Dans le Bordelais, les taxes américaines empêchent les négociants de dormir


AFP le 27/07/2025 à 10:15

Augmenteront-ils de 10%? 30%? 200%? Dans le Bordelais, les négociants en vin vivent depuis des mois au rythme des annonces du président américain Donald Trump sur les droits de douanes, assistant, impuissants, au bouleversement d'un secteur déjà en crise.

Car les Etats-Unis représentent de loin le premier marché d’exportation pour les vins de Bordeaux, avec plus de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires (20% du total), suivis par la Chine (300 millions) et le Royaume-Uni (200 millions), selon Philippe Tapie, le président de Bordeaux Négoce.

« C’est très compliqué à gérer parce que c’est totalement insaisissable. Un jour c’est blanc, le lendemain c’est noir, l’administration américaine peut changer d’avis du jour au lendemain, et nous, on n’a aucune visibilité », dit-il à l’AFP.

A la mi-mars, Donald Trump avait menacé l’Union européenne (UE), dans le cadre de négociations bilatérales, d’imposer des droits de douane de 200% sur les alcools, en riposte à un projet de taxes européennes sur le bourbon américain. Début avril, il brandit une nouvelle menace de 20% de droits de douane sur tous les produits européens, finalement suspendue.

Depuis, ces taxes s’élèvent à 10% mais fin mai le locataire de la Maison Blanche a encore menacé d’appliquer 50%, avant d’annoncer un taux de 30% à partir du 1er août, l’échéance des négociations en cours avec l’UE.

« A 10% ou 15%, on trouvera des solutions. A 30%, non. C’est la fin de l’histoire », lance le président du syndicat des négociants bordelais qui regrette que les exportateurs soient aujourd’hui « condamnés à être en stand-by, face à une administration américaine totalement imprévisible », pendant que les stocks s’accumulent.

Dans l’import-export, « on ne peut pas raisonner à la semaine »

Car, pour exporter du vin, « il y a un minimum de 30 jours de bateau. Si on passe de l’autre côté, en Californie, c’est 60 jours. On ne peut pas raisonner à la semaine », poursuit M. Tapie, assurant n’avoir « jamais été confronté à une situation pareille » en trente ans de métier.

Twins Bordeaux, l’une des principales maisons de négociants bordelais, est aussi particulièrement « impactée » par le yo-yo des annonces et des menaces.

« Le marché américain représente environ un tiers de notre chiffre d’affaires, soit quelque 30 millions d’euros », explique Sébastien Mosès, codirecteur et copropriétaire de Twins qui expédie habituellement plus d’un million de bouteilles par an aux Etats-Unis.

Depuis janvier, « on doit être à 50% de chiffre d’affaires en moins par rapport à l’année dernière », dit-il.

Les négociants jouent un rôle central dans la commercialisation du vin bordelais et assurent notamment la majorité des ventes à l’export.

« Jusqu’à présent, on arrive à peu près à sauver les meubles parce que dès l’élection de Donald Trump (le 5 novembre 2024, ndlr), on a anticipé et envoyé un maximum de stocks aux Etats-Unis fin 2024 », explique M. Mosès, soulignant que cette incertitude n’est « pas propice à la mise en place d’une stratégie stable ».

Expédition par avion

« On fonctionne vraiment au coup par coup, avec un niveau de risque élevé », dit-il.

Twins Bordeaux a même expédié en mars des caisses par voie aérienne, environ 10.000 bouteilles. « Mais uniquement des vins très chers, à pas moins de 150/200 euros la bouteille, car par avion c’est au moins deux fois et demi le prix d’un envoi par bateau », dit-il.

D’autres ont adopté des stratégies différentes bien avant le retour de Donald Trump à la présidence, comme la maison de négoce bordelaise Bouey pour qui le marché américain représente moins de 10% de ses exportations.

« On a entrepris depuis longtemps un éclatement géographique. Face au désordre du monde, les stratégies commerciales ne peuvent plus reposer sur une stratégie mono ou bi-pays », avait indiqué à l’AFP en avril Jacques Bouey, son PDG.

Pour le plus grand vignoble AOC de France, ces droits de douanes interviennent dans un contexte déjà difficile, avec notamment une baisse de la consommation et des difficultés générales à l’export qui ont entraîné une surproduction et un effondrement du prix du vrac. Début 2023, un tiers des quelque 5.000 vignerons bordelais se déclarait en difficulté.

« On commence à être catégorie champion du monde dans l’accumulation de problèmes », se désole Philippe Tapie.