Le soutien régional à l’agriculture biologique, support d’expressions politiques


TNC le 25/08/2025 à 16:54
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S’appuyant sur des exemples français et allemands, la chercheuse en sciences politiques Léa Sénégas explique comment le soutien à l’agriculture biologique est devenu un marqueur politique, en lien avec le renforcement progressif de la capacité d’action des régions.

Avec la décentralisation de la gestion du second pilier de la Pac, les régions ont vu leurs possibilités d’intervention s’accroître en matière de politique agricole. Dans les années 1990, deux conseils régionaux français proposent ainsi de premières subventions à l’agriculture biologique, explique Léa Sénégas dans une analyse publiée en août, « Le soutien des Régions françaises et des Länder allemands à l’agriculture biologique ». Il s’agit d’une aide à la conversion, en Auvergne, et du financement d’un audit de la filière, en Bretagne. Dans les années qui suivent, on observe un accroissement des budgets dédiés à l’AB, avec une accélération à partir des années 2000, notamment avec l’arrivée de majorités de gauche, et/ou d’une majorité de droite en coalition avec un parti écologiste, comme c’est le cas en Allemagne dans la Hesse.

Une opposition de vision entre acteurs

À cette échelle de décision, l’influence des organismes professionnels s’avère importante, en témoigne le rôle majeur dévolu aux chambres d’agriculture dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’action publique agricole, explique la chercheuse. La définition et l’application des politiques régionales de soutien à l’AB découlent ainsi de négociations entre les autorités régionales et les représentants professionnels.

Or, les professionnels n’ont pas tous la même vision du développement de l’agriculture biologique. La croissance soutenue de ce mode de production entraîne une forme de « conventionnalisation » du secteur, à savoir « un rapprochement des pratiques de production et de distribution de celles de l’agriculture conventionnelle », indique Léa Sénégas. Apparaissent alors deux pôles, l’un plus conventionnaliste, qui estime que l’agriculture biologique est un moyen parmi d’autres de mettre en œuvre des pratiques plus respectueuses de l’environnement, et l’autre, plus « alternatif », qui entend remplacer à terme le modèle conventionnel par celui de l’agriculture biologique. Des conflits émergent entre ces deux visions, aiguisés par la concurrence pour l’accès aux ressources.  Ces controverses s’expriment au sein des assemblées régionales, et exacerbent les polarisations partisanes, note la chercheuse.

Les orientations des exécutifs distinguent les cas régionaux entre eux

Léa Sénégas relève ainsi quatre types de positionnements politiques. Les partis d’extrême droite et le parti libéral allemand sont relativement hostiles au soutien à l’AB. Les élus de droite conservatrice et une partie de LREM considèrent de leur côté que le soutien à l’offre doit être limité lorsque celle-ci est insuffisante par rapport à la demande. Les sociaux-démocrates et les communistes soutiennent quant à eux l’AB, dans une logique de diversification du système agricole local. Enfin, les partis écologistes défendent des aides importantes, au nom de des services environnementaux rendus et de la santé des consommateurs.

Ces préférences partisanes se traduisent en actes au gré des élections, et s’observent en matière de budget alloué, dans les instruments d’action publiques ou dans les relations avec les professionnels agricoles, en particulier avec les majoritaires.  

Ainsi, si l’asymétrie de pouvoir entre les acteurs dominants de la profession agricole et les représentants de l’agriculture biologique est un frein à la mise en œuvre des orientations politiques alternatives, il ne faut pas négliger le rôle des alternances partisanes qui déterminent le contenu de l’action publique et sa gouvernance, indique Léa Sénégas. En fonction des périodes et des territoires, une gestion contrastée de l’agriculture biologique peut donc être observée, à contre-courant d’une politique agricole qui serait appliquée à l’ensemble du territoire national. « Ce sont les orientations des exécutifs qui distinguent les cas régionaux entre eux », souligne la chercheuse, mettant en avant que ces approches différenciées peuvent être à l’origine de disparités.