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« Du jamais vu »

Une sécheresse lourde de conséquences en grandes cultures comme en élevage


TNC le 26/10/2018 à 18:06
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Depuis cet été, la France fait face un épisode de sécheresse qui s’étire à n’en plus finir. Un désastre écologique et agricole, prenant l’allure d’une nouvelle épreuve à traverser, en grandes cultures comme en élevage. En Bourgogne Franche-Comté, l’une des régions les plus touchées, agriculteurs et conseillers des chambres d’agriculture partagent leurs observations et conseils.

Comme le souligne d’entrée Florent Gavard, conseiller prairies-fourrages à la Chambre d’agriculture (CA) de Côte d’Or, 2018 est une année « très particulière ». Dans son département, après un hiver relativement pluvieux, l’été a d’abord été marqué par un épisode de pluie important durant la première quinzaine de juin. Puis… plus rien. « Depuis mi-juin il n’y a pas eu de pluie en Côte-d’Or, sauf quelques précipitations orageuses localisées » précise-t-il. Ainsi que le souligne Jean-Pierre Fleury, éleveur de vaches charolaises dans le département, c’est une sécheresse exceptionnelle, du « jamais vu » depuis plusieurs décennies. Un constat qui, malgré quelques disparités, peut s’étendre à la région Bourgogne Franche-Comté et, plus largement, aux deux tiers de la France.

Premières victimes de la sécheresse : les récoltes estivales. Antoine Villard, conseiller grandes cultures et agronomie à la CA de Saône-et-Loire, met en avant la précocité de l’ensilage du maïs : « généralement la récolte se fait mi-septembre, cette fois elle a eu lieu début août, avec des rendements toutefois corrects grâce à un printemps humide. » Les récoltes de maïs grain dans le département étaient quant à elles dans la moyenne mais « cela cache une hétérogénéité », comme le précise le conseiller. Ailleurs, les résultats peuvent être plus alarmants. « Dans l’Yonne, les maïs ont souffert de la chaleur, la plupart n’étant pas irrigués », constate ainsi Marie-Agnès Loiseau, chef du service grandes cultures à la CA de l’Yonne. À plusieurs endroits l’état très sec des plants ont en outre permis la récolte de cannes de maïs, un complément de fourrage bienvenu quoique insuffisant. Quant au soja, les récoltes ont clairement pâti de la sécheresse au remplissage.

Des semis difficiles

Après les récoltes, les semis. Le tableau s’assombrit avec un grand perdant : le colza. Selon Antoine Villard, en Saône-et-Loire c’est environ la moitié des graines semées qui lèvent. Parmi-celles-ci, seulement la moitié donnera une plante viable à la sortie de l’hiver. Marie-Agnès Loiseau fait un constat similaire pour l’Yonne. Quelles solutions pour les agriculteurs ? « En Saône-et-Loire nous pouvons mettre des cultures de printemps mais plus au nord, dans l’Yonne, la Côte d’Or, la Lorraine, les rotations colza-blé-orge sont très présentes et la situation est encore plus catastrophique », répond Antoine Villard. Le facteur qui rentre alors en ligne de compte est le désherbage. Marie-Agnès Loiseau explique : « Si les parcelles de colza ont été désherbées, en fonction des produits utilisés le choix en culture de remplacement sera très mince : éventuellement, en sortie d’hiver, du pois, du tournesol ou du maïs. En revanche, si elles n’ont pas été désherbées, cela ouvre le champ des possibles pour les cultures d’automne : une troisième paille ou du pois d’hiver ».

L’augmentation des températures a également des actions indirectes. Les parcelles de colza de Vincent Lavier, agriculteur en Côte d’Or, ont pu profiter de trois brefs épisodes pluvieux qui, grâce à un sol caillouteux, ont été suffisants pour éviter le stress hydrique. Mais reste les ravageurs… « Nous sommes envahis par la mouche du chou et la grosse altise qui voit son développement favorisé par les conditions chaudes. »

Actuellement ce sont l’orge et le blé qui sont semés, avec la promesse rassurante de pluies à venir. Mais Antoine Villard s’inquiète « Il y a eu peu de désherbage avec la sécheresse et le risque de levées d’adventices est élevé ». « Certains agriculteurs sont d’ores et déjà contraints de retourner les céréales pour les resemer car l’enherbement au vulpin est trop important », témoigne Vincent Lavier.

Des prairies dégradées et des bêtes affouragées

À partir de juillet le déficit hydrique couplé au stress thermique a provoqué l’arrêt total de la pousse d’herbe. Les prairies se sont rapidement retrouvées en conditions de surpâturage. « Nous avons conseillé aux éleveurs d’affourager les bêtes et de les rassembler sur une seule parcelle. Ceci permet d’éviter qu’elles aillent pâturer dans tout le parcellaire et limiter la dégradation », explique Florent Gavard. Une marche à suivre qui se révèle difficile à tenir lorsque la sécheresse vient à s’étendre sur plusieurs mois. Les éleveurs vont en effet devoir soigner leurs animaux jusqu’à la rentrée à l’étable, qui se situe en moyenne au 15 novembre. « D’un hivernage normal de 150 jours environ, du 15 novembre au 15 avril, on se retrouve à affourager les bêtes à partir du 15 juillet, soit durant 270 jours », précise Jean-Pierre Fleury. « Personnellement je compte un surcoût de presque 200 euros par vache pour aller du 15 juillet jusqu’au 15 novembre. »

Se pose alors le problème de la disponibilité en foin et en paille : ce sont les stocks pour l’hiver qui se vident. « Les éleveurs sont en train de donner à manger ce qu’ils devraient mettre en litière l’hiver, explique Jean-Pierre Fleury. Ils cherchent à acheter de la paille mais le marché s’annonce déjà saturé. »  Sur les 89,2 millions de têtes en Europe en 2015 (EuroStat), Jean-Pierre Fleury, qui siège dans les instances de l’élevage à Bruxelles, souligne qu’il est estimé que ce sont environ 50 millions qui sont actuellement concernées par les situations de sécheresse… « Danemark, Hollande, Belgique, Allemagne, Irlande, Royaume Uni : tout le monde cherche du fourrage et la France a pris beaucoup de retard. » Elle s’expose au risque d’une augmentation du taux d’abattage, avec l’incertitude que le marché ne soit pas plus demandeur qu’il ne l’est actuellement…

Et ces conséquences dont on parle peu…

Les répercussions de la sécheresse sont également indirectes, avec des risques sanitaires possibles durant l’hiver. « On ne peut imaginer des animaux nourris à la paille durant plusieurs mois sans qu’il n’y ait d’incidences sur la fertilité ou la gestation… Sans compter que l’on voit, au quotidien, des animaux broutant au ras du sol et ingérant de la terre. Ce n’est pas chiffrable mais on sait qu’il manquera des veaux au printemps prochain », explique Jean-Pierre Fleury. Si l’inquiétude frappe les éleveurs, la fatigue aussi. Apporter le fourrage, amener l’eau, refaire des stocks pour l’hiver : les journées se font plus longues. « En moyenne, dans mon exploitation, c’est trois à cinq heures par jour supplémentaires pour chaque employé, décrit Jean-Pierre Fleury. Et cela se fait dans le silence, avec un sentiment d’isolement et un vrai manque de reconnaissance. »

Si le ministère de l’agriculture vient – enfin – de mettre en place un plan de calamité agricole, il faut également se projeter dans les années à venir, anticiper et penser l’agriculture de demain. Que faire face à des aléas climatiques qui vont être amenés à se répéter plus souvent ? Florent Gavard souligne qu’il faut tendre vers des systèmes qui soient de plus en plus résilients. « Ce que je conseille aux agriculteurs, c’est de sécuriser leur stock, et cela passe notamment par l’introduction de temporaires dans les rotations, comme des méteils ou des couverts. J’invite les éleveurs à chercher l’autonomie fourragère à tout prix. » Être en mesure de s’adapter, c’est également le cas en grandes cultures où l’évolution de la génétique, si elle permettra d’avoir des variétés plus souples, ne sera pas un remède miracle.