Grèce : les « vrais » agriculteurs en colère contre les fraudeurs aux subventions


AFP le 23/09/2025 à 10:15

Anna Aivazidi, agricultrice de Thessalonique, ne décolère pas quand elle évoque les millions d'euros d'aides agricoles européennes perçus illégalement par des fraudeurs en Grèce.

« Je reçois 300 euros (355 dollars) de subventions par an. Je me bats pour produire chaque jour. Je me sens extrêmement lésée », déclare à l’AFP cette agricultrice de 40 ans. « Les subventions devraient aller aux véritables producteurs », souligne-t-elle.

Comme Anna Aivazidi, des milliers d’agriculteurs s’estiment pénalisés par cette vaste fraude aux subventions agricoles européennes, dans laquelle seraient impliqués des responsables gouvernementaux, reparties entre véritables et faux bénéficiaires.

Une enquête européenne a révélé un usage abusif généralisé des fonds par l’OPEKEPE, l’autorité grecque chargée du paiement des aides de la politique agricole commune, aujourd’hui dissoute.

L’affaire a commencé après une modification de la politique agricole de l’UE en 2014, prévoyant que les déclarations pour les demandes d’aides porteraient non plus sur le bétail mais sur les paturages. Le registre foncier en Grèce étant largement incomplet, les agriculteurs ont été autorisés à déclarer des terres qu’ils possédaient ailleurs en Grèce.

Ce dispositif a permis à « des individus qui n’étaient pas de véritables agriculteurs actifs de revendiquer ou de déclarer des pâturages publics alors qu’ils n’y possédaient pas d’animaux », explique à l’AFP Moschos Korasidis, ancien président de l’OPEKEPE. La perte pour les véritables agriculteurs s’élève à 70 millions par an, selon lui.

« Le plan était bien organisé … C’était une organisation criminelle qui naturellement avait besoin d’une couverture politique », affirme Giorgos Drosos, 65 ans, producteur de blé et de coton en Thessalie.

Les autorités grecques estiment à au moins 23 millions d’euros le montant de cette fraude présumée, mais selon le bureau du procureur public européen, le montant total pourrait être plus élevé.

« Nos subventions ont été réduites de 70 % tandis que les (agriculteurs) fantômes empochaient des milliers d’euros », s’indigne Pavlos Spyropoulos, 49 ans, producteur de coton à Trikala.

Selon le gouvernement, l’OPEKEPE a distribué chaque année plus de trois milliards d’euros à quelque 680 000 agriculteurs.

Le Bureau du parquet Européen (EPPO) avait estimé en mai que de « telles pratiques illégales auraient été organisées de manière systématique avec l’implication de responsables de l’OPEKEP ».

Bananiers sur le Mont Olympe 

L’enquête de la justice européenne porte principalement sur la période du mandat du gouvernement conservateur du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, arrivé au pouvoir en 2019.

M. Mitsotakis affirme que les pratiques frauduleuses ont commencé en 2016, et que deux ministres de l’Agriculture qu’il a nommés, et qui font l’objet d’une enquête, ne sont en rien responsables pénalement. « Nous avons été clairs à ce sujet, aucune responsabilité pénale n’émerge », a-t-il déclaré mercredi dans une interview télévisée à Antenna TV.

Un cas très médiatisé concerne l’ancienne coordinatrice du parti conservateur Nouvelle Démocratie pour les fonds de l’UE, qui a démissionné en août. Elle nie toute malversation.

L’enquête de l’UE a révélé que la plupart des fausses déclarations concernaient l’île de Crète, où la famille de M. Mitsotakis a exercé une influence politique pendant plus d’un siècle.

Selon l’OPEKEPE, près de 80 % du total des subventions accordées de 2017 à 2020 pour des pâturages ont été versées en Crète.

Alors que le nombre d’éleveurs en Grèce est en baisse, 13 000 nouveaux agriculteurs ont été enregistrés entre 2019 et 2025 en Crète, avec un doublement de moutons et de chèvres déclarés au cours de la même période.

M. Mitsotakis a assuré lors de l’interview que les contrôleurs de l’Etat avaient jusqu’à présent saisi 22 millions d’euros sur un millier de faux comptes fiscaux.

Les enquêteurs se sont notamment penchés sur des pâturages déclarés sur des sites archéologiques, des oliveraies dans un aéroport militaire, ou des plantations de bananiers sur le Mont Olympe.

« Si le bureau du procureur européen n’était pas intervenu, rien ne se serait passé », estime Nikos Kakavas, président de la fédération des employés du génie civil. « Nous avons crié à ce sujet pendant des années, mais personne n’a écouté », a-t-il ajouté.

Dans la région de Chania, fief de la famille Mitsotakis, pendant les huit premiers mois de l’année, près d’un million de brebis et chèvres enregistrés ont produit douze fois moins de lait que dans la région de Larissa.

Un tel phénomène ne peut pas être expliqué, techniquement ou scientifiquement, ironise Athanassios Saropoulos, chef de la branche macédonienne de la chambre grecque du génie civil.