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Académie d'Agriculture de France

La carotte cultivée : une Asiatique fort consommée


Alain BONJEAN, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 17/01/2024 à 11:34
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

La carotte est l'un des légumes les plus populaires en France et dans le monde. Elle est consommée crue ou cuite, et peut être facilement mise en conserve ou congelée. Elle contribue également à la fabrication de jus, de soupes, de sauces. En outre, la carotte est souvent employée comme ingrédient dans l'industrie cosmétique et parfois pour produire des pigments pour la teinture des textiles.

La carotte cultivée – appelée aussi historiquement en français faux-chervis, gironille, girouille, moulette, racine, racine jaune, pastonade, etc. – est l’Apiacée (Ombellifère) la plus largement cultivée de la planète et la plus économiquement importante.
Sa racine épaisse et charnue – par la tubérisation de l’hypocotyle et de la région supérieure de la racine – est largement consommée comme légume.

La plante et ses propriétés nutritives

La carotte cultivée est une herbacée diploïde habituellement bisannuelle. Elle possède une racine pivotante, généralement pigmentée de jaune, d’orange, de rouge ou de violet, parfois blanche. Elle émet, à partir du collet, des feuilles et des tiges dressées, rigides, couvertes de poils raides de 20 à 40 centimètres, voire plus. La floraison est architecturée en grandes ombelles terminales ou secondaires, composées de fleurs blanches-jaunâtres. La pollinisation est allo-entomogame, et l’espèce est mellifère. Les graines ont une faculté germinative d’environ quatre ans.


L’apport énergétique de la carotte crue est faible : 26 kilocalories pour 100 grammes. Elle contient 88 % d’eau, presque 1 % de protéines, 0,2 % de lipides et jusqu’à 4,8 % de sucres. Ce légume est riche en bêtacarotènes (provitamine A), vitamines C, K et groupe B (sauf B12), en calcium, en fer, en magnésium, en potassium, en fibres hydrosolubles et non hydrosolubles, et en anti-oxydants.

Une origine centrasiatique

La carotte cultivée dérive de la carotte sauvage, dont l’aire de répartition comprend en Eurasie les régions circumméditerranéennes et se prolonge à l’est jusqu’à l’Himalaya.

Le centre d’origine de la carotte cultivée semble être situé en Afghanistan ainsi que dans une partie attenante de l’Iran actuel. Elle y a été pré-domestiquée à une date inconnue, mais probablement tardivement, à partir d’une seule origine génétique sans doute comme plante médicinale et épice, avant d’être finalement domestiquée voici environ 1 100 ans sous forme de légume-racine assez charnu, moindrement ramifié, de couleur pourpre (violet clair jusqu’à quasi noir), puis jaune obtenu par mutation naturelle.

Un centre européen de diversification secondaire

Diffusées à l’Ouest par diverses migrations humaines, les premières carottes cultivées provenant d’Asie centrale formèrent entre les VIe et Xe siècles un pool secondaire de diversité génétique en Anatolie avant d’être diffusées plus à l’Ouest. Un exemplaire du Codex medicus graecus – du médecin militaire et botaniste Dioscoride, réédité en 512 – contient les premiers dessins connus de carotte pré-domestiquée jaune orangée. Toutefois, les premières carottes cultivées en Europe à partir du XIIe siècle possédaient en majorité de longues et fines racines de couleur violet-pourpre ou jaune.


Au début, les carottes violettes furent dominantes entre les XIVe et XVIIe siècles pour la France, et durant la période XVe-XVIIIe siècles pour la Hollande. Les carottes violettes-pourpres de saveur douce ayant l’inconvénient de colorer fortement les soupes et les plats, les types jaunes ont commencé de remplacer les violettes-pourpres à partir du XVIe siècle et se sont répandues dans toute l’Europe. Une carotte de couleur blanche est aussi apparue par mutation en Europe, dans une population jaune à la fin du XVIIe siècle.


L’Europe devint, durant ce même siècle, un nouveau centre de diversification de l’espèce, avec la sélection de formes orangées. Leur apparition dans des tableaux de peintres flamands du XVIIe siècle donne à penser qu’elles auraient été sélectionnées dans des carottes jaunes à taux de carotène élevé, peut-être après croisement avec une carotte de type rouge-orange de goût moins plaisant. La région de Horn, dans la province de Hollande septentrionale, eut un rôle moteur dans cette évolution avec la sélection de types Late Horn et Half Long Horn au XVIIe siècle, puis les types Short Horn au XVIIIe siècle incluant les premières variétés précoces de couleur rouge-orangé nécessitant un avant 1763.


À noter aussi l’apparition en Allemagne, entre 1684 et 1740, d’une carotte orange fourragère, nommée Brunswie. C’est également au XVIIe siècle que des colons européens introduisirent la carotte en Amérique ; ensuite, dès le début du XIXe siècle, les carottes orangées sont devenues majoritaires en Europe parce que leur couleur restait plus appétente après cuisson, avec une diversification de la précocité des cultures, ainsi que des formes de racines. Cette diversification conduisit à l’industrialisation de ce légume, avec notamment l’apparition en France des carottes nantaises, pratiquement cylindriques et à bout arrondi (cf. Figure 1).

Un second centre de diversification en Asie de l’Est

Un centre de diversification différent s’est développé en Asie de l’Est, avec l’apparition d’un type rose à rougeâtre à faible teneur en provitamine A en Inde et Chine au XIIe siècle, puis au Japon au XVIe ou XVIIe siècle (cf. Figure 1).

Des auteurs chinois – s’inspirant d’études moléculaires – considèrent que certaines carottes oranges chinoises dérivent de carottes rouges chinoises, selon un processus indépendant de celui survenu en Europe.
Les Vilmorin auraient également introduit des carottes européennes au Japon au XIXe siècle via leurs réseaux jésuites, puis des types occidentaux seraient parvenus des États-Unis en Extrême-Orient; il s’en est suivi des hybridations entre types asiatiques et occidentaux, qui ont permis la création de nouveaux types, telles les vigoureuses carottes coniques Kuroda.

La sélection d’hybrides de carotte

Le premier hybride F1 de carotte a été créé en 1951 aux États-Unis.
Depuis les années 1970, divers systèmes de stérilité mâle ont été mis au point chez cette espèce, aussi une large part des carottes maraîchères sont produites depuis des hybrides trois voies ou simples5, productives, résistantes à divers stress biotiques et présentant de bonnes qualités commerciales (couleur, formes, cycle végétatif court, durée de conservation, etc.). Pour mémoire, dès 2007, 86 % des carottes inscrites au Catalogue officiel français étaient des hybrides.

Culture et principaux pays producteurs

La production mondiale de carotte a atteint 41 millions de tonnes en 2020 (Figure 2).

Les cultures concernent la carotte primeur, la carotte de saison et la carotte de conservation (Figure 3) dont les dates d’implantation et de récolte varient selon les pays.
La maîtrise du semis, la densité et la régularité sont les facteurs essentiels des productions de carotte-légume. Semis et récolte sont mécanisables. Après arrachage, les carottes fraîches sont lavées, puis brossées, triées, calibrées et refroidies à coeur par hydro-cooling (trempage dans de l’eau à 0 °C). Celles qui ne sont pas commercialisables, pour des raisons d’aspect ou autres, sont transformées (purées, soupes, ingrédients divers).
Selon Agreste, en 2020, la France a produit 527 868 tonnes de carottes en frais et pour l’industrie, sur 12 626 hectares.
Les principales régions de production sont l’Aquitaine, la Basse-Normandie et la Bretagne.

Quel avenir ?

La carotte est un légume populaire et nutritif qui continuera d’être significativement cultivé dans le monde entier. Avec l’accent mis sur les régimes alimentaires sains et durables, il est probable que la consommation de carottes continuera d’augmenter.

Du fait des développements technologiques en cours (séquençage, édition génique, croisements entre carottes sauvages et cultivées, etc.), l’amélioration génétique de la carotte devrait conduire à de nouvelles variétés de carottes alimentaires plus nutritives et résistantes aux stress biotiques et abiotiques, mais aussi à la mise au point de carottes-biomasses, sources d’huiles essentielles ou d’ingrédients (pharmacie, cosmétiques, teintures naturelles, etc.).

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)

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