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Académie d'Agriculture de France

Le fonctionnement et la gestion des étangs de pisciculture


Jérôme LAZARD, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 05/09/2023 à 17:05

(©GettyImages)

L’aquaculture en étang s’appuie sur l’infrastructure d’élevage la plus anciennement connue et encore aujourd’hui la plus utilisée à travers le monde (95 % en Chine). Elle se caractérise par une très grande diversité de pratiques aquacoles, des plus extensives aux plus intensives. La majorité des étangs sont en terre mais ils peuvent également être tapissés par une bâche imperméable (liner en anglais) ou cimentés, bien adaptés aux sols perméables

Les mécanismes en jeu au sein d’un étang

Tous les organismes aquatiques peuvent être élevés en étang, en eaux douces ou salées (mollusques, crustacés, poissons), la pratique de la monoculture ou de la polyculture y trouve sa place, toutes les formes de fertilisation sont possibles, l’intensification par l’apport d’aliments, le renouvellement de l’eau et la pratique de l’aération ou de l’oxygénation permettent d’atteindre des rendements comparables à ceux de structures hors sol (cages, bassins). Cet outil de production peut en outre abriter toutes les phases de la vie du poisson (reproduction et croissance).

Une infinité d’organismes de diverses tailles et appartenant à de nombreux groupes taxonomiques constitue les maillons des réseaux trophiques. Ces organismes constituent non seulement les aliments de nombreuses espèces d’élevage, mais ils induisent de profondes modifications de la qualité de l’eau des étangs, notamment vis-à-vis de paramètres stratégiques pour des conditions optimales d’élevage : pH, oxygène dissous, composés de l’azote, etc. Tous ces facteurs contribuent à faire de l’étang un milieu complexe, longtemps qualifié de boîte noire.


Parmi les principales espèces piscicoles élevées en étang figurent : la carpe commune, les carpes chinoises et indiennes, les tilapias, les poissons chats et les chanos (milkfish). La technique du traçage isotopique, basée sur les isotopes stables du carbone et de l’azote, appliquée aux apports organiques effectués en étangs, a permis de mettre en évidence deux voies trophiques majeures : la voie autotrophe (organismes photosynthétiques) et la voie hétérotrophe (organismes dépendant de sources de matières organiques exogènes) en les quantifiant.

Elle a mis en évidence le rôle important, et négligé jusqu’alors, de la voie hétérotrophe pour la production piscicole chez deux espèces majeures : 50 % à 65 % pour les carpes communes et 20 % à 40 % pour les tilapias. La carpe argentée, strictement phytoplanctonophage, ne profite pas de la voie hétérotrophe (Figure 2).

La fraction microbienne (bactéries et protozoaires) qui se développe sur la matière organique de l’engrais explique le complément de production piscicole : elle est consommée par le poisson sous forme particulaire de détritus (fractions de matière organique) sur le fond de l’étang ou en suspension dans la colonne d’eau. L’étang peut alors être considéré comme une version aérobie de l’appareil digestif des ruminants, les micro-organismes se chargeant de la digestion des éléments non assimilables par le poisson et constituant un apport protéique supplémentaire de haute valeur alimentaire.


En complément des résultats précédents, un aliment composé équilibré à 25 % de protéines a été distribué quotidiennement à des étangs de polyculture (carpe commune, tilapia hybride, carpe argentée) à raison de 2 % de la biomasse des tilapias et de 6 à 4 % de la biomasse des carpes communes. Les résultats ont révélé, toujours grâce à la méthode du traçage isotopique du carbone 13C/12C (ΔC) et à l’analyse du ΔC dans la chair des poissons en fin de cycle d’élevage (90 jours), que les contributions relatives à la croissance des trois espèces se répartissent comme indiqué dans la figure 3 : l’aliment joue, dans ce contexte, le rôle d’un engrais et non d’un aliment sensu stricto, avec l’impact majeur sur le compte d’exploitation.


Fertilisation organique des étangs et intégration agro-piscicole


La fertilisation organique est le type de fertilisation le plus utilisé en pisciculture d’étang, particulièrement en zone tropicale, siège de l’essentiel de la production dans ce type d’infrastructure. Les engrais organiques sont principalement constitués par des déchets ou des sous-produits de l’agriculture et par des effluents d’élevage et à ce titre sont généralement disponibles à faible coût. Les engrais organiques stimulent l’écosystème à différents niveaux trophiques puisqu’ils contribuent à l’enrichissement de l’étang en azote et en phosphore mais également en carbone via la dégradation bactérienne de la matière organique.

De cette façon, les deux voies trophiques, autotrophe et hétérotrophe, sont stimulées, permettant d’obtenir des rendements supérieurs à la seule fertilisation minérale.


D’essais conduits en Chine avec des carpes chinoises, comparant l’efficacité des effluents provenant de divers élevages, il ressort que ceux procurant les meilleurs rendements sont les lisiers de porc, suivis par les fientes de volailles, puis par les effluents de bovins dans des rapports de 5,2, 5,1 et 3,9 fois celui obtenu dans l’étang témoin. Ce classement est confirmé (avec des amplitudes variables) dans d’autres pays tropicaux avec d’autres espèces (tilapias et clarias principalement). Les densités d’animaux associés aux élevages piscicoles permettant d’obtenir les meilleures productions correspondent à 50-100 porcs par hectare et 1 000 à 3 000 poulets ou canards par hectare (température de l’eau > 24 °C).

Le taux d’oxygène dissous est le paramètre physicochimique le plus sensible à l’apport d’engrais organique, car il est influencé à la fois par la voie autotrophe (phytoplancton, producteur et consommateur d’oxygène) et hétérotrophe (zooplancton, benthos, bactéries, consommateurs stricts d’oxygène). Il varie au cours du nycthémère avec des valeurs maximales en fin de journée pouvant excéder largement le niveau de saturation en oxygène (150 à 200 %) et descendre à 0 en fin de nuit/début de journée. D’autres paramètres tels que les composés azotés issus de la décomposition bactérienne de la matière organique sont susceptibles d’agir négativement sur la croissance des poissons, en premier lieu le complexe ammoniacal NH3-NH4+.


Aspects sanitaires de la fertilisation organique


En plus des risques sanitaires intrinsèques à l’élevage d’animaux terrestres, l’élevage associé à la pisciculture comporte ceux provenant de la gestion des effluents destinés aux poissons via la fertilisation des étangs, et de la consommation humaine des produits aquacoles élevés dans ces systèmes. Des guides de bonnes pratiques existent dans ce domaine, mais l’application stricte des précautions qu’ils recommandent placerait ce système d’élevage hors-la-loi. Des guides « réalistes » doivent prendre en compte des facteurs de nature épidémiologique et pas seulement la présence de micro-organismes dans le milieu.

Par ailleurs, de façon à obtenir une approche holistique du risque potentiel du système d’élevage associé animaux-poissons, il est important de le comparer avec d’autres systèmes de production utilisant les effluents d’élevage à d’autres fins que la fertilisation d’étangs, surtout dans les pays en développement. Fondamentalement, un étang constitue un site de lagunage pour les effluents d’élevage dans la mesure où les fortes amplitudes diurnes des paramètres physicochimiques de l’eau provoquent une atténuation rapide de la virulence des agents pathogènes (Figure 5).


Gestion biotechnique


En aquaculture, d’une façon générale, les infrastructures d’élevage sont empoissonnées avec de jeunes individus qui vont grossir jusqu’à atteindre leur taille marchande à condition que l’aliment (naturel ou artificiel) et les facteurs de l’environnement (qualité de l’eau) ne deviennent pas des facteurs limitants. Lorsque ces facteurs deviennent limitants, la croissance commence à ralentir jusqu’à s’annuler et la biomasse demeure stable.

À ce stade, l’étang (ou toute autre structure d’élevage) est considéré comme ayant atteint sa capacité de charge (carrying capacity). Idéalement, la structure d’élevage doit être récoltée lorsque la vitesse de croissance commence à ralentir, correspondant à la biomasse critique. Chaque pisciculteur doit connaître pour le système d’élevage qu’il met en oeuvre les limites de productivité correspondant à la capacité de charge dont l’augmentation exige nécessairement une modification du mode de gestion du système aquacole. La Figure 6 met en évidence sept niveaux de productivité.



Gestion bioéconomique


L’approche des élevages par le concept de capacité de charge permet de mieux conceptualiser l’utilisation optimale des structures d’élevage et d’assurer leur rentabilisation maximale. La Figure 7 illustre ce propos : plus on s’approche de la capacité de charge, plus le bénéfice d’exploitation diminue. Cette situation est principalement due à l’augmentation du taux de conversion de l’aliment et à la dégradation de la qualité de l’eau d’élevage, ainsi qu’à l’accroissement du taux de mortalité.

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)

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