Le Brexit et ses conséquences pour l’agroalimentaire :une nécessaire vigilance
Bernard BOURGET, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 26/06/2025 à 10:00
L'utilisation de produits phytopharmaceutiques, pour protéger les productions végétales contre les bioagresseurs, peut induire la présence de résidus de pesticides sur ou dans les denrées récoltées. Afin de protéger la santé des consommateurs humains ou animaux contre des effets indésirables, les autorités fixent – pour chaque substance active et pour chaque denrée – une limite maximale de résidus (LMR). Ces LMR sont donc des limites administratives maximales, définies en fonction des bonnes pratiques agricoles. Elles garantissent que si l'on ingère dans son régime alimentaire toutes les denrées issues de cultures ayant potentiellement été traitées avec une substance donnée, la somme des résidus ingérés est inférieure à la dose journalière admissible (DJA). Cette dernière étant la valeur de référence toxicologique qui protège les consommateurs d'un risque à moyen ou long terme.
Le Royaume-Uni était un important débouché pour les produits agricoles et alimentaires français avant sa sortie de l’Union européenne.
Après un bilan des influences réciproques, des échanges de produits agricoles et alimentaires entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, et une présentation des éléments principaux de l’accord de commerce et de coopération (conclu le 24 décembre 2020, entré en vigueur le 1er mai 2021), cette fiche aborde trois questions concernant l’après Brexit :
- Quelles orientations pour la politique agricole du Royaume-Uni et les nations qui le composent ?
- Quelles perspectives pour le commerce agricole et alimentaire ?
- Quelles peuvent être les conséquences du Brexit pour les exportations agroalimentaires, d’une part, de l’Irlande et, d’autre part, de la France ?
Bilan partiel de 47 ans de « vie commune »
Ce bilan met en évidence des influences réciproques entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, marquées par la contribution britannique à la prise en compte de l’environnement dans la politique agricole commune et, dans l’autre sens, par l’européanisation du régime alimentaire britannique.
Il se caractérise aussi par l’importance des échanges de produits agricoles et alimentaires entre l’Union européenne et le Royaume-Uni avant le Brexit, et une forte dépendance britannique aux importations en provenance de l’Union européenne : le Royaume-Uni importait deux fois et demie plus de produits agricoles et alimentaires de l’Union européenne qu’il n’en exportait vers l’UE.
En particulier, près de la moitié des exportations agroalimentaires de l’Irlande étaient destinées au Royaume-Uni, et la balance des échanges agroalimentaires franco-britanniques était excédentaire d’environ 3 milliards d’euros par an en faveur de la France.
L’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne
L’accord de commerce et de coopération se caractérise par :
- l’absence de droits de douane et de contingents sur toutes les marchandises échangées dans les deux sens;
- le rétablissement des contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires ; dans le cas de l’Irlande, ils sont reportés entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, pour éviter de recréer une frontière à l’intérieur de l’Irlande entre l’Ulster et l’Eire ;
- des exigences en matière d’origine des produits comportant des pourcentages de composants en provenance des pays tiers à ne pas dépasser.
Il en résulte des coûts supplémentaires dus aux formalités administratives, ainsi que des délais de livraisons allongés, ces délais pouvant être néfastes pour les denrées périssables.
Les trois questions
1 – Quelles orientations pour la politique agricole du Royaume-Uni et celles des nations qui le composent ?
Le Royaume-Uni – qui a été un opposant farouche à la politique agricole commune lorsqu’il était membre de l’Union européenne – a désormais toute latitude à conduire la politique agricole qui lui convient. Il doit cependant tenir compte de la compétence dont disposent dans ce domaine chacune des quatre nations qui le composent : l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord.
- En ce qui concerne l’Angleterre, c’est l’importance accordée à l’environnement qui va primer, et qui va se traduire par un transfert progressif (entre 2021 et 2027) des paiements directs attribués aux agriculteurs anglais, vers des paiements pour des services environnementaux et le bien-être animal (public money for public goods). Ainsi la part des paiements pour des services environnementaux et le bien-être animal dans le budget agricole de l’Angleterre passerait de 23 % en 2021-2022 à 57 % en 2024-2025, tandis que la part des aides directes de base diminuerait de 68 % à 57 % durant la même période. La nouvelle politique agricole anglaise n’a pas permis de préserver le revenu de nombreux agriculteurs qui sont confrontés aux mêmes difficultés que leurs homologues du continent et ont décidé de diversifier leurs activités, notamment dans le tourisme, les loisirs et la vente de produits à la ferme.
- Dans les autres nations du Royaume-Uni, notamment l’Écosse, l’évolution de leur politique agricole devrait être moins radicale et freinée, car leur marge de manœuvre est limitée par les crédits que leur attribue le Trésor britannique.
2 – Quelles évolutions pour le commerce des produits agricoles et alimentaires après le Brexit ?
Entre 2019 et 2023, la tendance la plus marquante de l’évolution du commerce agroalimentaire de la France avec le Royaume-Uni est l’augmentation des importations en provenance du Royaume-Uni qui est 2 fois supérieure à celle des exportations de la France vers ce pays. En effet, au moins 30 % des produits agricoles et agroalimentaires importés du Royaume-Uni dans l’Union européenne sont dédouanés en France, mais un tiers d’entre eux sont destinés à d’autres États membres et ne font que transiter par notre pays (« effet hub »). Ces flux concernent notamment les ovins, les cheddars et les produits de la mer.
En ce qui concerne les exportations françaises de produits agricoles et alimentaires vers le Royaume-Uni, si les exportations de vins et spiritueux se maintiennent, celles de produits laitiers frais sont fragilisées par les délais des contrôles à l’entrée sur le sol anglais (Figure 1).

Le Royaume-Uni, qui négocie de nombreux accords de libre-échange, substitue progressivement les importations agroalimentaires provenant de l’Union européenne par des produits en provenance de pays tiers qui sont de grands pays agricoles, comme des membres du Commonwealth (Australie, Nouvelle-Zélande), ou comme les États-Unis, le Mexique et le Mercosur. Il en résulte des pertes de marché pour l’Union européenne.
3 – Quelles peuvent être les conséquences du Brexit pour les exportations agroalimentaires, d’une part de l’Irlande et, d’autre part, de la France ?
L’Irlande est le pays de l’UE le plus impacté par le Brexit en raison de la forte intégration de son économie avec celle du Royaume-Uni et de la place des produits agroalimentaires dans leurs échanges : avant le Brexit, 44 % des exportations de l’Irlande étaient destinées au Royaume-Uni dont 50 % pour la viande bovine et 42 % pour les produits laitiers. L’Irlande redoute, non seulement les nouveaux accords de libre-échange du Royaume-Uni qui pourraient fortement affecter sa production de viande bovine, mais aussi les coûts des divergences réglementaires qui la pénaliseraient et s’ajouteraient aux fluctuations de change.
Les difficultés de l’Irlande risquent, par ricochet, de pénaliser la France qui est le principal producteur européen de viande bovine à partir de troupeaux allaitants, surtout dans un contexte de diminution de la consommation de viande bovine.
S’agissant toutefois des importations de produits agroalimentaires du Royaume-Uni en provenance de pays tiers, notamment des États-Unis, il faudra voir si les Anglais – qui avaient adopté les normes élevées de l’Union européenne pour la sécurité sanitaire des aliments – accepteront de consommer de la viande bovine aux hormones ou des poulets chlorés, malgré la puissance des multinationales et des firmes de négoce bien
implantées dans leur pays.
La baisse des exportations françaises de produits agroalimentaires vers le Royaume-Uni, constatée depuis le début de l’année 2021, s’est poursuivie en 2022 et 2023. La France devra donc s’appuyer sur la qualité et la notoriété des produits pour maintenir ses parts de marché au Royaume-Uni. Elle devra aussi s’assurer du respect des normes européennes et des règles d’origine pour les produits importés directement de Grande-Bretagne ou passant par l’Irlande du Nord.
Certaines dispositions de l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui est un accord de libre-échange classique, c’est-à-dire portant essentiellement sur la suppression des droits de douane et des contingents, ne sont d’ailleurs pas suffisamment claires pour éviter des contentieux.
