Loi Duplomb : la Charte de l’environnement remise en lumière


AFP le 08/08/2025 à 16:45

Invoquée par les Sages pour bloquer les mesures de la loi Duplomb sur la réintroduction du pesticide acétamipride, la Charte de l'environnement, adoptée en 2004, fête les 20 ans de son élévation au rang constitutionnel, égalité avec la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Jeudi 7 août, les Sages ont jugé contraire à la Charte de l’environnement, la disposition la plus contestée de la loi Duplomb, qui prévoyait la réintroduction sous conditions de l’acétamipride, un pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes.

« La Charte de l’environnement adossée à la Constitution a valeur constitutionnelle », a rappelé le Conseil constitutionnel, soulignant que les néonicotinoïdes « ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux » et « induisent des risques pour la santé humaine ».

Projet phare de l’ancien Président de la République Jacques Chirac, la Charte de l’environnement a été inscrite en 2005 dans la Constitution française, lui conférant la même valeur que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ou encore les droits économiques et sociaux figurant dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

« Le choix résolu d’une écologie humaniste au coeur même de notre pacte républicain se traduit par une charte qui est forte et ambitieuse », avait déclaré Jacques Chirac à l’époque.

Son article 1er – « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » – a été invoqué jeudi par le Conseil constitutionnel pour censurer la disposition sur l’acétamipride.

Mais c’est « la première fois que le Conseil constitutionnel motive une censure » en utilisant aussi « l’article 2 de la Charte qui dit que « toute personne », et donc tout particulièrement le législateur, « a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » », souligne vendredi auprès de l’AFP la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.

Jurisprudence « plus offensive »

Anne-Charlène Bezzina y voit « un vrai renforcement » de ce texte. « On a de la jurisprudence qui a été plutôt croissante ces dernières années », « plus offensive », concernant la Charte de l’environnement, renchérit un autre constitutionnaliste, Benjamin Morel.

Il souligne toutefois qu’« il y a quand même beaucoup de choses dans la Charte de l’environnement qui sont considérées encore comme un peu décoratives ».

« La grande question en matière d’évolution de la jurisprudence, c’est ce à quoi le Conseil constitutionnel va donner une vraie portée juridique », estime M. Morel en s’interrogeant notamment sur le principe de précaution, objet de l’article 5 de la Charte, qui n’a pas été invoqué par les Sages jeudi.

Ce principe oblige les autorités publiques « à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer » à un dommage qui « pourrait affecter de manière grave et irréversible » l’environnement, même si celui-ci est incertain « en l’état des connaissances scientifiques ».

Les cas de censure pour non-conformité à la Charte sont rares

La Charte de l’environnement, qui fête ses vingt ans cette année, « est un texte très important pour les juristes en droit de l’environnement, mais sans doute que, pour le grand public, c’est un texte malheureusement un peu oublié », souligne de son côté l’avocat spécialisé dans l’environnement Arnaud Gossement.

Pour lui, « la nouveauté, c’est l’application : les cas de censure d’une loi pour non-conformité à la Charte sont rares » devant le Conseil constitutionnel.

En mars dernier, les Sages avaient par exemple fait référence à la Charte pour censurer des dispositions concernant la pisciculture dans la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.

La décision prise jeudi, sur « une disposition aussi importante que celle sur les néonicotinoïdes, permet de souligner l’importance et l’aspect concret » de la Charte de l’environnement, de montrer que « ce n’est pas (qu’)un texte symbolique ou proclamatoire », met en avant Me Gossement.

« La Charte ne s’use que si on ne s’en sert pas », souligne-t-il. Et « cette décision vient aussi rappeler aux plaideurs qu’il faut s’en servir » dans leurs arguments juridiques.