« Embaucher un apprenti, pas seulement parce que c’est moins cher qu’un salarié »
TNC le 16/06/2025 à 07:28
Certains voient dans l’apprentissage une main-d’œuvre supplémentaire qu’ils n’auraient pas les moyens d’embaucher si elle était salariée. D’autres considèrent que c’est une charge, car il faut consacrer du temps et aimer partager son expérience avec des jeunes qui ne sont pas aussi opérationnels que des ouvriers agricoles. Mais « cette charge reste modérée, et peut même devenir un bénéfice réciproque – « Je te forme et tu m’aides sur la ferme » – voire une valeur ajoutée : découvrir et assurer la formation de quelqu’un qu’on pourra peut-être garder ensuite », mettent en avant les participants de l’atelier sur cette thématique, organisé à l’espace emploi/formation d’Innov-Agri Hauts-de-France les 4 et 5 juin. Ces arguments seront-ils vous convaincre d’embaucher un apprenti ?
« Prendre un apprenti, pas seulement parce que c’est moins cher qu’embaucher un salarié, mais pour le garder ensuite en CDI, et qui sait lui céder la ferme plus tard. » En une phrase, Ocapiat, l’un des intervenants de l’atelier sur l’apprentissage en agriculture d’Innov-Agri Hauts-de-France, résume l’intérêt de ce dispositif pour les agriculteurs. Sur les 12 000 exploitations de la région, 20 % prennent des apprentis, un pourcentage en augmentation depuis la réforme de l’apprentissage de 2018.
« Aujourd’hui, tous les lycées agricoles de notre territoire, publics et privés, les MFR (maisons familiales rurales) proposent des cursus en alternance. Rien qu’en production, on compte 2 000 apprentis contre 3 000-3 500 élèves en voie scolaire. Dans cette filière, pour des questions de sécurité alimentaire, l’État avait pris l’engagement d’atteindre 30 % des effectifs d’apprenants en apprentissage », indique le CFA (centre de formation d’apprentis) Ecclor, qui regroupe 29 sites situés dans les Hauts-de-France, le Grand Est, la Normandie, la Bourgogne-Franche-Comté, et dont le siège se trouve à l’Institut de Genech dans le Nord.
Les mêmes diplômes et niveaux de qualification, statut et des modalités d’enseignement différents
Pour rappel, formation initiale et en alternance préparent aux mêmes diplômes, ce sont les modalités d’enseignement qui diffèrent. « En apprentissage, le premier lieu de formation est l’entreprise, le CFA revenant sur ces acquis de terrain et préparant au diplôme ; en initial, c’est l’établissement scolaire avec des périodes de stage », détaille le CFA. Le statut juridique du jeune n’est pas non plus le même : salarié en alternance et élève en initial.
Les niveaux de qualification obtenus sont, eux, identiques : niveau 3 (Capa, Bepa) où l’on apprend les bases d’un métier ; niveau 4 (bac pro, BP) où l’on commence à acquérir davantage d’autonomie et de technicité ; niveau 5 (BTSA) où l’on devient un technicien et gestionnaire qualifié avec la responsabilité d’un atelier, d’une équipe ; niveau 6 (licence pro, bachelor) où l’on se spécialise dans un domaine précis ; niveau 7 (master, ingénieur) où l’on peut prétendre à des postes à haute responsabilité. Les bachelors en agriculturesont une nouveauté de la loi d’orientation agricole de 2025 visant à engager davantage de futurs agriculteurs dans la poursuite d’études après le BTS : neuf seront mis en place à la rentrée 2026.
« Trouver sa place et s’épanouir : ce sont les forces de l’enseignement agricole »
« Beaucoup de métiers agricoles correspondent aux niveaux 3 et 4. Pour être salarié qualifié et autonome, quatre ans de formation sont généralement nécessaires (niveau 4), avec 100 % de taux d’insertion derrière, explique le CFA. Pour être chef d’exploitation en revanche, un diplôme de niveau 6 voire 7 est de plus en plus recommandé pour pouvoir s’adapter à un contexte fluctuant, aux aléas, avoir une capacité d’expertise, savoir conduire des projets… » Il déplore d’ailleurs que « trop de gens ignorent encore qu’il est possible de poursuivre des études supérieures dans l’agriculture, que ce soit en initial ou en apprentissage ».
Avant de faire remarquer que, plus souvent qu’avant, des bac + 5 dans d’autres secteurs d’activité décident de reprendre la ferme familiale, ils apportent un autre regard, font preuve d’esprit critique. Et d’ajouter : « Des élèves de 3e en grande difficulté parviennent à décrocher une licence pro. C’est la force de l’enseignement agricole en alternance comme en cursus scolaire : permettre à chacun de trouver sa place, de progresser à son rythme et de s’épanouir. Des personnels dédiés accompagnent l’émergence des projets des jeunes. »
Quel coût pour l’agriculteur ?
Revenons à l’apprentissage et au nerf de la guerre, son coût pour l’agriculteur employeur. Le salaire à verser à l’apprenti équivaut à un pourcentage du Smic variant en fonction de son âge et son année de formation. Malgré les restrictions opérées, une aide de l’État de 5 000 € par contrat subsiste pour les jeunes de moins de 30 ans. Au-delà, d’autres financements peuvent être mobilisables auprès d’Ocapiat notamment. Un apprenti est certes « une charge pour l’entreprise, mais une charge raisonnée voire une valeur ajoutée », estime le CFA.
« Certes, il ne fait pas le même travail, mais il coûte moins cher qu’un salarié et peut permettre à des structures, qui n’en ont pas les moyens, d’embaucher. Il s’agit d’une relation gagnant-gagnant : je te forme et tu m’aides sur la ferme. » À titre d’exemple : un jeune en Capa revient quasiment à zéro euro. Côté apprenti, l’important est de trouver la bonne exploitation et le bon maître d’apprentissage, qui aime transmettre. Côté agriculteur, l’apprentissage permet « de découvrir un jeune, de le former et de voir s’il convient pour une embauche en CDI derrière. Une période de tuilage en quelque sorte pour sécuriser la pérennité de la ferme », poursuit le CFA.
Lequel regrette de ne pas avoir assez d’appentis pour satisfaire la demande des exploitants. « On pourrait multiplier par deux les effectifs en BTS ! », lance-t-il. Mais attention, le profil des jeunes évolue : un sur deux désormais n’est pas du monde agricole. Alors les pratiques d’intégration des apprentis dans les entreprises doivent, elles aussi, évoluer afin de permettre une acculturation de ces publics. Alors ces dernières ont tout intérêt à solliciter l’accompagnement de structures spécialisées, pour que l’apprentissage profite à la fois aux apprentis et aux maîtres d’apprentissage, qui pourront bénéficier d’une formation.