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Au Space 2023

Énergie et élevage, une « complémentarité » contestée


AFP le 14/09/2023 à 19:39

En pleine campagne bretonne, le tracteur de Nicolas et Florent Morel roule grâce au gaz produit par leur méthaniseur. Mais la production d'énergie comme complément de revenus pour les éleveurs ne fait pas l'unanimité dans la profession.

Outre le tracteur, les huit véhicules à moteur de leurs deux exploitations, situées à La-Selle-en-Luitré (Ille-et-Vilaine), l’une porcine, l’autre laitière, sont alimentés de la même façon, au GNV (Gaz naturel véhicule), un gaz renouvelable obtenu par le processus de méthanisation. Cela donne « exactement la même puissance qu’avec du pétrole », précise Florent Morel, 35 ans. « Une partie de la production [de gaz] alimente aussi 1 600 foyers à Fougères », une ville de 20 000 habitants, située à quelques kilomètres, indique Nicolas Morel, 40 ans. « Ça remplace du gaz fossile importé », souligne-t-il.

Le méthaniseur est « alimenté aux deux tiers par les effluents d’élevage », les déjections des animaux, complétés par des couverts végétaux, utilisés pour limiter le lessivage des sols hors période de culture. S’y ajoutent des apports extérieurs d’autres exploitations voisines, ainsi qu’« un peu de maïs », mais moins que le pourcentage maximum imposé par la réglementation, rappellent les deux frères.

Le « digestat », c’est-à-dire le résidu après méthanisation, est ensuite épandu sur les champs, en remplacement d’engrais chimiques.

Quand on replace cette production domestique, à laquelle s’ajoute du solaire fournissant de l’électricité, dans le contexte de la crise actuelle de l’énergie, « c’est un bilan largement intéressant », assure Nicolas Morel. D’autant que les prix de rachat sont garantis sur 15 ans, « contrairement au lait et au porc », soumis à des cours fluctuants, un élément de stabilité dans les comptes d’une exploitation, souligne-t-il.

« C’est l’illustration de ce que peut être l’agriculture de demain. Énergie et élevage sont deux productions complémentaires pour une même exploitation », analyse Marcel Denieul, président du Space, le salon de l’élevage organisé cette semaine à Rennes.

« Vivre de notre travail »

Entre le méthaniseur et les « trackers » solaires, les investissements s’élèvent à 4,5 millions d’euros, pour partie allégés par des subventions. A titre d’exemple, la méthanisation a bénéficié de 480 000 euros d’aides publiques sur un coût de 2,5 millions d’euros. « Il faut compter une dizaine d’années pour rentabiliser un site méthanier », considère Nicolas Morel.

« Notre coeur de métier reste l’élevage », affirme Florent Morel, mais il y a « une synergie entre les deux [élevage et énergie], une complémentarité, et non une concurrence ». « Ça donne du sens à tout ce qu’on fait, ça conforte nos élevages et ça nous donne une sécurité sur le long terme ». « Si on développe le GNV partout en France, on obtient un carburant renouvelable, produit localement, et on peut viser l’autonomie du pays en carburant », assure-t-il.

Seul regret : « qu’il n’y ait pas davantage de constructeurs à se lancer dans la fabrication de véhicules roulant au GNV ». Pour le moment, un unique type de tracteur est disponible sur le marché, par exemple.

Cependant, parmi les agriculteurs, tous ne partagent pas cette vision : « on nous propose [de produire de] l’énergie, c’est un aveu d’échec (…) Nous, éleveurs, éleveuses, on veut vivre du fruit de notre travail (…) Nous voulons des prix garantis pour nos produits », fait valoir Laurence Marandola, porte-parole nationale de la Confédération Paysanne rencontrée au Space. Le syndicat demande d’ailleurs un moratoire sur les méthaniseurs. « C’est un abandon des éleveurs de dire qu’on ne va pas se battre sur les prix » de leur lait ou de leurs porcs, regrette-t-elle.

Pour Soazig Le Bot, porte-parole de la Confédération en Ille-et-Vilaine, « la fonction première de l’agriculture, c’est bien la production alimentaire » et non la production d’énergie.