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L'agriculture prend des "elles"

Une expo photo pour valoriser la place des femmes dans le monde agricole


TNC le 08/03/2019 à 17:53
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Dans l'Indre, à l'initiative de la Commission des agricultrice et de leur professeure, des élèves de Bac pro ont réalisé 23 portraits de femmes du monde agricole de leur département. L'occasion de montrer la diversité de métiers qu'elles peuvent exercer dans le secteur de l'agriculture et de mettre à l'honneur celles qui doivent souvent s'imposer par leur force de caractère dans un milieu qui reste plutôt masculin et où certaines remarques sexistes sont encore entendues. Les mentalités évoluent cependant grâce, notamment, à des actions comme celle-ci.

Sous l’impulsion de la commission des agricultrices de la FDSEA de l’Indre, notamment de sa présidente Brigitte Bergère (qui préside également cette commission pour la région Centre-Val de Loire), et d’Alexandra Audoin, professeure d’éducation socio-culturelle au lycée agricole Naturapolis de Châteauroux, une classe de terminale en Bac pro a réalisé une exposition photo pour mettre en avant les femmes du monde agricole local. Accompagnés du photographe professionnel Gilles Froger, les 26 élèves sont allés les rencontrer sur le terrain et ont réalisé 23 portraits. Chacune y explique son métier, les raisons pour lesquelles elle l’a choisi, comment elle est perçue dans son milieu professionnel en tant que femme, les difficultés éventuelles qu’elle a rencontrées pour faire sa place ou, au contraire, les atouts qu’on lui reconnaît pour exercer ses différentes missions.

« Sensibiliser les jeunes à l’égalité hommes/femmes en agriculture me tient à coeur, témoigne Alexandra Audoin, qui n’en est pas à son premier projet pédagogique sur ce sujet. J’entends encore dans mes classes des garçons, surtout des fils d’agriculteurs, dire aux filles qu’elles ne sauront pas conduire un tracteur. » Pourtant les effectifs se féminisent, même si les filles ne sont pas encore aussi présentes que les garçons, et « s’urbanisent ». Mais malgré cela, les mentalités évoluent lentement. « C’est pourquoi il importe de montrer que des femmes, et elles sont nombreuses, réussissent dans ce secteur d’activité même si certaines ont dû faire preuve de caractère pour y arriver et lutter contre les idées reçues. »

« L’accès au métier est plus compliqué »

Car les clichés ont la vie dure. Si Alexandra Audoin, également agricultrice en plus de l’enseignement et installée en Gaec avec une autre femme, ne s’en plaint pas trop, Brigitte bergère, elle, continue de subir des remarques sexistes dans l’exercice de son métier et de ses responsabilités professionnelles. « Certes la mixité est respectée dans les différentes organisations, mais combien de femmes sont élues au bureau et à la présidence ? Combien ont en charge d’importants dossiers et ne se voient pas confier ceux dont personne ne veut ? Aux AG, à combien d’entre elles, donne-on la parole à la tribune ? », questionne-t-elle. Avant de s’engager, c’est déjà l’accès au métier d’agricultrice qui est compliqué selon la responsable syndicale. « Il y a des freins au niveau du foncier et du financement. Les propriétaires préfèrent louer leurs terres et les banques prêter de l’argent à des hommes. Cela les rassure, c’est culturel. Les femmes doivent apporter davantage de preuves que leur projet tient la route. »

Et une fois installée, au volant de leur tracteur, elles essuient parfois des piques ou tout simplement des regards qui en disent long. Comme l’illustrent plusieurs citations reprises dans les 23 portraits d’agricultrices, vétérinaires, techniciennes et commerciales agricoles de l’Indre. « C’est le parcours du combattant pour s’installer. « Tu ne vas pas y arriver, tu n’as pas assez de force » », peut-on lire dans celui de Céline Renaire, productrice de céréales, caprins et bovins allaitants. « Au début, les commerciaux qui venaient à la ferme, voulaient toujours voir mon père, pas moi ! », se souvient Élodie Berthault, en polyculture-élevage avec des vaches laitières.

Présentation de l’exposition au Salon de l’agriculture le 1er mars 2019. (©TNC)

« Pour faire ma place, je n’ai reculé devant rien »

Être véto, inséminatrice, technicienne, commerciale, etc. n’est pas plus facile qu’agricultrice.  « Lorsque j’ai commencé, j’étais l’une des premières femmes à pratiquer dans l’Indre. Les éleveurs n’avaient pas trop confiance, il m’a fallu faire mes preuves », se rappellent Juliette Guignon, vétérinaire, et Angélique Mannequin, inséminatrice à Évolution, qui ajoute que « d’autres étaient même un peu séducteurs ». « Mon intégration ne s’est pas faite sans difficulté. On m’a déjà demandé si j’étais venue de mon plein gré ! Quelqu’un m’a même dit une fois : « On m’a envoyé ça ! » », raconte Claire Combelles, qui exerce pourtant le métier de véto depuis moins longtemps que Juliette.

Carine Prot, responsable des ventes à la coopérative Alliance Pastorale, constate aussi que « les clients de 25/30 ans ne prennent pas les femmes au sérieux alors que les personnes plus âgées suivent leurs conseils ». « J’ai rêvé de reprendre la ferme familiale mais mon père m’a répété plusieurs fois « une fille ne fait pas ça ! » Lorsque j’ai pris la direction du lycée agricole de Châteauroux, un professionnel m’a demandé où était le remplaçant de M. Herbreteau. Quand je lui ai répondu que c’était moi, il a dit : « Si on commence à mettre des femmes à la direction des lycées agricoles… »», relate pour sa part Marie-Thérèse Deshayes.

Ainsi, les femmes « n’ont pas le droit à l’erreur et doivent faire leurs preuves », insiste Lydie Le Roux, directrice de la chambre d’agriculture de l’Indre. « Elles doivent prouver qu’elles sont capables de faire le même travail que les hommes », poursuit Liliane Roullet, co-gérant des Établissements Roullet. Or, au départ, « elles peinent à s’affirmer auprès d’eux ». « Il faut s’imposer dès le début pour être prise au sérieux », conseille Astrid Retaud, éleveuse de bovins lait.  « Pour faire ma place, je n’ai reculé devant rien, d’autant que je ne suis pas issue du milieu agricole. Il ne faut jamais se laisser marcher dessus ! », s’exclame Rachel Laurenceau, technico-commerciale chez Elvéa, une association d’éleveurs. « Ainsi, si on est motivée et déterminée, on se fait accepter ».

« J’ai mon mot à dire même pour acheter un tracteur ! »

En effet, si les femmes peinent parfois à soulever les lourdes charges à manipuler dans certains métiers de l’agriculture, elles ont de multiples autres atouts. D’ailleurs, il existe des solutions pour limiter la pénibilité physique de certaines tâches : par exemple, investir dans des robots, de traite, de distribution, de paillage… à l’image d’Élodie Berthault, ou faire divers aménagements, comme Anne-Laure Gautron, éleveuse de vaches allaitantes. Cela « facilite la vie et les hommes apprécient ensuite que le travail soit moins dur », indique-t-elle. Parmi les qualités des femmes, reconnues notamment par les hommes : « elles sont plus sociables et avenantes », déclare Carine Prot, « bienveillantes et à l’écoute », complète Marion Denormandie, paysagiste dans les espaces verts, ce qui est « apprécié dans le métier de commerciale » en coopérative agricole, où « les gens ne viennent pas toujours pour acheter, mais pour parler », renchérit Carine.

« Aujourd’hui, les éleveurs écoutent davantage les conseils des femmes. Ils n’ont plus de réticence et préfèrent même se confier à elles », se réjouit Angélique Mannequin. « Au magasin, les hommes ont remarqué que nous étions aussi performantes », se félicite de son côté Liliane Roullet. « Mon mari, avec qui j’ai créé mon entreprise, reconnaît même que je travaille plus vite que lui », observe Marion Denormandie. « D’ailleurs, notre façon de faire et d’aborder les choses, différentes de hommes, est source de richesse », complète Alexandra Audoin. Sur l’exploitation d’Astrid Plisson, productrice de grandes cultures, « il n’y a pas de distinction entre hommes et femmes ». « Moi, j’ai mon mot à dire même pour acheter un tracteur. Je n’ai pas la langue dans ma poche et si je rencontre un macho, je le remets à sa place », conclut Astrid Renaud.

L’exposition, présentée au Salon de l’agriculture le 1er mars 2019, se veut itinérante et va commencer par circuler dans le département de l’Indre, dans différentes instances et pour des événements tels que des salons agricoles. Et quand on demande, à Alexandra Audoin, ce que ce travail a apporté à ses élèves, elle répond : « J’espère que cela leur a ouvert l’esprit et surtout qu’ils s’en souviendront le plus longtemps possible. » Le projet n’est encore terminé. Il sera exposé auprès de la commission des femmes du Sénat dans la continuité du rapport sur la place des femmes en agriculture. En mai, la déléguée départementale au droit des femmes viendra échanger avec les lycéens sur l’égalité hommes/femmes et le sexisme dans le monde agricole, la société en général et sur les réseaux sociaux. « C’est à l’adolescence qu’il faut éveiller les consciences et inciter au respect mutuel », souligne-t-elle.