Dans le Bordelais, vignerons « désabusés » et chais qui débordent


AFP le 17/09/2025 à 09:15

Malgré un millésime 2025 qui s'annonce « qualitatif », les vendanges sont moroses dans le Bordelais, premier vignoble AOC de France, qui pâtit toujours de la surproduction et de chais « pleins, pleins, pleins », tirant les prix vers le bas.

« Si ça continue comme ça, j’arrête », soupire Denis Roux (55 ans), viticulteur cultivant dix hectares à Fronsac, à l’est de Bordeaux. « Dix hectares, quand on ne vend plus de vin, on n’arrive pas à les entretenir… », témoigne-t-il, disant ne pas voir « d’avenir pour la filière ».

Après une mauvaise année 2024, ce vigneron « né là-dedans » a dû « déstocker pour tenir le coup, brader complètement les vins », jusqu’à environ 1 euro la bouteille en comptant l’embouteillage à sa charge. Soit 1 200 euros le tonneau (900 litres), pour un coût de production de 1 500 euros : « une catastrophe », résume-t-il.

Comme dans d’autres régions viticoles, la moindre consommation de vin ces dernières années et les difficultés croissantes à l’export ont entraîné une surproduction dans le Bordelais, un effondrement du vrac et une augmentation des stocks.

« J’ai encore en chai 700 hectolitres », soit « deux années et demie de production », précise Denis Roux.

« Je n’ai rien vendu depuis janvier », déplore Bastien Mercier, porte-parole du collectif vigneron Viti33. A Camiran, son « chai est plein » avec 4.500 hectolitres.

« Ralentissement global du marché »

L’indice de stockage du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) représentait environ 18 mois de stocks fin 2024, en incluant les périodes de stockage obligatoires propres à certaines appellations. Face au « ralentissement global du marché », ce « coefficient augmente », reconnaît l’interprofession.

Dartess, entreprise spécialisée dans la logistique viticole, prévoit d’augmenter ses capacités de stockage de vins embouteillés (« tiré-bouché ») de 10 à 15 % d’ici 2026, préparant notamment l’afflux des primeurs 2024, dont les ventes anticipées ont déçu.

« Il y a beaucoup moins de mouvements » sur le marché, relève Alvaro Betanzos, directeur commercial du logisticien, qui constate aussi une baisse des dépôts de produits finis prêts à expédier.

À Bordeaux, « les chais sont pleins, pleins, pleins » et les procédures collectives d’entreprises viticoles en difficulté sont nombreuses, confirme Laurent Rousseau, vice-président du conseil de prud’hommes de Libourne. Ce viticulteur à Abzac, près de Saint-Emilion, craint un « effondrement lié à une vague de submersion de volumes à bas prix ».

Une nouvelle loi EGAlim, censée garantir aux agriculteurs des prix rémunérateurs, est enlisée au Parlement depuis un an et le projet d’une organisation de producteurs (OP) bordelaise pour peser davantage dans les négociations commerciales tarde à se concrétiser.

Malgré deux campagnes d’arrachage subventionné, qui ont ramené le vignoble bordelais de 103.000 hectares (ha) à moins de 90 000 ha, « le potentiel de production reste encore au-dessus des volumes commercialisés », constate la préfecture girondine.

« C’est suicidaire »

Résultat : les vignerons sont « totalement désabusés » face à des prix « en dessous des pâquerettes en permanence », explique Jean-Samuel Eynard, président (FNSEA) de la chambre départementale d’agriculture et viticulteur à Bourg-sur-Gironde. « À part le stockage ou la destruction, il n’y a pas de miracle. » « Les prix de vente sont à 50 % des coûts de production. C’est suicidaire », calcule-t-il, s’inquiétant aussi pour les invendus stockés depuis quelques années en cuve, et non en bouteille, qui « commencent à se fatiguer, à s’user ».

Reste la lueur d’espoir d’un millésime 2025 « qualitatif », selon le CIVB, couplé à une récolte réduite pour cause de sécheresse, à 3,6 millions d’hectolitres (comme en 2024), d’après les premières estimations du ministère de l’Agriculture.

Cette vendange prometteuse peut « au moins envoyer un signal positif sur Bordeaux et réveiller l’intérêt des négociants et des importateurs », veut croire Jean-Samuel Eynard.

« Il faut qu’on trouve des solutions nous-mêmes », suggère Michel-Eric Jacquin, nouveau président des appellations Bordeaux et Bordeaux supérieur (la moitié de la production du vignoble).

Il propose de basculer une partie de la production de l’AOC (appellation d’origine contrôlée) vers une IGP (indication géographique protégée), moins contraignante notamment dans le choix des cépages, pour des vins plus adaptés aux nouveaux modes de consommation.

« Soit on continue à faire toujours la même chose et tout le monde va crever, soit on arrive à s’ouvrir vers de nouveaux produits », conclut-il.