Les agricultures urbaines, quelle définition ?
Philippe CLERGEAU et Christine AUBRY, membres de l'Académie d'Agriculture de France le 21/08/2025 à 10:00
L'agriculture urbaine regroupe un grand nombre de formes, de productions, d'acteurs et de lieux. Elle est multifonctionnelle, rendant de nombreux services aux citadins, non seulement alimentaires, mais aussi sociaux et environnementaux. L'agriculture urbaine est en pleine expansion, tant sous la forme des jardins partagés, de nouvelles startup ou de réinstallation de maraîchages.
L’agriculture urbaine, qui est en plein développement, implique maintenant des activités privées autant de citoyens que de professionnels. Peut-on encore parler d’une agriculture urbaine, tant ses formes semblent nombreuses ? Les objectifs de production alimentaire semblant très souvent
dépassés, d’autres fonctions sont-elles à l’œuvre ?
Un peu d’histoire
L’agriculture urbaine n’est pas récente, et même si elle s’est développée sous de nouvelles formes, elle n’est pas vraiment un effet de mode, mais plutôt d’héritage. On en a retrouvé des traces dans les toutes premières villes de l’Antiquité, comme en Mésopotamie. Au Moyen Âge et à la Renaissance, en Europe, les potagers urbains sont nombreux, mais sont relégués à partir du XVIIe siècle. Mais ce sont surtout les grandes surfaces maraîchères et de vergers autour des villes qui ont accompagné l’histoire des régions urbaines.
En France, les jardins ouvriers apparaissent à la fin du XIXe siècle, deviennent des jardins familiaux après 1945, puis se réduisent drastiquement jusqu’en 1970, notamment sous l’effet de l’étalement urbain et du prix du foncier.
De nouvelles formes d’activités apparaissent, telle la Guerilla gardening dans les rues et les friches de New-York dans les années 1980, ou les jardins partagés, par exemple à Lille. Elles vont se multiplier dans toutes les grandes villes du monde dès les années 2000. En 2025, on compte plus d’une centaine de jardins partagés dans Paris, et on constate que des jardins familiaux sont relancés, tandis que des potagers au pied d’immeubles sont promus par les bailleurs.
On observe une réelle synergie entre les friches disponibles et l’installation de potagers dans et autour de la ville. Il s’agit alors essentiellement d’activités agricoles et horticoles associatives, mais une pratique individuelle existe toujours dans les jardins privés.
Par ailleurs, l’agriculture professionnelle ne concerne plus les seuls maraîchers aux portes des villes (même si l’on constate une progression récente des installations maraîchères sur de petites surfaces autour des agglomérations françaises) : apparaissent de nouvelles entreprises de statuts divers – dont des start-up ou des associations ayant un secteur marchand – qui s’installent au cœur même de la ville sous différentes formes et sur différents types d’espace.
De très diverses activités de culture
À côté des traditionnels potagers en pleine terre, des balcons d’aromates et des jardinières de tomates, se développe actuellement une panoplie d’activités tant en toitures (potagers ou floriculture), qu’en sous-sols (culture de champignons et d’endives par exemple). Plus rarement se pratiquent des cultures en serre ou dans des bâtiments, sur substrat artificiel, en contrôlant tous les facteurs du milieu ; il s’agit d’hydroponie, où les
racines nues baignent dans une eau dosée en nutriments qui les alimente, ou d’aquaponie, où les cultures sont alimentées au moins en partie par les déjections de bacs d’élevage de poissons.
Ces agricultures urbaines sont en plein développement, d’ailleurs plus les low tech (techniques durables, simples, appropriables, résilientes, facilement réparables et adaptables) que les high tech qui s’appuient sur les nouvelles technologies (leds, robots, drones…), mais certaines rencontrent de fortes limites économiques, financières et sociales. Les microfermes intra-urbaines, à vocation essentiellement pédagogique, sont en fort développement.
Aussi s’installent un peu partout dans les villes :
- des élevages de poules, non seulement pour les œufs et le plaisir des enfants, mais aussi, voire surtout, pour gérer les déchets alimentaires ;
- des troupeaux de moutons pour des écopâturages d’entretien extensif des espaces verts ;
- des ruches disséminées sur les toitures.
L’agriculture urbaine, qui n’est plus seulement une production alimentaire pour un marché professionnel, intègre maintenant tout un ensemble d’activités sociales et socialisées impliquant le grand public.
Des définitions et des typologies
En principe, agriculture signifie étymologiquement « culture du champ », alors qu’horticulture se rapporte au jardin. Le dernier terme conviendrait mieux, mais agriculture urbaine est maintenant l’expression la plus employée au niveau international (urban agriculture) pour désigner toutes les activités de productions végétales et animales en milieu urbain et périurbain.
L’agriculture urbaine regroupe donc de multiples facettes et concerne aussi bien la ville et les noyaux urbains que la frange urbaine et l’espace périurbain.
Une classification proposée par C. Aubry (2022) la schématise en trois grands types :
- l’agriculture associative et individuelle (non marchande) essentiellement vivrière ou de loisirs ;
- l’agriculture d’entreprise (professionnelle), notamment maraîchage en périurbain et fermes productives
ciblées vers des marchés de niche en intraurbain (champignons, fleurs, etc.) ; - les microfermes intra-urbaines, au modèle économique hybride : un peu de vente, beaucoup de
rémunération de services pédagogiques et de subventions.
De son côté, Marie Stankowiak (Groupe de recherches et d’études concertées sur l’agriculture et les
territoires) identifie six types d’agriculture urbaine, plus détaillés sur un plan technique :
- l’agriculture non professionnelle collective : les jardins familiaux, partagés ou collectifs (fonctions
nourricière, d’éducation, de loisir) ; - l’agriculture non professionnelle individuelle : les potagers (fonctions nourricières et de loisir) ;
- l’agriculture servicielle : installations de ruches, bétail en écopâturage (fonctions de sensibilisation et
d’introduction de la nature en ville) ; - l’agriculture professionnelle sociale et solidaire : interstices urbains cultivés (fonctions de production,
d’insertion, de sensibilisation) ; - l’agriculture professionnelle hightech ou indoor : cultures en hydroponie ou en conteneurs (fonction de
production) ; - l’agriculture périurbaine classique (fonction de production).
Une multifonctionnalité qui en fait son originalité
Une des caractéristiques de l’agriculture urbaine est sa fréquente et très importante multifonctionnalité : elle constitue un cadre quasi xpérimental pour des développements d’itinéraires agroécologiques incluant des services écosystémiques multiples fournis par les agriculteurs.
Ces différentes fonctions et usages des espaces agriurbains s’expriment de manières variées selon les types d’agriculture urbaine. Par exemple, les fermes dites verticales, en environnement totalement contrôlé (indoor sensu stricto), offrent une fonction dominante de production alimentaire à l’unité de surface, mais aucune fonction en termes de biodiversité, d’infiltration des pluies, de stockage du CO2 ou d’espaces de loisirs et de bien-être.
Beaucoup de travaux visent à expliciter et à quantifier ces fonctions selon les catégories d’agriculture urbaine. Par exemple, le service de rafraîchissement contre les îlots de chaleur est beaucoup plus fourni par les strates arborées en ville que par la culture de légumes ou de fleurs, que ce soit au sol ou sur les toits.
Un lien réciproque avec la ville
Un des succès de l’agriculture urbaine est de participer à la construction d’un projet pour rendre la ville plus résiliente et plus autonome, notamment en reconnectant les urbains aux enjeux alimentaires et environnementaux, locaux et mondiaux. Outre ces services écosystémiques, ces agricultures entretiennent des liens très étroits et fonctionnels avec la ville, à travers les questions foncières, de main d’œuvre, de gestion de
l’eau ou d’accessibilité. Elles peuvent d’ailleurs se trouver en complémentarité mais aussi en concurrence avec des projets urbains.
Finalement, une définition consensuelle ?
Plusieurs définitions ont été proposées pour l’agriculture urbaine, et toutes intègrent à la fois la multiplicité des formes (depuis les grands maraîchages jusqu’au balcon d’aromatiques), des lieux (depuis les toitures de centre-ville jusqu’au périurbain) et des acteurs (du jardinier au chef d’entreprise).
Une des définitions qui nous semble la plus claire est celle de P. Moustier et A. M’Baye (1999) : « Agricultures et jardinages, pratiqués et vécus dans et autour d’une agglomération par des agriculteurs, des jardiniers et des habitants. Ces activités, professionnelles ou non, entretiennent des liens fonctionnels réciproques avec la ville : alimentation, cadre de vie, loisirs et autres services écosystémiques ».

Pour approfondir le sujet consultez aussi