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Castration à vif des porcelets

La filière porcine va devoir décider


AFP le 03/06/2021 à 09:37

Si une partie de la filière porcine veut continuer à castrer les porcelets, cette pratique, routinière en élevage, va pourtant devoir évoluer d'ici six mois pour atténuer la douleur des animaux.

C’est acté depuis un arrêté de février 2020 : la castration à vif des porcelets (sans anesthésie) sera interdite à compter du 1er janvier 2022. Branle-bas de combat dans la filière sommée de revoir une pratique « très ancienne », selon l’institut de recherche Inrae. La castration permet d’avoir une viande plus grasse, des animaux moins agressifs et de se prémunir de l’odeur d’urine dégagée à la cuisson par certains mâles « entiers ». Elle concerne encore la grande majorité des élevages français et près de 10 millions de porcelets par an.

L’opération, très douloureuse pour le porcelet et déplaisante pour l’exploitant ou son salarié, prend moins de 30 secondes : inciser le scrotum, extraire les testicules, couper le cordon spermatique et désinfecter. Depuis plusieurs années, un anti-inflammatoire est administré pour atténuer les douleurs post-opératoires. À l’avenir, les élevages devront aussi pratiquer une anesthésie pour supprimer la douleur lors de l’intervention.

Sollicité par l’AFP, le ministère de l’agriculture a précisé qu’il devait rédiger une instruction technique sur le sujet. « On se dirige vers de l’anesthésie locale par injection intra-testiculaire », indique à l’AFP Valérie Courboulay, ingénieure d’études à l’Ifip, un institut au service de la filière porcine. Il s’agira d’injecter un anesthésiant « dans chaque testicule avant l’opération proprement dite », un « geste technique pas très difficile en soi » qui permet une « amélioration significative de la prise en charge de la douleur ».

Un protocole d’anesthésie « ubuesque »

Ce scénario désole les associations de défense des animaux d’élevage et les éleveurs favorables à l’arrêt de la castration. Ce sera à la fois « insuffisant pour prendre en charge totalement la douleur » et « très difficilement conciliable avec les cadences des élevages », estime Sandy Bensoussan-Carole de l’ONG Welfarm. Et « qui va aller vérifier que les produits [anesthésiques] sont effectivement achetés et utilisés ? » Depuis son élevage du Finistère, Jean-Jacques Riou juge « ubuesque » le protocole envisagé.

L’ex-président du marché au porc breton est à la tête d’une association d’éleveurs défendant la production de mâles entiers, synonyme de gain de temps et d’argent – notamment car ils consomment moins de nourriture que les porcs castrés. « C’est l’avenir pour le bien-être de tout le monde », fait valoir M. Riou.

Lui-même doit toujours castrer les porcelets, son groupement de producteurs n’ayant pas de débouché pour les mâles entiers. Car les industriels de l’abattage, réunis dans l’organisation professionnelle Culture Viande, refusent ces viandes présentant un risque de mauvaise odeur.

Les éleveurs pour une castration non imposée

« Le groupe Bigard maintiendra la castration » pour les porcs qui passeront dans ses abattoirs, a récemment déclaré lors d’une conférence de presse Thierry Meyer, directeur de la filière porc de ce poids lourd du secteur. « On veut absolument mettre sur le marché de la viande de qualité », a-t-il ajouté, soulignant que le groupe répondait aux attentes de ses clients, en particulier les fabricants de salaisons sèches. Le cahier des charges du jambon de Bayonne, par exemple, exclut les mâles non castrés, dont les gras sont jugés inadaptés pour le séchage.

Les éleveurs plaident pour que la castration des porcelets soit pratiquée uniquement sur dérogation, pour des marchés spécifiques, et non imposée par défaut à la plupart d’entre eux. Une position partagée par les associations de vétérinaires exerçant en élevage porcin (AVPO et SNGTV), compte tenu de la mise en oeuvre « compliquée » de l’anesthésie par les éleveurs, selon Mélanie Liber, présidente de l’AVPO. « Le ministre doit choisir entre satisfaire des milliers d’éleveurs ou une dizaine d’abatteurs », prévient Jean-Jacques Riou.

Le leader français du porc Cooperl a montré la voie : 85 % des 2 700 éleveurs de la coopérative produisent des mâles entiers. Dans ses abattoirs, la Cooperl s’est armée du seul dispositif fiable à ce jour pour détecter les carcasses malodorantes (entre 1 et 2 % des mâles, selon la coopérative) : le nez humain. Une vingtaine de salariés redirigent ces carcasses vers des circuits moins sensibles comme les produits transformés ou la nourriture pour animaux. « Ce sujet [de la castration] est derrière nous », s’est félicité le président de la Cooperl Patrice Drillet lors d’une conférence de presse. Quant aux concurrents, « il y a des gens allergiques au changement », considère-t-il.

Une pratique qui recule en Europe, même si la production de mâles « entiers » reste minoritaire

Sur 255 millions de porcs abattus par an en Europe, 50 % sont des femelles, 18 % des mâles entiers (dotés donc de tous leurs attributs), 30 % ont été castrés avec ou sans anesthésie préalable, tandis que 2 % ont reçu une « immunocastration » ou « vaccin anti-odeur », selon une estimation de l’Ifip, un institut de recherche français au service de la filière porcine. Le nombre de porcs abattus entiers (45 millions) a augmenté de 30 % en cinq ans, selon l’Ifip.

Deuxième producteur porcin en Europe − derrière l’Allemagne et devant la France − l’Espagne représente la moitié du total (22 millions de porcs entiers). Le pays « n’a jamais appliqué la castration à grande échelle », souligne l’Ifip. La grande majorité des mâles produits en Espagne gardent leurs attributs, la castration étant réservée à des productions haut de gamme, comme le jambon « pata negra ».

En Allemagne, la castration à vif est interdite depuis le 1er janvier 2021. Jusque-là, la proportion de mâles entiers stagnait depuis 2015, autour de 15 % des mâles, selon l’Ifip. Pour continuer à castrer, du matériel spécifique subventionné par les pouvoirs publics est déployé dans les élevages allemands pour pratiquer une anesthésie générale des porcelets. En parallèle, il y a « une vraie poussée du vaccin », d’après l’ONG Welfarm qui oeuvre à l’amélioration des conditions de vie, de transport et d’abattage des animaux de ferme.

L’immmunocastration, aussi pratiquée au Brésil et en Australie, dispense d’une castration physique tout en permettant d’éviter que les mâles ne dégagent une odeur repoussante à la cuisson.

La filière française y est réticente, craignant notamment la réaction des consommateurs devant un procédé qui bloque le développement sexuel des porcs. La castration reste majoritaire en France. Elle a toutefois perdu du terrain depuis le début des années 2010 sous l’impulsion de la Cooperl, leader français de la production et de la transformation porcine. En 2019, 2,8 millions de mâles ont été abattus entiers, la majorité d’entre eux (2,4 millions) provenant du groupe Cooperl. Ils représentent 28 % des mâles abattus dans la zone Uniporc Ouest qui voit passer 19 des 24 millions de porcs abattus chaque année en France, précise à l’AFP Patrick Chevillon de l’Ifip. En dehors de cette zone, les mâles sont généralement castrés.

L’Union européenne encourage la filière à revoir ses méthodes, sans l’imposer. Elle autorise la castration sans anesthésie jusqu’au septième jour du porcelet. Plusieurs pays ont toutefois décider d’aller plus loin en interdisant cette pratique, comme la Norvège et la Suisse, l’Allemagne désormais et bientôt la France.