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Académie d'agriculture de France

La domestication « de novo » : une approche alternative pour la création des futures cultures


Alisdair R. Fernie et Jianbing Yan le 03/09/2019 à 22:54
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La production agricole mondiale actuelle doit répondre à l’exigence de nourrir plus de 7 milliards de personnes. Cependant, la productivité des cultures varie considérablement de par le monde et se trouve de plus menacée par une concurrence accrue pour la disponibilité des terres arables, par les impacts du changement climatique, et la dégradation de l'environnement. Il est donc indispensable de nous adapter en réfléchissant à nos futures cultures.

L’augmentation anticipée de la taille de la population humaine et les changements alimentaires entraînent une charge de plus en plus lourde pour l’agriculture. La majeure partie de cette charge est assurée par la culture d’un très petit nombre d’espèces, principalement cultivées dans des endroits différents de leur origine de domestication.

Des parents sauvages aux espèces domestiques

La majorité des cultures et des légumes que nous consommons actuellement ont été domestiqués à partir de leurs parents sauvages au cours des 12 000 dernières années, une ère (néolithique) parmi les plus glorieuses de l’histoire de l’humanité, conduisant à l’adoption par les groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur l’agriculture. Au cours de ce processus de domestication, nos ancêtres ont tout d’abord simplement choisi ce dont ils avaient besoin pour vivre. Ces choix simples ont finalement abouti à la mise en place de mutations et de recombinants précieux dans des gènes clés qui ont facilité la création, la culture et la conservation de graines cultivées (par exemple, gènes contrôlant le nombre de grains/graines chez les céréales et les légumineuses, ou encore la taille et le poids des fruits chez les potagères). Cependant, 70% des calories consommées par l’homme proviennent de 15 cultures seulement, qui ont été domestiquées dans différents pays du monde. Parmi ceux-ci, les grains de maïs, de riz et de blé représentent plus de la moitié des calories consommées. Les auteurs soulignent que plus de 7 000 des 400 000 espèces de plantes existantes connues sont considérées comme semi-cultivées et pourraient de fait représenter une source importante de matériel génétique pour la conception de futures cultures.

Concevoir des cultures « idéales »  adaptées aux enjeux actuels

Les récentes avancées technologiques (édition des génomes notamment) laissent entrevoir la possibilité d’une domestication « de novo » des plantes sauvages comme une solution viable pour concevoir des cultures « idéales », tout en maintenant les objectifs de la sécurité alimentaire (en quantité et en qualité) et une agriculture plus durable (réduction de l’usage des intrants en agriculture). Les auteurs discutent dans cette publication de la manière dont la découverte de plusieurs gènes clés de domestication parallèlement au développement de ces nouvelles technologies visant à une manipulation précise de ces gènes fait de la domestication « de novo » une voie possible vers la création des cultures du futur.

Une production agricole actuelle qui a ses faiblesses

Les auteurs soulignent aussi plusieurs difficultés rendant la production agricole actuelle particulièrement difficile. Notamment, une forte dépendance vis-à-vis des engrais chimiques et des pesticides a un coût environnemental et entraîne une productivité non durable. Par ailleurs, les besoins en eau douce pour l’irrigation des cultures restent élevés face à la rareté croissante de la ressource. Les prévisions actuelles concernant les changements climatiques suggèrent que l’agriculture devra faire face à des changements climatiques plus extrêmes, notamment la sécheresse, la chaleur, le froid, les sols salins et alcalins. En outre, la plupart de nos cultures sont riches en macronutriments mais pauvres en micronutriments nécessaires à l’homme et aux animaux. Enfin, l’efficacité de la production des principales cultures actuelles est très variable dans le monde, certaines étant très mal adaptées à leur zone de culture. Par exemple, les rendements de manioc en Asie du Sud-Est sont jusqu’à trois fois plus élevés que ceux de l’Afrique subsaharienne, principalement en raison de l’utilisation à grande échelle d’engrais en Asie, alors qu’aucune n’est appliquée aux sols pauvres en nutriments d’Afrique.

Des progrès de la science sources d’espoir

Notre compréhension du processus de domestication a fait des progrès fulgurants, en seulement quelques années, principalement grâce aux avancées de la génomique, du génotypage et du phénotypage, notamment à très haut débit, ainsi que des nouvelles biotechnologies. De telles avancées soulèvent la question de savoir s’il est possible d’accélérer le processus traditionnel de domestication afin de créer des cultures idéales pour les besoins de l’humanité. Les développements récents des technologies d’édition du génome, qui permettent des manipulations génétiques beaucoup plus ciblées et précises qu’auparavant, parallèlement au passage à la sélection moléculaire (et non plus phénotypiques, beaucoup plus longues et fastidieuses), en font une question d’actualité.

Informations complémentaires : Dominique Job, Georges Pelletier, Jean-Claude Pernollet (2011) On the trail of domestications, migrations and invasions in agriculture. Comptes Rendus Biologies 334, 169-262. Séance bi-académique (Académie des sciences et Académie d’agriculture de France ; mars 2011) à l’occasion du 250éme anniversaire de l’Académie d’agriculture de France (https://www.sciencedirect.com/journal/comptes-rendus-biologies/vol/334/issue/3).

https://www.academie-agriculture.fr/

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