Accéder au contenu principal
Académie d'Agriculture de France

Gaspillage alimentaire, de quoi parle-t-on ?


Pierre FEILLET, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 26/06/2023 à 15:15
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

Il suffit de frapper quelques mots sur Internet pour lire que les pertes et gaspillages mondiaux de denrées alimentaires s'élèvent au tiers de ce que produisent les agriculteurs. Ce chiffre est-il exact ? D'où vient-il ? Quelle est la différence entre pertes et gaspillages ?

Le lecteur sera sans doute surpris d’apprendre que les parties non comestibles des denrées (os, coquilles, pelures…) sont parfois comptabilisées dans les pertes, et qu’en France, selon l’Ademe, les pertes et gaspillages seraient légèrement inférieures à 18 % des denrées disponibles (bien moins que les 33 % au niveau mondial, valeur très souvent citée bien que non avérée). Une grande incertitude subsiste sur les quantités perdues dans le monde entre les fermes et les estomacs.

Dans la majorité des rapports, les pertes alimentaires (food losses) sont les denrées destinées à la consommation humaine qui sont perdues entre la récolte ou l’abattage des animaux et la livraison des produits chez les distributeurs, y compris celles pouvant intervenir lors de leur transformation éventuelle dans des usines ou des ateliers artisanaux, tandis que les gaspillages (food wastes) sont les pertes au cours des étapes de distribution et de consommation, hors foyer et à domicile. Les deux termes sont parfois utilisés indifféremment pour qualifier la totalité des denrées perdues sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.


En revanche, il existe d’importantes différences dans la qualification des produits considérés comme perdus ou gaspillés, notamment la prise ou non en compte des parties non comestibles ou encore des parties destinées initialement à l’alimentation humaine mais servant finalement à nourrir les animaux. Il est parfois tenu compte des excès de consommation (surnutrition génératrice d’obésité), du taux de transformation des produits végétaux en produits animaux, des récoltes destinées à la bioéconomie (énergie, produits chimiques) et des différences entre rendements potentiels et rendements réels d’une culture (mais il s’agit alors de pertes avant récolte). La dégradation qualitative des aliments tout au long de la chaîne alimentaire (diminution de la teneur en vitamines par exemple) n’est pas comptabilisée.

Les lois françaises anti-gaspillage


Leurs références
En France, ce sont les lois suivantes :

  • loi n° 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte,
  • loi n° 2016-138 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire dite loi Garot,
  • loi n° 2018-938 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dite loi Egalim2,
  • loi n° 2020-105 anti-gaspillage pour une économie circulaire,
  • loi n° 2021-1104 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Leurs contenus
Les recommandations et obligations suivantes sont désormais inscrites dans la loi :

  • renforcement des actions d’éducation et de sensibilisation au gaspillage alimentaire, tout particulièrement auprès des scolaires ;
  • intégration des actions de lutte des entreprises contre le gaspillage dans le rapport de responsabilité sociale et environnementale ;
  • publication des engagements en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire ;
  • intégration obligatoire de la date limite de consommation, de la date de durabilité minimale et du numéro de lot dans les codifications des produits ;
  • pour les grandes sociétés, estimation du coût des denrées alimentaires gaspillées ;
  • dans les établissements scolaires, présentation d’un état des lieux du gaspillage alimentaire ;
  • obligation de diagnostic du gaspillage pour la restauration collective et les industriels ;
  • passage de conventions entre les professionnels (GMS, grossistes, IAA et restauration collective produisant plus de 3 000 repas/jour) et des associations pour la reprise des invendus consommables, et création d’un label national anti-gaspillage alimentaire ;
  • accompagnement possible de la date de durabilité minimale (« à consommer de préférence avant le… ») d’une mention informant les consommateurs que le produit reste consommable après cette date ;
  • mise à disposition obligatoire d’un doggy bag aux clients qui en font la demande en restauration commerciale depuis le 1er juillet 2021.
    À la date de la rédaction de cette fiche (janvier 2023), l’impact global et chiffré de cette politique n’est pas connu.
    Dans un rapport de 2021, le CGAAER a préconisé de créer un observatoire des pertes et du gaspillage alimentaires permettant de quantifier et analyser les évolutions et leur impact.

En France, lutter contre les pertes et le gaspillage


L’Union européenne s’est donné pour objectif de réduire les pertes et gaspillages de moitié d’ici 2030 par rapport à son niveau de 2015. Plus ambitieux, le gouvernement français souhaite les réduire de 50 % dès 2025 pour la distribution et la restauration collective, ou en 2030 pour la production, la transformation et la consommation.
Les actions reposent sur une succession de lois après qu’un Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire a été signé en 2013, à l’initiative du ministère de l’Agriculture, puis reconduit sur la période 2017-2020. Elles s’appuient également sur des recommandations méthodologiques et des actions pédagogiques pour lesquelles l’Ademe joue un rôle essentiel.


La multiplicité des « lieux et moments de pertes », et la faible contribution de chacun des acteurs de la chaîne alimentaire à la totalité des pertes et gaspillages, accroissent la difficulté à atteindre les résultats espérés. Par exemple, ceux des consommateurs (pertes et gaspillages le plus souvent facilement évitables) ne représentent qu’environ 5 % des aliments achetés pour leurs repas à domicile, soit l’équivalent d’environ un yaourt par repas pour une famille de quatre personnes..

Les pertes (entre la récolte et la commercialisation, exclues) et gaspillages alimentaires (au cours de la commercialisation et la consommation) sont d’environ 20 % des denrées agricoles disponibles en Europe en incluant les parties non comestibles selon FUSIONS (2016), et de 18 % en France sans les inclure (production : 4 %, transformation : 4,3 %, distribution : 3,0 %, consommation : 6,5 %) d’après l’Ademe (2016).

Si l’on se réfère au rapport du Swedish Institute for Food and Biotechnology (SIK) pour la FAO, les pertes mondiales s’élèveraient au tiers de ce que produisent les agriculteurs. Cette analyse, très souvent reprise sur les réseaux sociaux et dans les médias, ne repose pas sur des bases scientifiquement solides. L’addition (critiquable parce que les modes de calcul sont différents) des données plus récentes sur les pertes (FAO, 2019) et les gaspillages (UNEP, 2021), moins souvent citées, aboutissent à des chiffres globaux similaires, mais cette fois-ci en incorporant les parties non comestibles pour la part de gaspillage.

Et si i l’on se réfère aux données sur l’Europe et la France, la somme des pertes et gaspillages dans le monde est peut-être plus proche du quart (voire moins) que du tiers de la production des denrées alimentaires, à la condition d’exclure les parties non comestibles et les déchets utilisés pour nourrir des animaux, mais cela reste à vérifier.

Bien que l’information soit plus pertinente qu’un bilan massique global, les pertes en macronutriments n’ont malheureusement jamais été calculées.

(©Académie d’agriculture de France)

https://www.academie-agriculture.fr/