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Salon de l'agriculture 2019

Face à « l’agri-bashing », éleveurs et agriculteurs apprennent à communiquer


AFP le 25/02/2019 à 12:50

« J'ai des amis fils d'agriculteurs qui se font régulièrement insulter, et traiter de pollueurs, ou d'empoisonneurs » : Nathan Hure, étudiant en agronomie et production végétale, admet que « l'agri-bashing », le dénigrement systématique dont se plaignent beaucoup de paysans, est « dur à vivre ».

Dans l’immense hall du salon de l’agriculture consacré à l’élevage, Imminence, vache égérie de la manifestation, est moelleusement couchée sur la paille. Nathan, venu en famille, se promène au milieu des moutons. Les animaux « montés à Paris » représentent le meilleur des élevages du pays, donc de sa gastronomie.

« Les agriculteurs aiment leur métier et aiment nourrir la population », estime le jeune homme. Ils « ont besoin de soutien, car ils travaillent dur ». Ici, pas de critiques. « Les visiteurs se renseignent pour savoir comment on fait et pourquoi on le fait », constate Jérôme Merlet, éleveur dans l’Indre, en conduisant son placide et massif « Johnny » vers le ring ou défilent les taureaux champions de la race charolaise. Aucune des bêtes ne piaffe, malgré la foule curieuse, les sonos hurlantes et les projecteurs braqués. « Nous voulons rassurer l’ensemble des consommateurs sur nos pratiques, ce salon peut faire partie des événements où l’on peut consacrer du temps aux consommateurs » dit Jérôme Merlet.

« À quoi bon ? vous allez couper ce que je dis »

Des panneaux exaltent la noblesse de l’élevage. Jusqu’aux fiers portraits d’éleveurs sponsorisés par une chaîne de distribution qui s’affichent dans le métro, sous le slogan « fier de son terroir ». Seule une méfiance vis-à-vis des médias affleure. Un éleveur de vaches salers, qui vient tout juste de « fermer un atelier d’engraissage » car il dit ne plus parvenir à gagner sa vie, refuse de témoigner : « À quoi bon ? vous allez couper ce que je dis. »

Un jeune homme, installé depuis trois ans sur 100 hectares dans la Vienne, requiert l’anonymat pour répondre à l’AFP après avoir pourtant spontanément accepté de témoigner. « J’ai une exploitation à faire tourner, je ne voudrais pas que cela se retourne contre moi », s’excuse-t-il. Pour lui, « les critiques subies par les agriculteurs » en matière d’environnement « montrent surtout la méconnaissance qu’a le grand public » du métier. « Elles montrent aussi que nous devons nous réapproprier notre propre communication. »

De plus en plus font évoluer leurs pratiques, réduisent les intrants chimiques, ou se convertissent au bio. Mais ça coûte cher de remplacer les produits chimiques en culture. Les rendements diminuent, les coûts salariaux augmentent, alors que les revenus sont déjà très faibles. Après des années de critiques sur les pesticides ou les conditions d’abattage, surnommées « agri-bashing » par le principal syndicat FNSEA, beaucoup d’agriculteurs sont devenus Youtubeurs. Certains sont accros de Twitter.

L’association Agridemain, financée depuis trois ans par 15 organisations agricoles dont la FNSEA, tient table d’hôte au salon pour les visiteurs. En bout de table, un agriculteur, chaque jour différent, témoigne sous un écran géant indiquant le bilan économique de son exploitation (production), environnemental (longueur de haies, surface de bandes enherbées) et social (emplois). « Nous allons faire une étude l’an prochain pour voir l’impact de notre action », indique Gilles Maréchal, directeur de l’association.

« L’homme s’est redressé quand il a mangé de la viande »

Interbev, la filière viande qui réunit éleveurs, bouchers, abatteurs et transformateurs, a arrêté de se défendre contre les attaques des végans. Cette année, son stand s’est lancé dans la communication « positive », vantant les mérites du bien-manger « flexitarien ». Moins de protéines animales, mais de meilleure qualité.

Éleveur savoyard, Philippe Monod, relève crânement la tête. Il a trouvé en visitant le site préhistorique de Lascaux une réponse à l’association L214 qui milite pour l’abolition de l’élevage : « L’homme (préhistorique, NDLR) s’est redressé quand il a mangé de la viande. C’est là que son cerveau s’est développé. »

Nathan Hure a confiance dans la nouvelle génération. « Les nouveaux programmes d’enseignement ont été revus », explique-t-il. « Avant, ils étaient très centrés sur les produits phytosanitaires, il fallait traiter, traiter. Maintenant, on est ouvert à d’autres techniques, l’agriculture de conservation des sols, le biologique. »

Même constat pour l’élevage chez Victor Fourtet, jeune Corrézien qui bichonne son taureau Janu, de race salers : « Chez moi le glyphosate, c’est jamais. Sur certaines céréales, j’utilise parfois des pesticides, mais c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique, c’est quand vraiment elles en ont besoin. » Les efforts de pédagogie commencent à porter leurs fruits. Selon un sondage Ifop paru dans Ouest France lundi, 53 % des Français estiment que les agriculteurs sont respectueux de l’environnement contre 43 % l’an passé.