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ACADEMIE D'AGRICULTURE DE FRANCE

La gouvernance foncière dans les territoires ruraux


Marie-Claude MAUREL, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 24/01/2024 à 16:25
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

Associée à l'idée d'efficacité de l'action publique, la gouvernance appartient à ces mots magiques auxquels on se réfère sans les définir avec précision. Plus qu'un dispositif, le terme désigne une technique de gestion sociale visant à produire des règles collectives selon un mode d'exercice du pouvoir rendu plus flexible par l'ouverture de la décision à un grand nombre d'acteurs. Appliquée à la ressource foncière, la notion de gouvernance correspond à un mode de pilotage de l'action publique en vue d'intégrer les usages d'un foncier multifonctionnel, source de tensions et d'enjeux.

Dans sa dimension transversale, la gouvernance foncière mobilise une pluralité d’acteurs publics et privés, porteurs d’une large gamme d’intérêts économiques, environnementaux et sociaux, qui participent à la décision dans les différentes échelles territoriales. Ainsi qualifiée, la notion de gouvernance foncière constitue une entrée clef pour les transformations de l’action publique dans les territoires ruraux. Selon la définition du rural élaborée par l’Insee en 2020, les territoires ruraux désignent l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses d’après la grille communale de densité. Ils couvrent 88,7 % du territoire national, réunissent 88 % des communes et 33 % de la population en 2017.

La ressource foncière comme objet de gouvernance

Terre, sol, foncier, autant de mots pour désigner un même objet qui est le socle de fonctions, d’usages et de rapports sociaux multiples. De nature juridique, le vocable foncier est relatif à un fonds de terre (fundus), à son appropriation et à son exploitation. Dans sa matérialité, le foncier renvoie au sol, substrat vivant et support de la production agricole et forestière qui remplit – en tant que ressource naturelle – une gamme de fonctions vitales (production de biomasse, stockage du carbone, épuration et réservoir d’eau, habitat d’une biodiversité, etc.). Le sol se prête à des usages diversifiés, inégalement codifiés par des règles juridiques participant d’un droit du sol ou d’un droit sur le sol qui de fait n’existe pas sous forme de référentiel cohérent. Le code civil appréhende le sol en tant qu’assise de la propriété foncière, tandis que d’autres codes juridiques (rural, urbanisme, environnement, collectivités locales) en font mention selon des approches catégorielles.

Le substantif foncier est aussi utilisé par les urbanistes pour désigner la surface des sols avec leurs droits d’usage associés. S’agissant plus spécifiquement du foncier agricole (à utilisation agricole), le terme renvoie à une pluralité de valeurs d’usage (bien public, patrimoine familial, outil de travail, capital marchand, etc.) qui viennent brouiller sa gestion en termes de choix collectifs.

Agir sur la multifonctionnalité des usages du foncier

La gouvernance foncière se décline comme un droit d’agir sur le foncier, selon les usages que les acteurs affectent à un sol qui remplit des fonctions économiques (production de biens alimentaires et non alimentaires), mais également des fonctions écologiques essentielles. La ressource foncière est exposée aux effets d’un mode de production intensif de type agro-industriel menaçant son renouvellement, ainsi qu’aux risques d’une pression foncière liée à la progression de nouveaux usages de l’espace rural (habitat pavillonnaire, résidences secondaires, équipements de loisirs, aménagement d’infrastructures).

La consommation accélérée d’Espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), ces dernières décennies, est à l’origine d’une politique visant la sobriété foncière par la limitation de l’artificialisation des sols. L’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) avancé par le Plan Biodiversité (2018) et repris par la loi Climat et résilience (2021), aux horizons 2030 puis 2050, ne manque pas d’ambitions, mais il rencontre quelques réticences lorsqu’il s’agit de l’appliquer à l’échelle des communes rurales et des intercommunalités.

Les mesures de politique foncière et les dispositifs réglementaires établis par le cadre législatif national sont mis en œuvre par les institutions publiques, maillons essentiels d’une gouvernance décentralisée dont le mode d’exercice ne cesse de se complexifier. En effet, la gestion publique du foncier relève d’instances institutionnelles tenues d’associer une pluralité d’acteurs publics et privés, dans l’élaboration de stratégies qui soient en mesure de répondre aux besoins en surfaces des activités économiques tout en assurant une régulation des divers usages de la ressource foncière.

Une gouvernance foncière prenant appui sur la planification territoriale

Les visées de la planification prennent corps dans l’élaboration de documents d’urbanisme à modalités d’agencement et périmètres d’intervention réglementés. Le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) sert de cadre pour conduire les politiques sectorielles à l’échelle de bassins de vie et d’emploi de taille variable, dont le pilotage peut être assuré par des structures de statuts divers. Le Plan local d’urbanisme au niveau communal (PLU), comme le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), portent un projet global d’aménagement et d’urbanisme, et déterminent par la suite les règles opérationnelles d’utilisation des sols.

Le Schéma régional d’aménagement et développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), institué par la loi NOTRe, précise la stratégie, les objectifs et les règles que chaque région arrête en matière d’aménagement de son territoire ; il revêt une valeur prescriptive. Si ces documents fixent des objectifs de réduction de la consommation d’espaces à court et moyen termes, ils ne garantissent pas une protection forte des espaces agricoles. Pour agir sur le long terme, d’autres dispositifs peuvent être engagés, afin de conforter la vocation agricole des sols et les soustraire à la pression de l’urbanisation : les Zones agricoles protégées (ZAP) et les Périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN). Le premier PAEN a été installé en 2010 à Canohès-Pollestres (Pyrénées-Orientales), sur la base d’une gouvernance concertée, pour préserver le paysage et protéger les espaces agricoles et naturels de la déstructuration par l’urbanisation.
La planification territoriale s’accompagne de la définition de catégories spatialisées d’identification et d’intervention, en lien avec des prescriptions codifiant les usages de l’espace. L’instrument essentiel en est le zonage. Des zonages d’intervention aux territoires de projets, une tendance à générer de nouveaux périmètres d’action publique s’est affirmée, conduisant à une situation d’empilement (« le millefeuille ») fréquemment dénoncée.


De fait, les dispositifs juridiques et réglementaires au fondement des zonages peuvent se superposer, s’entrecroiser, et parfois se contredire, en dépit du fait que les documents d’urbanisme relevant d’un échelon territorial donné s’imposent aux niveaux subséquents (et donc aux documents de rang inférieur). L’enchevêtrement des zonages est d’autant plus problématique qu’il nécessite des ajustements avec les maillages institutionnels (de la région à la commune) et qu’ils peuvent interférer avec les formes de regroupement à la carte résultant d’une intense coopération intercommunale.


En dernier ressort, la fonction d’assemblage des multiples dispositifs d’action publique relève de la responsabilité des collectivités territoriales dont les compétences ont été redéfinies par la loi NOTRe. Le souci de mise en cohérence requiert l’intervention de personnels qualifiés, en mesure de maitriser la complexité des procédures administratives (programmation, contrôle et vérification) relatives aux opérations d’aménagement foncier.

Les instances de décision aux diverses échelles territoriales

De manière générale, la responsabilité de la décision est encadrée par les nombreux dispositifs qui ont pour rôle de réglementer et de planifier les usages de l’espace, et qui imposent leur logique propre aux instances en charge de la délibération démocratique aux divers niveaux territoriaux. La fonction d’arbitrage entre les changements d’usage du foncier s’exerce sous le regard de l’administration d’État et d’une multitude de structures qui, sous des appellations diverses (établissements publics, observatoires, agences, syndicats mixtes, etc.), encadrent les procédures de gestion de ressources dont la préservation est considérée vitale, qu’il s’agisse du sol, de l’eau, de la qualité de l’air, et plus globalement de l’environnement naturel.


La gouvernance foncière s’inscrit dans une approche de territorialisation des politiques publiques. De nombreux organismes et instances contribuent à la mise en œuvre des politiques foncières, du niveau régional à l’échelon local. Les Missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) émettent des avis indépendants concernant les plans et programmes lorsque sont en jeu des changements d’usage des sols. Á l’échelon départemental, interviennent des instances de concertation pilotées par l’État et dans lesquelles siègent des représentants des acteurs concernés : la Commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est consultée pour toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole, ainsi que sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces.

La Commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDPNS) contribue à une gestion équilibrée des ressources naturelles et de l’espace dans un souci de développement durable. La Commission départementale d’orientation agricole (CDOA), qui a repris les attributions de l’ancienne Commission départementale des structures agricoles, donne des avis sur l’agrandissement des exploitations, dans le cadre du Schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) et du Projet agricole départemental (PAD) . Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), issues des lois d’orientation agricole de 1960 et 1962, ont vu leurs missions s’étendre aux problématiques relatives à l’environnement, aux paysages, aux ressources naturelles, de manière
à accompagner les collectivités territoriales dans leurs projets fonciers.


En élargissant le cercle des parties prenantes, les modifications apportées par le législateur à la composition des instances, telles que la CDOA et les Safer, participent d’une transformation de la gouvernance foncière conduisant à un effacement progressif de la représentation spécifique au monde agricole.

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)

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