Les nouvelles technologies de désherbage : moyens appliqués à l’utilisation des herbicides, le point en juin 2025


Hubert DEFRANCQ, Michel MOREL et Guy WAKSMAN, membres de l'Académie d'Agriculture de France le 09/10/2025 à 10:00

Pour le contrôle des adventices au moyen d'herbicides, il n'existe pas encore de solutions nouvelles qui soient simples et bon marché. Les innovations proposées ne sont généralement pas économiques, ni faciles à mettre à mettre en œuvre, mais déjà certaines permettent de s'affranchir de résistances ou de pallier la disparition de substances actives. Si le principe consistant à appliquer un produit actif en créant et pulvérisant des gouttes de bouillie sur la parcelle de culture reste inchangé depuis plusieurs décennies, des évolutions majeures portent sur la souplesse et la précision de mise en œuvre. La pulvérisation aérienne a été interdite dans de nombreux pays, en raison de l'impossibilité à contrôler la dérive des produits. Maintenant, la miniaturisation du mode d'application, via les drones, autorise de mieux contrôler la dérive et de bénéficier des atouts de la pulvérisation aérienne : pas de limite liée à l'état du sol ou à la pente des parcelles (en vigne en particulier), pas de risque d'endommager la culture, et pas de risque pour l'applicateur. Et le brassage induit par les hélices du drone permet une meilleure pénétration du produit dans les feuillages denses. Les progrès à venir seront liés à l'utilisation du numérique en temps réel, et les données issues de capteurs performants, combinées à de nouveaux algorithmes, assureront l'ajustement en continu et de façon optimale des caractéristiques des gouttes en fonction des conditions d'application : humidité, température, vitesse relative en virage, et des caractéristiques de chaque produit. Le contrôle automatisé, donc en temps réel, de la qualité de la couverture permettra d'optimiser l'efficacité de la pulvérisation tout en économisant des produits.

Cette fiche décrit les nouveaux moyens technologiques disponibles permettant de limiter les quantités de produits phytosanitaires utilisés, et ainsi réduire leur impact environnemental. Y sont principalement abordés :

  • les systèmes permettant de limiter les dérives,
  • l’utilisation de drones pour pulvériser les produits phytosanitaires (et pas seulement sur les
    rizières, où la pulvérisation aérienne s’imposait naturellement),
  • la pulvérisation de précision, après cartographie préalable des infestations constatées avant
    application, ou durant l’application grâce au repérage en temps réel par des caméras.

Cette fiche est consacrée spécifiquement à la défense contre les adventices au moyen d’herbicides, sans aborder les mesures agronomiques permettant d’en limiter l’extension. Les produits phytosanitaires sont des moyens de lutte contre les adventices (mauvaises herbes), les insectes et les champignons, mais les Français qui vivent loin des champs se demandent si ces produits phytosanitaires (en particulier les désherbants) sont vraiment indispensables. Ne pourrait on pas s’en passer ? C’est que nous avons la mémoire courte :

  • Avant l’invention des produits désherbants, c’étaient les femmes et les enfants qu’on menait dans les champs pour arracher et détruire les mauvaises herbes.
  • Dans les années 1960, des dizaines de milliers d’Espagnols (Andalous pour la plupart) venaient désherber et démarier les betteraves du Bassin parisien et de Picardie.
  • Avant le développement de la sidérurgie et le développement de fil de fer bon marché très vite utilisé pour clore les prés et empêcher le bétail de vagabonder, les fillettes devaient aller garder les oies ou les biquettes, au lieu d’aller à l’école.

Faut-il vraiment être nostalgique de ce passé pas si lointain ?

Les phytosanitaires – s’ils sont reconnus comme étant sûrs par les deux grandes agences mondiales de sécurité parfaitement crédibles que sont l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) dans l’Union européenne, et la FDA (U.S. Food and Drug Administration) aux États-Unis – restent des médicaments pour soigner les plantes. À ce titre il convient de les utiliser seulement si nécessaire, et en réduisant au minimum leurs effets sur l’environnement ; d’autant que, pour des raisons économiques, les agriculteurs souhaitent évidemment n’en utiliser que le minimum. On doit garder en mémoire que ce que nous appelons produits phytosanitaires peuvent être des substances minérales ou des outils de lutte biologique qui sont appliquées sur les cultures avec les mêmes outils que les produits phytosanitaires de synthèse.

Les moyens technologiques disponibles pour réduire les quantités de produits phytosanitaires, ainsi que leur impact environnemental

Éviter les dérives :

L’arrêté du 4 mai 2017 – relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants – prévoit des dispositions particulières relatives à la protection des points d’eau, des zones d’habitation et des zones accueillant des personnes vulnérables, et ce lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, en application de l’article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime.

L’arrêté prévoit une zone non traitée (ZNT) à respecter à proximité des points d’eau. Elle est fixée par les autorités, lors de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), d’une largeur minimale de 20 à 50 mètres Toutefois, la ZNT peut être réduite 5 mètres, sous réserve du respect des deux conditions définies à l’annexe 3 de l’arrêté, dont la mise en œuvre de matériels permettant de diminuer la dérive des pulvérisations vers les milieux aquatiques. Chaque matériel retenu doit permettre de diviser la dérive d’un facteur au moins égal à trois par rapport aux conditions normales d’application des produits (au moins 66 % d’efficacité de la réduction de la dérive). L’utilisation des matériels – selon les liens agriculture.gouv.fr et arvalis.fr – permet de diminuer la largeur des zones non traitées à proximité des milieux aquatiques, ainsi que certaines distances de sécurité à proximité des zones d’habitation.

Les pulvérisateurs de précision portés par les tracteurs ou robots de pulvérisation de précision :

Système spot spraying : par exemple See and Spray (Deere) ou bien Sniper (Berthoud)

Ces systèmes, montés sur des pulvérisateurs standards, assurent une pulvérisation sélective permettant une économie importante d’herbicides lorsque les adventices développent des densités d’infestation irrégulières, tout en conservant une productivité équivalente à celle d’un pulvérisateur de configuration standard (vitesse de déplacement conservée).

La précision (résolution) est fonction de la largeur d’application de chaque buse (espacement de 25 ou 50 cm) et de la durée d’ouverture qui détermine la longueur de la surface pulvérisée à une vitesse donnée.

Pulvérisation de haute précision

Pour améliorer le niveau de résolution de l’application, les buses sont rapprochées tous les 4 ou 6 cm, et la vitesse de déplacement est fortement réduite.

Ecorobotics – une société d’IA spécialisée dans l’agriculture de précision – a annoncé que son pulvérisateur de très haute précision ARA a été reconnu comme l’un des dix meilleurs nouveaux produits de la World Ag Expo pour 2025 (à Tulare, Californie, cf. globalagtechinitiative.com). Les buses du pulvérisateur ARA s’activent individuellement si une adventice est identifiée ; le désherbage donne une efficacité de 95 %, tout en réduisant les quantités d’herbicide selon la densité des adventices (jusqu’à 80 %).

Les drones : de plus en plus utilisés

Des utilisations en riziculture, mais pas que…

Dans le monde entier, la pulvérisation aérienne des pesticides a été utilisée de longue date pour la protection des rizières, d’abord par avions à voilure fixe ou hélicoptères avec un pilote à bord ; les techniques évoluent rapidement. Ainsi, dès les années 2015 au Japon, environ 2 800 hélicoptères sans pilote étaient enregistrés, traitant plus d’un tiers des rizières. L’Asie est devenue un marché phare où les drones remplacent la
pulvérisation agricole à dos d’homme : environ 120 000 drones gros-porteurs agricoles y sont vendus chaque année. Bien que le riz soit la principale culture traitée avec des drones de pulvérisation au Japon, leur utilisation pour d’autres cultures telles que le blé, l’avoine, le soja et d’autres cultures est en constante augmentation. Selon un rapport, 30 % de la pulvérisation de pesticides en Corée du Sud est effectuée à
l’aide de drones (cf. Ohio State University Extension). En sus du désherbage, les drones sont utilisés avec des produits de lutte biologiques : épandage de larve de chrysopes contre la cicadelle, de phéromones sur des plantes de grande culture (maïs) ou des cultures pérennes (bananeraies, vergers, …). De son côté, l’Afrique commence à utiliser les drones.

La fabrication croissante de drones agricoles

La fabrication en série de drones lourds destinés à l’agriculture évolue rapidement. Au Texas, le fabricant de drones Hylio a levé récemment 2 millions de dollars (sur la plateforme de financement participatif StartEngine) pour étendre la production dans une nouvelle usine capable de
produire plus de 5 000 drones par an. La référence d’Hylio est le logiciel Agrosol (propriétaire de l’entreprise) qui s’intègre aux systèmes existants des clients. Après approbation par la FAA (US Federal Aviation Administration) pour l’utilisation en essaims, Hylio propose de faire fonctionner simultanément jusqu’à trois drones lourds avec un seul pilote. Le matériel est robuste et la pulvérisation localisée très précise (cf. agfundernews.com).

Vers une évolution de la réglementation en France

La réglementation française autorise l’épandage par drone de produits phytosanitaires pour certaines cultures (loi n° 2025-365 du 23 avril 2025, au JORF du 24 avril). Cette autorisation ne concerne à ce jour que les maladies affectant les cultures végétales en cas de « danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens« , excluant donc la lutte contre les mauvaises herbes. Une telle autorisation est prévue comme temporaire et soumise à un arrêté conjoint des ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Santé. Cependant, il est aussi prévu que la pulvérisation par drone puisse être utilisée lorsqu’elle présente « des avantages manifestes pour la santé humaine et pour l’environnement par rapport aux applications par voie terrestre » ; dans ce cas, on ne peut employer que des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle autorisés
en agriculture biologique et les produits dits à faible risque. Seules sont concernées les parcelles agricoles comportant une pente supérieure ou égale à 20 %, les bananeraies et les vignes mères de porte-greffes conduites au sol. Si cette évolution ne libéralise pas pour autant l’épandage d’herbicides au moyen de drones, elle ouvre cependant la voie à des expériences et à de nouveaux constats qui pourraient générer de nouvelles
pratiques de désherbage.

La course à la taille

La conception de drones à usage agricole s’oriente vers des machines capables de soulever des charges bien plus considérables que les petits engins seuls disponibles dans un passé récent. Par exemple, le nouveau drone autonome AGRAS T40 est impressionnant :

  • un poids de 24,6 kilogrammes ;
  • une largeur de près de 3 mètres ;
  • un décollage avec un poids maximal de 86,5 kilogrammes ;
  • un radar omnidirectionnel pour éviter les obstacles horizontaux et au-dessus du plan de vol, pour s’adapter au terrain et maintenir l’altitude.

Conçu pour accélérer l’application des pesticides avec une précision accrue, le T40 a un débit allant jusqu’à 8 litres par minute qui, combiné avec la vitesse et la maniabilité, permet aux agriculteurs de couvrir jusqu’à 22 hectares par heure ( cf. présentation par un distributeur de drones au Maroc et AGRAS T40).

Le désherbage de précision en pratique

Cartographier les levées de mauvaises herbes :

Dans le domaine des drones, il existe déjà des réalisations capables de cartographier les cibles avant toute application d’herbicide ; une telle technique peut apporte un vrai gain s’il y a relativement peu d’adventices réparties en taches. Ainsi, la société SAM Dimension (start-up allemande basée à Stuttgart) a créé un outil de repérage et de cartographie des mauvaises herbes avant semis ou en pré-levée. Cependant, son drone n’étant pas très stable, passer des images capturées à une carte utilisable pour cibler les seules mauvaises herbes n’est pas simple (cf. sam-dimension.com et cette vidéo)

La pulvérisation de précision : au salon Syngenta Sprays & Sprayers 2024 et au World Fira 2025 :

Des démonstrations en grandeur réelle ont été proposées en plusieurs lieux, au Royaume-Uni en juillet 2024, ou en France, au FIRA 2025 (Forum International de la Robotique Agricole), en février 2025.

Désherbage réussi en 2021, avec 70 % d’herbicides en moins

La coopérative bretonne Eureden et le constructeur ecoRobotix se félicitent de leur première saison de désherbage sélectif sur haricots. Un test a été réalisé avec le pulvérisateur ARA, qui possède des buses très rapprochées pouvant descendre à une zone de couverture de seulement 3 x 8 centimètre, ces buses s’activant individuellement à partir de l’analyse d’images en temps réel. L’objectif est de ne traiter que les adventices identifiées, de préférence petites parce que très jeunes, et non l’ensemble de la culture (cf. entraid.com).