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Académie d'Agriculture de France

La classification des aliments, selon leur degré de transformation, par le système NOVA


Véronique BRAESCO, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 04/12/2023 à 15:29
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

Le rôle de l'alimentation sur la santé fait désormais l'objet d'un fort consensus, qui repose sur de nombreuses études scientifiques conduites durant les quarante dernières années. Celles-ci mettent en relation la consommation de certains groupes d'aliments (fruits et légumes, produits laitiers, céréales, etc.) et de certains nutriments (sucres, sel, sodium, fibres alimentaires) avec une modification du risque de maladies telles que cancer, diabète ou maladies cardio-vasculaires. Jusqu'au milieu des années 2010, c'était essentiellement la composition nutritionnelle de l'alimentation qui était proposée comme mécanisme d'explication de ces relations

Aliments ultra-transformés (AUT) : de quoi parle-t-on ?

Un changement de paradigme semble s’installer depuis quelques années, et un nombre croissant de chercheurs considère que la façon dont sont produits les aliments que nous consommons joue également un rôle. Afin de prendre en compte ce changement, plusieurs systèmes visant à classer les aliments, selon leur degré de transformation, ont été proposés. Celui qui est aujourd’hui le plus largement utilisé, émanant d’un groupe de chercheurs brésiliens en santé publique, est connu sous le nom de NOVA (qui n’est pas un acronyme).

La classification NOVA

Cette classification distingue 4 catégories d’aliments (Figure 1), selon des critères qui relèvent des procédés mis en œuvre, mais surtout de la formulation des aliments (nombre et nature des ingrédients). Elle tolère certains additifs permettant une meilleure conservation des aliments 1dans les catégories NOVA1 (aliments non transformés ou transformés de façon minime) à NOVA3 (aliments transformés). Mais l’utilisation d’additifs imitant les qualités sensorielles des aliments naturels, ou dissimulant leurs défauts (tels colorants, arômes, exhausteurs de goût, édulcorants, agents raffermissants, gonflants, émulsifiants), ou bien celle d’ingrédients extraits d’une matière première (caséine, lactosérum, gluten, etc.) ou secondairement transformés (huiles hydrogénées, isolats de protéines, maltodextrines, sirop de glucose, fructose), dirige l’aliment dans la catégorie NOVA4 des aliments ultra-transformés. La catégorie NOVA2 réunit des ingrédients dits culinaires tels l’huile, le sel, le beurre ou le sucre.

La classification NOVA n’est pas robuste

Quel que soit son objectif, un système de classification doit permettre d’ordonner des entités (ici les aliments) au sein de groupes ou catégories, avec une hétérogénéité maximale entre les groupes, mais minimale au sein d’un groupe. Comme toute méthode scientifique, elle doit également être validée, en satisfaisant simultanément trois exigences :


• la validité des critères qu’elle utilise,
• la validité de sa construction,
• sa fiabilité.


La validité des critères peut s’interpréter comme une validation biologique, ou ici, une validation clinique. Les éléments développés dans la fiche 08.04.Q14 suggèrent que ce critère peut sans doute – sur le plan théorique – être considéré comme respecté : en effet, les études d’observation concluent de manière très cohérente qu’une consommation élevée d’aliments classés comme ultra-transformés par NOVA est associée à un risque de maladie accru, par comparaison à des consommations plus faibles.

La construction du système NOVA, en revanche, n’apparaît pas validée : il est souvent difficile de choisir entre deux catégories, alors que les variables proposées (type de procédés, nombre d’ingrédients, présence d’additifs, etc.) ne sont pas organisées de manière séquentielle et ordonnée, ce qui rend les décisions ambiguës.


Ainsi, les concepteurs de NOVA citent spécifiquement le « yaourt sans sucre ajouté ni édulcorant artificiel » comme un exemple d’aliment peu transformé ; mais ils indiquent également que la fermentation non alcoolique (telle que la fermentation lactique mise en jeu lors de la préparation de yaourts) est caractéristique des aliments transformés. Il est enfin mentionné que les « substances […], telles que la caséine, le lactose, le lactosérum » – des ingrédients souvent présents dans le yaourt – ne se trouvent « que dans les produits ultra-transformés » , ce qui rend le positionnement du yaourt délicat.

Cet exemple souligne bien les faiblesses conceptuelles de la classification. La fiabilité, ou la robustesse, du système NOVA pose également question. Un travail récent a comparé la façon dont 170 professionnels français de la nutrition et de l’alimentation, munis des informations fournies par les concepteurs de NOVA, classaient 221 aliments qui leur étaient décrits de la même façon. Seuls 4 aliments étaient classés de manière identique par tous les évaluateurs, tandis que les autres étaient classés dans 2, 3, 4 quatre groupes différents. Tout ceci montre de façon claire que la classification dépend de l’opérateur, ce qui invalide le système de classification NOVA en tant que classification opérationnelle largement utilisable.

Chaque groupe NOVA est très hétérogène et la logique des regroupements n’apparaît pas

Dans le groupe des aliments ultra-transformés se côtoient des produits aussi divers que des bonbons, des yaourts aux fruits, des biscottes, des plats préparés, des boissons, des charcuteries, des formules infantiles, des barres céréalières ou encore des substituts de viande. Les quatre groupes NOVA réunissent chacun des aliments très différents, répondant à des besoins et à des habitudes de consommation variés ; et hormis le fait qu’un ajout de sucre, sel ou matière grasse bannit un aliment de la catégorie des aliments peu transformés, la classification NOVA s’affranchit de toute considération de composition nutritionnelle.

Ce dernier point mérite qu’on s’y attarde. De plus en plus d’aliments font état de leur qualité nutritionnelle, par l’apposition d’un logo en face avant de l’emballage ; en Europe, c’est souvent le Nutri-Score, bien que différents autres systèmes existent. Or la classification NOVA ne recoupe que partiellement ces classifications nutritionnelles des aliments. À titre d’illustration, une récente analyse de 9 000 produits alimentaires vendus en Espagne a montré que sur les 5 600 produits classés comme ultra-transformés, environ la moitié était certes de faible ou très faible qualité nutritionnelle (lettres E et D du Nutri-Score), mais plus d’un quart était de bonne ou très bonne qualité (lettres A ou B du Nutri-Score).

Ce constat – même s’il s’explique par la différence d’objectif et de construction des deux systèmes – n’en demeure pas moins déroutant pour le consommateur : quelle réaction aura-t-il devant un produit doté du A vert du Nutri-Score mais figurant sur un menaçant cadre noir signalant un produit ultra-transformé, comme certains le proposent aujourd’hui ? Et en restant sur le plan de la formulation et des procédés, on ne peut que rester perplexe en observant que des aliments dont les listes d’ingrédients sont aussi éloignées que celle, par exemple, d’un yaourt aux fruits et d’une glace vegan (Figure 2) appartiennent au même groupe des aliments ultra-transformés (AUT), alors qu’ils font appel à des ingrédients et à des procédés technologiques très différents.

On voit donc bien que sont considérés comme aliments ultra-transformés, sans aucune nuance, des produits qui ont très peu en commun, que ce soit leur qualité nutritionnelle, leur place dans l’alimentation ou même leur degré de transformation (qui est pourtant la raison de leur qualification d’AUT). Tous se retrouvent pourtant également sujets à caution, en tant qu’aliments potentiellement mauvais pour la santé, donc devant être limités, voire bannis de notre alimentation. Il semble même qu’un raccourci hâtif conduise souvent à confondre aliment industriel et aliment ultra-transformé, et ainsi à laisser penser que toute transformation est négative.

La classification NOVA n’ouvre pas la voie à une amélioration de l’offre alimentaire

Un des objectifs des concepteurs de NOVA est d’améliorer l’alimentation, en minimisant le plus possible la consommation des aliments ultra-transformés, ce qui suppose des mesures de santé publique dont on voit mal comment elles pourraient être édictées, appliquées et contrôlées en l’absence d’une définition claire. Or on a vu plus haut qu’une telle définition n’existait pas. De plus, les études montrent que ces aliments représentent jusqu’à 40 % de l’énergie consommée par les adultes en Europe, et jusqu’à 60 % aux États-Unis : plus des deux-tiers de l’énergie consommée par les enfants américains proviennent de ces aliments.

Ces chiffres ne peuvent manquer d’interpeller, mais vouloir les diminuer de manière significative supposerait des modifications profondes, ce qui peut sembler utopique quand on connaît la difficulté de changer, même a minima, des habitudes alimentaires souvent bien ancrées.

Il paraîtrait bien plus réaliste et opérationnel de réfléchir à une redéfinition du concept d’ultra transformation, qui permettrait :

  • de cibler si besoin les aliments les plus problématiques,
  • et de donner des pistes d’amélioration précises, qui n’existent pas aujourd’hui
    puisque le concept d’aliments ultra-transformés réunit un ensemble de critères confus.

La classification NOVA a cependant eu le mérite d’attirer largement l’attention sur les évolutions de la composition de notre alimentation. Si l’on peut se réjouir que ceci puisse inciter :

  • les consommateurs à être plus attentifs et plus acteurs de leur alimentation,
  • les industriels à améliorer leurs produits,
  • et les scientifiques à mieux comprendre le rôle des aliments et non plus des seuls nutriments, sur la
    santé.

Il reste beaucoup à faire pour rendre ce concept pleinement opérationnel et donc utile à notre société.

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)

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