Canicule : les cicatrices de l’agriculture
AFP le 18/08/2025 à 14:30
Volailles menacées, fraises atrophiées, vaches affamées : la canicule est sur le point de s'achever mais elle aura laissé de profondes cicatrices chez les agriculteurs, qui peinent à faire face à la multiplication des vagues de chaleur.
« Au début de la canicule, j’ai retrouvé une centaine de volailles mortes, en un seul week-end », explique à l’AFP David Josserand, derrière son étal de poulettes, dindes et canards vivants sur le marché de Louhans (Saône-et-Loire), capitale de la volaille de Bresse. « Il y a des jours, on avait 50 degrés dans le poulailler », se souvient-il.
Les volailles sont laissées « le plus souvent possible dehors », où elles s’abritent sous les arbres. Mais, la nuit, « elles rentrent » dans le poulailler, un instinct qu’aucun élevage ne peut combattre. « On a des extracteurs d’air et des ventilateurs mais elles se tassent dans un coin et elles étouffent », explique M. Josserand. Au total, « on a perdu environ 200 volailles », soit plus de 6 000 euros de manque à gagner.
La perte est relativement supportable, l’exploitation comptant 25 000 bêtes à l’année, mais « c’est de plus en plus souvent et ça dure de plus en plus longtemps », s’inquiète David Jousserand.
En 2003, date de la pire canicule récente, entre 4 et 5 millions de volailles étaient mortes, selon les chiffres de la filière. Celle-ci estime que ce sera beaucoup moins cet été grâce aux aménagements réalisés depuis.
Des filières menacées
Vendanges et moissons ont dû commencer plus tôt sans impact a priori sur les productions, mais la culture fruitière fait ses comptes.¨« On va perdre jusqu’à 20 ou 30 % de notre production si ça dure trois semaines », évalue Marc Bardin, propriétaire des Vergers de Louisias, à Charavines (Isère).
« Le fruit ne va pas prendre tout son volume et son poids. Ça fait des plus petites fraises » qui nécessitent autant de bras pour être cueillies mais remplissent moins les barquettes, explique-t-il à l’AFP en montrant des fraises atrophiées, mais aussi des framboises dépigmentées.
La canicule fin juin n’a été « quasiment que du bonheur » car elle a gorgé les fruits de soleil et de sucre, selon Daniel Sauvaitre, président d’Interprofession fruits et légumes (Interfel). Mais celle d’août « inquiète » davantage, « puisqu’on voit des restrictions dans les prélèvements d’eau ».
Chaleur et manque d’eau vont jusqu’à faire craindre pour l’existence même de filières pourtant ancestrales. Dans le Cantal, c’est toute la production du célèbre fromage AOP (Appellation d’origine protégée) Salers qui est menacée.
Le Salers est fait avec le lait de vaches qui broutent l’herbe pendant sept mois. Mais la sécheresse et la canicule ont grillé les prés. « J’ai dû arrêter de faire du Salers il y a déjà trois semaines, faute d’herbes dans les pâtures, comme un bon tiers des 69 producteurs de Salers », explique à l’AFP Laurent Lours, président du Comité interprofessionnel des fromages de Cantal (CIF).
« Tout cramé »
En 2022 et 2019, c’est la totalité de la production de Salers qui avait dû être arrêtée dès la mi-août, soit près de trois mois avant la date normale. « Cela revient de plus en plus souvent avec le réchauffement climatique. Avant, on était tranquille pendant des années. Maintenant, c’est presque un an sur deux », souligne M. Lours. « Cela pose question sur l’avenir de l’AOP. ».
Pierre Rozier, éleveur de vaches charolaises en Saône-et-Loire, blâme lui aussi la multiplication des aléas : « c’est la répétition qui pose problème ».
Les Charolaises doivent se nourrir majoritairement d’herbe fraîche, au pré pendant « au moins six mois ». « Mais c’est tout cramé », se désole M. Rozier, qui élève 300 bovins à Trivy. « Donc on est obligé de donner du foin et du maïs. Ca nous fait 10 000 euros de coûts supplémentaires. Et toutes les sources sont taries donc il faut amener l’eau ». Encore « 3 à 4 000 euros en plus… », calcule le paysan.
« On a eu le même problème en 2018, 2020, 2022… C’est de plus en plus souvent », estime M. Rozier. Autour de lui, il fait les comptes : « trois de mes voisins éleveurs ont arrêté ».