recours à des désherbants reste
indispensable. Dans les enquêtes chez les agriculteurs en ACS, les IFT herbicides sont toujours supérieurs à ceux d’agriculteurs conventionnels et du fait de l’utilisation du glyphosate.
Les rendements sont souvent plus résilients en ACS, dans certaines conditions préjudiciables (excès d’eau, hydro-morphie). Par exemple, en 2016 – année de fortes pluies en nord-Loire de fin mai à juin – une asphyxie par excès d’eau en système traditionnel a entraîné d’importantes pertes de rendement en blé (-50 %), qui sont plus modérées en ACS.
En 2020 et en 2023, en raison des pluies d’automne, les blés en conventionnel n’ont pas pu être totalement semés (respectivement -5.6 % et -6.8 % de surface semée en blé, en moyenne en France par rapport à une année normale) alors que les semis étaient possibles en ACS.
Les freins au développement de l’ACS
La suppression du labour en grandes cultures et adoption de l’ACS ne s’improvisent pas ! Le passage d’un système à base de labour à l’ACS nécessite d’investir dans du matériel spécifique : semoir, rouleau (pour la gestion des couverts végétaux), disperseur de paille (pour homogénéiser la répartition des résidus).
Les semoirs, en particulier, sont coûteux ; ils doivent être choisis avec soin pour permettre un semis direct et doivent être adaptés aux conditions pédoclimatiques de l’exploitation.
Mais surtout, l’ensemble des itinéraires techniques doit être modifié.
Changer ses pratiques nécessite donc de se former, d’expérimenter, de s’adapter et de manière plus générale de changer ses repères. Sans ces précautions les risques d’échec sont importants.

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