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Labeur excessif d'ouvriers étrangers

Le système Terra Fecundis dénoncé


AFP le 19/05/2021 à 17:41

Ouvriers agricoles vivant dans des conditions dans lesquelles « on ne pourrait même pas héberger des animaux », horaires à rallonge : l'entreprise espagnole de travail temporaire, Terra Fecundis, accusée d'avoir pratiqué un dumping social pour des centaines d'agriculteurs français, a dû s'expliquer mercredi sur son système.

Au troisième jour du procès de cette société et de ses trois dirigeants espagnols pour « marchandage de main d’œuvre », le tribunal correctionnel de Marseille a constaté les horaires excessifs imposés aux hommes et femmes originaires pour la plupart d’Amérique du Sud embauchés dans les champs et serres de Provence.

Des ouvrières affectées à l’emballage des fruits dans une exploitation du sud-est de la France travaillaient de 6 ou 7 heures le matin à 21 ou 22 heures le soir, selon l’accusation. D’autres exemples d’horaires hebdomadaires dépassant les 48 heures, maximum légal en France, ont été évoqués par le président du tribunal Pierre Jeanjean.

En dépit de consignes de ne pas répondre aux contrôleurs de l’inspection du travail qui semblent avoir été données aux ouvriers acheminés par Terra Fecundis en France, des ramasseurs d’asperges ont expliqué travailler dans les champs jusqu’à 70 heures par semaine, dimanche compris. D’autres n’avaient bénéficié que d’un seul jour de congés pour une quarantaine de jours travaillés. Constatant que ces milliers de salariés détachés en France par Terra Fecundis se trouvaient « en situation de grande fragilité sociale », le président a cité un courrier du maire de Saint-Gilles (Gard) alertant le préfet d’une « arrivée massive de travailleurs espagnols dans une situation financière et sociale extrêmement précaire ».

Dans les locaux de Terra Fecundis à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), les enquêteurs avaient retrouvé des tableaux à deux colonnes indiquant le nombre d’heures travaillées par les salariés de Terra Fecundis et celui sensiblement différent des heures facturées par la société espagnole à l’exploitant français. Sur l’un de ces documents, pour un même client apparaissent ainsi 971 heures facturées pour 1 194 heures travaillées. Les ouvriers « partaient extrêmement tôt le matin pour rentrer extrêmement tard », confiera le gérant d’un camping où ils séjournaient.

« Le fait que ces gens soient parfois hébergés dans des conditions où on ne pourrait même pas héberger des animaux, qu’ils travaillent et ne soient payés à hauteur du travail effectué, ça ne vous choque pas ? », a lancé aux prévenus le procureur Xavier Léonetti alors qu’ont été diffusées des photos des logements dans lesquels étaient hébergés ces salariés étrangers et vulnérables.

« Main d’œuvre assez docile »

Seul des trois dirigeants de Terra Fecundis présent à l’audience, Juan Jose Lopez Pacheco a souligné que, chaque année, le syndicat espagnol Union General de Trabajadores (Union générale des travailleurs) avait vérifié les conditions de travail de ses salariés dans les exploitations françaises. « Nous n’avons jamais eu de sanctions de la part de l’inspection du travail de Murcie » (sud de l’Espagne), a-t-il ajouté. Evoquant un contrat de travail espagnol permettant une grande flexibilité, M. Lopez Pacheco a assuré que « Terra Fecundis régularisait les heures à la fin de la mission » du salarié détaché.

« Je ne comprends pas l’absence des exploitants agricoles devant ce tribunal », a également pointé le responsable à propos des centaines d’agriculteurs qui bénéficiaient avantageusement de ses services. « Le siège en Espagne faisait passer le message sur les dépassements horaires et de mon côté, je disais à mes clients de faire attention à respecter les horaires de travail », s’est défendue Anne Perez, première responsable de la structure française de l’entreprise espagnole.

« Dans cette entreprise, on a l’impression que tout le monde se refile le bébé », a regretté le procureur. Evoquant « une main d’œuvre assez docile » pour « accepter de vivre » dans de mauvaises conditions, le président du tribunal s’est même demandé dans quelle mesure ils n’étaient pas « contraints ». Plusieurs travailleurs avaient expliqué n’avoir guère d’autre choix pour faire vivre leur famille restée en Amérique du Sud. Un homme qui a travaillé dix ans pour Terra Fecundis avait résumé : « On n’a pas les heures supplémentaires mais au moins j’ai un travail ».