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Académie d'agriculture de France

Changement climatique et production de blé aux États-Unis


Jean-Paul CHARVET, membre de l'Académie d'agriculture de France le 24/08/2021 à 15:17
hight Top view of the tractor that plows the field

(©Getty Images)

Alors que les 2/3 de la production américaine de blé proviennent des deux Wheat belts des Grandes Plaines du piémont des Rocheuses, ces régions apparaissent de plus en plus affectées par des changements climatiques. Ceux-ci se traduisent par la translation vers l'Est d'une limite psychologique considérée aux États-Unis comme majeure : celle du Méridien 100 Ouest connu sous le nom de méridien des catastrophes. Le point sur le changement climatique et la production de blé aux Etats-Unis avec l'Académie d'agriculture de France.

La localisation géographique, sur le long piémont des Rocheuses, des deux principales régions productrices de blé des États-Unis – le Wheat belt du Nord et le Wheat belt du Sud – correspond très largement à une localisation par défaut : elle est l’aboutissement d’un processus séculaire de migration de la production de blé, depuis la côte atlantique de l’Amérique du Nord jusqu’aux Grandes Plaines (Great Plains) du pied des Rocheuses.

La mise en place des Wheat belts durant la seconde moitié du XIXe siècle

En 1849, le premier État producteur de blé des États-Unis était la Pennsylvanie. En 1859, et encore en 1869, cette première place fut occupée par l’Illinois, situé en plein coeur de l’actuel Corn-Soy belt, première région mondiale spécialisée dans les productions de maïs et de soja. À partir la fin de la guerre de Sécession, donc de la seconde partie des années 1860, le peuplement de l’Ouest par des populations d’origine européenne a rapidement progressé au-delà de la vallée du Mississippi, sur les territoires de l’ancienne Louisiane (comprise entre le Mississippi et les Rocheuses), française jusqu’à son rachat en 1803 par le président Thomas Jefferson. Cette colonisation par des cultivateurs – pour lesquels le blé constituait la céréale de civilisation – s’est alors étendue en direction d’espaces de plus en plus affectés par la semi-aridité, mais se prêtant assez bien à la culture du blé, plante originaire des régions semi-arides du Moyen Orient.

À la fin du XIXe siècle, avec la mise en service des grandes voies ferrées transcontinentales reliant les Grandes Plaines aux villes portuaires de l’Est du pays, la culture du blé s’est rapidement étendue sur des espaces qui n’étaient occupés jusque-là que par des élevages très extensifs de bovins, ceux des vaqueros et des cow boys. Le Kansas Pacific Railroad, qui traverse le Kansas, atteint Denver (ville au pied même des Rocheuses) en 1870.

À l’époque de la Première Guerre mondiale, les deux Wheat belts sont en place, avec le Kansas comme premier État producteur de blé des États-Unis, et le Dakota du Nord comme second. L’avantage comparatif dont la culture du maïs bénéficiait plus à l’Est, dans le Corn belt – où il valorisait mieux des pluies d’été abondantes – avait repoussé la culture du blé toujours plus à l’Ouest.

Une culture du blé pratiquée sur des espaces à risques écologiques et climatiques croissants

Au cours de son histoire, la culture américaine du blé s’est progressivement déplacée vers des espaces où les équilibres écologiques sont plus fragiles, les sols moins épais, les risques d’érosion des sols plus marqués, et où, dans le même temps, les précipitations sont non seulement de moins en moins abondantes, mais aussi de plus en plus irrégulières d’une année sur l’autre.

Depuis plus d’un siècle, on y relève des alternances de périodes un peu plus humides (telle la période 1973 à 1976, sur laquelle nous reviendrons), et surtout de périodes particulièrement sèches accompagnées de tempêtes de poussières, telles celles du Dust Bowl et des Dirty Thirties des années 1934 à 1937, ou celle des Flying Fifties en 1952 et 1957.

Dans ce contexte d’incertitudes climatiques et de risques écologiques croissants en direction de l’Ouest, la psychologie collective des agriculteurs, des agronomes et des populations a attribué au méridien 100 ouest (par rapport à Greenwich) la dénomination de méridien des catastrophes. Dans le Nebraska, le passage du méridien 100 se trouve même indiqué par un panneau, à la hauteur de la petite ville de Cozard, le long de l’autoroute US Highway 30. Au-delà de la zone traversée par ce méridien, les risques climatiques et de dégradations écologiques sont considérés comme de plus en plus sensibles.

Si les cycles d’années sèches continuent à marquer la psychologie collective, il y a eu également, entre ces périodes, des d’années plus humides. Ce fut le cas en particulier des années 1973 à 1976 ; cette période plus pluvieuse avait coïncidé – il ne faut y voir qu’un effet du hasard – avec la brutale envolée du cours mondial du blé, liée à des achats aussi soudains que massifs par l’Union soviétique à partir de 1973. Ce cours mondial était alors passé de 110 à 180 $ par tonne, et la production américaine de blé était passée de moins de 50 millions de tonnes à plus de 75 millions de tonnes.

Dans ce double contexte économique et climatique plus favorable, la progression de la production avait principalement reposé sur l’extension de la culture du blé à de nouveaux espaces sur les Grandes Plaines du piémont des Rocheuses. Cette extension à plus de 5 millions de nouveaux hectares s’était largement effectuée sur des terrains de parcours du bétail utilisés jusque-là de façon très extensive et très fragiles sur le plan écologique (cf. croquis ci-dessous) ; elle avait également reposé sur l’abandon de la technique de mise en jachère labourée du dry farming qui consistait à n’ensemencer une parcelle qu’une année sur deux, afin de concentrer les précipitations de deux années sur une seule récolte.

Évolutions de la culture du blé dans les Grandes Plaines entre 1972 et 1974. Source : BAGF, 1977

Assez vite, les effets négatifs de ces évolutions sur des environnements fragiles s’étaient fait sentir, en particulier dans les secteurs situés à l’Ouest de l’isohyète 400 mm dans le Wheat belt du Nord (celui des blés de printemps, cultivés dans les deux Dakotas du Nord et du Sud) et de l’isohyète 500 mm dans le Wheat belt du Sud (celui des blés d’hiver, cultivés dans le Kansas, l’Est du Colorado, l’Ouest de l’Oklahoma et la Texas panhadle).

C’est largement dans ces secteurs qu’au début des années 1990 l’USDA (Ministère américain de l’agriculture) avait été amené à mettre en place un Conserve Reserve Program, donc un gel des terres sur le long terme, principalement destiné à préserver des environnements fragiles. […]

Ainsi, compte-tenu d’une localisation géographique qui la rend plus sensible que d’autres cultures céréalières aux changements climatiques, la production de blé des États-Unis demeure irrégulière ; et n’augmente plus guère, alors que la demande mondiale de cette céréale – qui constitue une des principales bases de l’alimentation des Hommes – demeure toujours croissante.

Pour consulter la suite de la publication, notamment sur la translation récente vers l’Est du méridien des catastrophes, téléchargez sa version intégrale ci-dessous.

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